Le stockage de l’énergie solaire dans un fluide chimique progresse
Pour faire face à l’urgence climatique et réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre, les gouvernements du monde entier n’ont d’autres choix que de se tourner vers des sources d’énergies décarbonées, c’est-à-dire qui n’émettent pas de dioxyde de carbone en phase de production. Parmi ces ressources respectueuses de l’environnement, les énergies renouvelables ont depuis quelques années les faveurs de la communauté internationale : disponible de manière naturelle et en quantité quasi-illimitée, elles permettent de produire de l’énergie électrique ou thermique sans générer de CO2. Malheureusement, le caractère intermittent de certaines de ces ressources (comme le solaire et l’éolien) freine leur démocratisation : fortement tributaire des conditions météorologiques, leur production est imprévisible et irrégulière. C’est la raison pour laquelle le développement de solutions de stockage de l’électricité est un des facteurs qui permettra de réussir la transition énergétique mondiale. Le stockage de l’énergie électrique permettrait en effet de conserver les surplus de production renouvelable (en période de faible demande) pour les redistribuer pendant les phases de forte demande. Dans cette course à l’innovation qui permettra de bénéficier du renouvelable de manière abondante, des chercheurs suédois viennent de franchir une étape importante et font envisager le stockage de l’énergie solaire à grande échelle. Explications.
De l’utilisation du ruthénium…
Un groupe de chercheurs de l’université de technologie de Chalmers, située dans la ville suédoise de Göteborg, travaillent depuis maintenant 6 ans à l’élaboration d’une technique de stockage de l’électricité solaire dans un fluide chimique. Une idée ingénieuse qui date des années 50, mais qui n’est techniquement envisageable que depuis une dizaine d’année.
Le concept de captation de l’énergie solaire développé par l’équipe du Professeur Kasper Moth-Poulsen s’appuie sur le caractère photosensible de certaines molécules synthétiques. Il existe en effet des molécules de synthèse qui, lorsqu’elles sont exposées à la lumière, sont capables de stocker l’énergie solaire dans leurs liaisons chimiques. Une énergie qu’il est ensuite possible de libérer sous forme de chaleur lorsque ces molécules sont mises en présence d’un catalyseur.
Les travaux de l’université de technologie de Chalmers ont été relayés pour la première fois dans le journal Energy & Environnemental Science en 2013. Lors d’une première démonstration, l’équipe Kasper Moth-Poulsen a réussi à convertir avec succès 0,01% de la lumière du soleil en énergie grâce à une molécule synthétisée à partir du ruthénium.
Une première étape encourageante à bien des égards mais qui présente tout de même un obstacle majeur : un coût élevé. Sous-produit de l’extraction des métaux précieux (et donc rare), le ruthénium est en effet un élément chimique qui affiche un coût de production important. On estime d’ailleurs que les réserves mondiales de ruthénium ne dépassent pas les 5.000 tonnes. Au-delà de ce frein économique, les premiers travaux de l’équipe suédoise se heurtent également à un faible pourcentage de conversion de l’énergie solaire (0,01%).
… à l’utilisation du norbornadiène
Il aura donc fallu quatre années de recherche supplémentaires au groupe de chercheurs de l’université de Chalmers pour améliorer son processus. Un article récemment publié dans Energy & Environnemental Science fait même état d’un rendement multiplié par 100 : le Professeur Kasper Moth-Poulsen a en effet eu l’idée d’utiliser une molécule plus performante, le norbornadiène, pour atteindre un taux de conversion de 1,1%.
Le norbornadiène est un hydrocarbure bicylique qui présente un grand intérêt scientifique en raison de son importante réactivité : sa géométrie particulière (quadricyclane) lui permet en effet d’agir en tant que donneur de paires d’électrons, voire de quatre électrons. Le processus de stockage puis de restitution de l’énergie peut s’effectuer 140 fois sans faire subir de dégradation à la molécule. De plus, la fabrication du norbornadiène est moins onéreuse car basée sur des composants organiques et chimiques (tels que le carbone) plus abondants et moins coûteux que le ruthénium. Enfin, le rendement induit par l’utilisation du norbornadiène permet l’émission d’une chaleur pouvant atteindre les 200°C : de quoi envisager des applications plus ambitieuses que celles permises par les systèmes d’échanges thermiques utilisant l’eau.
« En combinant ce système thermique moléculaire avec des panneaux solaires classiques, nous pouvons convertir plus de 80 % de la lumière du soleil », explique le Professeur Kasper Moth-Poulsen.
Si le rendement de 1,1% ne rend pas encore envisageable le déploiement industriel de cette technique de stockage de l’énergie solaire, les progrès effectués en quatre ans sont plus qu’encourageants. Ils ont permis de contourner les deux obstacles de la première démonstration et de grandement améliorer le rendement de conversion. Les chercheurs de l’université de technologie de Chalmers envisagent d’améliorer encore leur processus en utilisant une molécule encore plus efficace que le norbornadiène.