Démantèlement nucléaire : les entreprises françaises à la conquête du monde
Le démantèlement du nucléaire est un secteur d’avenir. Les entreprises françaises ont un rôle indéniable à y jouer, comme le montre l’actualité récente.
A travers le monde, la volonté d’Etats de faire de la sortie du nucléaire l’un des leitmotivs de leurs politiques énergétiques ne date pas d’hier. Elle a vu le jour en Autriche (1978), puis en Suède (1980), en Italie (1987), en Belgique (1999), en Allemagne (2000), en Suisse (2011), dans la province du Québec (2013) et en Corée du Sud cette année, mais elle progresse de manière très inégale d’un pays à l’autre.
Aussi, l’exemple allemand a montré que l’abandon du nucléaire, malgré son succès, a été bien plus complexe qu’initialement prévu, suite à l’échec de son plan de transition énergétique. Pour autant, la sortie du nucléaire – complète ou partielle – n’est pas sans fondement. Déjà, l’activité de l’industrie nucléaire elle-même est menacée à long terme par l’épuisement progressif des ressources mondiales en uranium (l’UE a estimé leur épuisement pour 2144). Ensuite, le nucléaire demeure une activité à risque. La question de la sûreté de l’activité nucléaire est bien sûr primordiale, dans un monde post Fukushima.
Enfin des investissements significatifs sont nécessaires pour mettre le parc ancien aux normes et entretenir le parc plus moderne – ce qui va inévitablement affecter la rentabilité du secteur (en France, la Cour des comptes a estimé ce prix à 1,7 milliard par réacteur). Le grand carénage, qui est un programme d’investissement décidé pour la période 2014-2025 vise cet objectif de rénovation. C’est pourquoi de plus en plus de pays font le choix de la transition. Mais il ne suffit pas de fermer les centrales puisque tout site nucléaire doit être soigneusement démantelé. On compte entre 25 à 30 années pour démonter entièrement un réacteur et pour permettre au site d’accueillir une nouvelle activité sans aucun risque pour la santé.
L’expertise française à l’international
L’expertise française en matière nucléaire n’est pas neuve. En 1945, le Général de Gaulle créait le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) pour se doter de l’arme nucléaire, mais aussi pour développer une branche civile et assurer l’indépendance énergétique de la France. Le pays devient un véritable pionnier en la matière dans les années 1970. L’objectif est de se protéger d’une trop forte dépendance aux combustibles fossiles, le choc pétrolier de 1973 étant encore dans les mémoires. Avec une part d’électricité nucléaire de 76% dans le mix électrique et 58 réacteurs en activité, l’Hexagone est le pays le plus nucléarisé au monde.
Mais l’expertise française s’étend également au démantèlement des sites nucléaires. Et pour cause : les exigences de fin de cycle françaises sont exemplaires, bénéficiant de la minutieuse supervision de l’Agence de Sûreté Nucléaire (ASN). La France a choisi de procéder à des démantèlements immédiats afin de ne pas en faire supporter la charge aux générations futures (350 à 500 millions par réacteur), contrairement à la Russie ou au Royaume-Uni (où le réacteur de Magnox de la centrale de Bradwell ne sera démantelé qu’à partir de 2092).
Ce choix s’explique notamment par la longueur et le défi technologique de taille que représente la procédure : après l’arrêt total du site, le combustible doit être déchargé et les circuits vidangés (99,9 % de la radioactivité est évacuée lors de cette procédure) avant le démantèlement de l’installation – hors réacteur. Cette première étape dure dix ans. Le démontage du réacteur prend une dizaine d’années supplémentaires. La multiplication des projets traduit l’importance de cette filière en France :
- L’UP 2400 d’AREVA situé à La Hague assurait la première étape du recyclage des combustibles nucléaires usés. Construit en 1960, il a été arrêté au début des années 2000. Son démantèlement, démarré en 2009, devrait s’étaler pendant une trentaine d’années, mobiliser 500 personnes et coûter près de 4 milliards d’euros.
- Le SICN d’Areva, à Veurey – près d’Annecy – avait été lancé en 1955 afin d’assurer la production de combustible d’uranium naturel. Le site a aujourd’hui été démantelé et réindustrialisé. Cette opération a mobilisé 100 personnes durant 5 ans, et a coûté 60 millions d’euros.
- L’usine Georges-Besse sur le site de Tricastin, inaugurée en 1979, a été arrêtée en juin 2012, après avoir produit 35 000 tonnes d’uranium enrichi. L’enfouissement des déchets constitue actuellement la phase 1 de ce projet de démantèlement gigantesque.
Les acteurs français du démantèlement à l’étranger
Forte de cette expérience technique et diversifiée, la filière française se tourne désormais vers le marché international. Et le marché du démantèlement est florissant : on compte actuellement près de 110 réacteurs à l’arrêt en attente de déconstruction. 200 autres devraient cesser leur activité d’ici à quinze ans. Les USA et la Corée du sud, deux pays qui s’orientent vers le démantèlement, ont d’ores et déjà décidé de s’appuyer sur l’expertise d’Areva. L’opérateur français, en partenariat avec le groupe américain NorthStar, a ainsi pris en charge le programme d’assainissement et de démantèlement de la cuve du réacteur à eau bouillante de Vermont Yanke, en Juillet 2017.
De même, le Sud-Coréen Korea Hydro & Nuclear Power Co. a décidé de coopérer avec le Français dans les domaines de l’assainissement et du démantèlement de ses centrales le 04 décembre dernier. Pour Arnaud Gay, Directeur des Opérations Internationales de New Areva – branche internationale du groupe dédiée au démantèlement – cet accord « confirme la reconnaissance internationale du savoir-faire de New AREVA dans le démantèlement ». Le groupe affiche en effet une expertise de plus de 45 ans, qui en fait un acteur incontournable dans le domaine. Son expertise est d’ailleurs utilisée dans le cadre de 50 projets de démantèlement.
Ce marché florissant est bien sûr très convoité. Aussi, Areva a un nombre croissant de concurrents, comme l’américain Westinghouse – une filiale de la multinationale japonaise Toshiba – le géant national russe Rosatom, qui gère tous les actifs nucléaires de la fédération de Russie, ou le groupe Kepco – l’équivalent d’EDF en Corée. Toutefois, pour l’analyste à la Société Générale Alok Katre, « il est très difficile de comparer Areva avec ses concurrents, parce que ceux-ci ne publient pas de résultats financiers détaillés ». Il s’agit en effet de gros groupes et non de sociétés spécialisées dans le démantèlement comme le français, qui fait là encore figure de modèle d’expertise.