« Certains territoires peuvent devenir 200 ou 500% renouvelables ! »
Esther Bailleul, co-animatrice du réseau TEPOS (territoires à énergie positive), l’affirme : les collectivités ont tout à gagner en visant, dans les prochaines années, l’objectif 100% énergies renouvelables. Interview.
Devenir un territoire à énergie positive, est-ce une démarche fructueuse ?
Un territoire à énergie positive, tel que conceptualisé par le réseau TEPOS depuis sa création en 2010, a pour objectif de réduire ses consommations d’énergie et de les couvrir, voire de les dépasser par des énergies renouvelables locales. Au-delà du rapport mathématique, il s’agit surtout de mettre l’énergie au coeur du projet de territoire pour répondre concrètement à des enjeux multiples : lutte contre la précarité énergétique, démocratie locale, protection de l’environnement et de la santé…
C’est aussi fructueux sur le plan économique : les territoires à énergie positive tirent parti de leurs ressources et font de la transition énergétique un levier de développement local. En favorisant le développement d’installations d’énergie renouvelable et en investissant dans leur capital, ils dégagent des revenus qui peuvent être réinvestis dans la rénovation des bâtiments, les services publics, l’amélioration des conditions de vie des citoyens et de l’attractivité du territoire.
Avec l’implication des acteurs locaux, ce sont autant d’activités, de services et d’emplois qui sont créés ou maintenus partout en France, y compris en zone rurale. En 20 ans, grâce à ses multiples projets énergétiques, le village autrichien de Güssing est passé d’une facture énergétique annuelle de 36 millions d’euros à un chiffre d’affaire de 20 millions d’euros à l’échelle du territoire.
100% d’énergie renouvelable sur un même territoire, est-ce vraiment possible ? N’est-ce pas utopique ?
L’ADEME a publié en 2016 une étude validant la possibilité pour la France de passer à l’électricité 100% renouvelable en 2050. Des chercheurs de l’université de Stanford estiment que la France peut atteindre le 100% d’énergie renouvelable en 2050, c’est-à-dire passer aux renouvelables non seulement pour l’électricité, mais aussi pour le chauffage et le transport. Cette possibilité, l’association négaWatt la modélise depuis 2003 et vient de sortir une nouvelle version du scénario qui vise cet objectif. La clé, c’est le fameux triptyque négaWatt «sobriété, efficacité, renouvelables» : moins on consomme, plus il est facile de couvrir sa consommation par les renouvelables.
Le 100% renouvelable est donc possible à l’échelle nationale et nécessite une profonde transformation des comportements, des équipements et des systèmes de production. Au niveau local, certains territoires ont même vocation à devenir 200 ou 500% renouvelables ! Les territoires très denses comme les métropoles n’ont pas assez de potentiel sur leur territoire pour subvenir à leurs besoins. La coopération entre territoires et le partage des ressources énergétiques, humaines et financières sont une étape nécessaire de cette transition. Certains territoires, comme Le Mené en Bretagne ou la communauté de communes de la Montagne Noire en Occitanie, produisent déjà bien plus d’électricité renouvelable que ce qu’ils consomment. Le vrai défi à terme, c’est le transport routier et aérien, sur lesquels les territoires ont moins ou pas d’influence, et qui représentent une grande part de la consommation d’énergie fossile nationale.
Pour les habitants, le TEPOS présente-t-il des avantages ?
La transition énergétique portée par les TEPOS bénéficie directement aux habitants : environnement préservé, création ou maintien de l’activité sur le territoire, baisse des factures d’énergie… Les collectivités porteuses de ces démarches impliquent de plus en plus les citoyens dans leurs projets. Elles peuvent encourager les projets d’énergie renouvelable participatifs dans lesquels les citoyens peuvent investir (et s’investir), puis en tirer des revenus sur le long terme. Elles peuvent aussi proposer des aides ou des accompagnements aux particuliers pour acheter un vélo électrique, rénover leur logement… Dans les TEPOS, les habitants sont amenés à se réapproprier l’énergie d’un point de vue démocratique. Après tout, tout le monde consomme de l’énergie et peut, à juste titre, se sentir concerné.
Quelles sont les régions en France les plus avancées sur les TEPOS ?
L’Aquitaine a mis en place dès 2012 un programme d’accompagnement pour aider les territoires ruraux à s’engager dans une démarche TEPOS, en partenariat avec l’ADEME. Quatre autres régions l’ont rapidement suivie (Rhône-Alpes, Bourgogne, Franche-Comté, Poitou-Charentes). Dans ces régions, plusieurs territoires ont reçu des financements et/ou un accompagnement technique et stratégique, sans oublier les régions où les territoires bénéficient d’autres dynamiques, comme le Nord-Pas-de-Calais avec la Troisième révolution industrielle ou la Bretagne avec les Boucles énergétiques locales.
Aujourd’hui, avec les nouvelles régions, les politiques sont en train d’être redéfinies. Maintenir ou renforcer ces dynamiques régionales et y entraîner de nouveaux territoires est une question de priorité politique. Parmi les nouvelles régions, l’Occitanie est la première à avoir annoncé viser le 100% énergies renouvelables.
Quelles sont les préconisations stratégiques que vous proposez dans les années à venir ?
Le CLER – Réseau pour la transition énergétique, qui anime le réseau des territoires à énergie positive, porte des propositions politiques en faveur de la transition énergétique au niveau national. Nous estimons notamment que les collectivités locales ont besoin de moyens humains et de capacité d’investissement pour pouvoir à terme tirer tous les bénéfices de la transition énergétique : une dotation spécifique doit être allouée aux intercommunalités porteuses de Plans climat-air-énergie territoriaux, afin qu’elles puissent se doter en interne de l’ingénierie énergie-climat nécessaire et que leur stratégie et leurs actions soient aussi ambitieuses que possibles. Ce n’est pas une dépense publique de plus, mais un investissement largement rentabilisé sur le long terme. Le coût de l’inaction lui serait bien supérieur.
Crédit photo : Guillaume Murat