aspirations eradiquer pollution plastique se heurtent lobbyistes energies fossiles - Le Monde de l'Energie

« Les aspirations à éradiquer la pollution plastique se heurtent aux lobbyistes des énergies fossiles »

Le Monde de l’Énergie ouvre ses colonnes à Shérazade Zaiter, juriste internationale, enseignante à l’Université de Limoges et à l’École Supérieur de Commerce de Limoges, ambassadrice pour le Pacte Européen du Climat dans le cadre du Pacte vert de l’UE et autrice du récent article Comment l’industrie fossile influence les négociations mondiales sur le plastique, pour évoquer cette question de l’impact du lobby des groupes pétroliers sur les négociations environnementales et climatiques.

 

Le Monde de l’Énergie —Vous avez récemment publié un article sur limpact des lobbys du pétrole sur l’évolution des réglementations sur le plastique. Pouvez-vous nous en présenter les principales conclusions ?

Shérazade Zaiter —Mon article expose comment l’industrie fossile exerce une influence significative sur les négociations mondiales visant à réguler la pollution plastique. Actuellement, près de 99 % des plastiques sont dérivés du pétrole, ce qui a de graves conséquences sur l’environnement et la santé. En 2022, l’Assemblée des Nations unies pour l’Environnement a adopté une résolution historique visant à élaborer un instrument international juridiquement contraignant sur la pollution plastique. Cependant, les négociations ont rencontré des obstacles majeurs lors de réunions à Paris et à Nairobi en 2023. Certains pays, principalement producteurs de pétrole, ont entravé les discussions en se concentrant sur des questions de procédures plutôt que sur le fond du problème. Deux approches opposées émergent au sein des négociations : d’un côté, une coalition de haute ambition soutenue par la Norvège et le Rwanda, qui plaide pour un traité ambitieux couvrant l’amont (production de polymères) et l’aval (gestion des déchets); de l’autre, une coalition menée par l’Iran, avec des pays comme l’Arabie saoudite et la Chine, qui cherche à limiter le traité à la gestion des déchets et s’oppose à la régulation de la production.

Je souligne l’influence considérable des lobbyistes de l’industrie fossile lors de ces négociations. Les liens entre les États producteurs de pétrole et l’industrie plastique suscitent des préoccupations quant à la défense des intérêts commerciaux au détriment de l’environnement.

Je fais le parallèle avec la COP28,qui s’est tenue à Dubaï en novembre 2023, où un nombre record de lobbyistes liés aux énergies fossiles étaient présents. Ces groupes de pression s’opposent souvent à la transition vers une économie respectueuse du climat, de la santé et de la biodiversité.

Mon article met en lumière les défis complexes des négociations internationales entre l’industrie fossile, le climat et la pollution plastique. Les aspirations à éradiquer la pollution plastique d’ici 2040 se heurtent à des blocages diplomatiques et à une influence importante des lobbyistes des énergies fossiles. La question reste ouverte quant à savoir si les prochaines discussions à Ottawa en avril 2024 seront le début d’une véritable transformation ou simplement un nouvel acte dans le drame environnemental en cours.

Le Monde de l’Énergie —Les associations environnementales dénoncent souvent les actions d’un « lobby pétrolier » limitant la lutte contre le changement climatique, notamment à la dernière COP. Vos travaux et études valident-ils cet état de fait ?

Shérazade Zaiter —Lors des conférences des parties (COP) et d’autres négociations internationales sur le climat, ces associations expriment en effet souvent leurs préoccupations concernant l’influence exercée par les lobbies liés à l’industrie pétrolière et gazière.

À la COP28, il y a eu 2 456 lobbyistes liés aux énergies fossiles, c’est un record. Les associations environnementales critiquent cette augmentation, affirmant que cette influence accrue entrave la prise de décisions audacieuses et immédiates nécessaires pour lutter contre le changement climatique.

Les lobbies jouent un rôle important dans la représentation des intérêts diversifiés de la société, mais leur influence soulève des questions sur la transparence, l’équité et l’égalité d’accès aux décideurs politiques. Certains sont plus puissants que dautres, en raison de leurs ressources financières, de leurs réseaux dinfluence, ou de leur capacité à mobiliser lopinion publique. Ceux des grandes entreprises sopposent à l’environnement, car la transition vers une économie respectueuse du climat, de la santé et de la biodiversité les obligerait à revoir leurs modes de fonctionnement. ExxonMobil, Shell, Chevron, BP et Total ont dépensé un milliard de dollars en lobbying, depuis laccord de Paris sur le climat en 2015, selon un rapport de lONG britannique InfluenceMap, de mars 2019. Ces stratégies liées aux énergies fossiles bénéficient de budgets considérables, alors que les ONG disposent de ressources limitées.

Aux États-Unis, un registre unique de déclaration des lobbyistes a été instauré dès 1946, avec des renforcements ultérieurs, en 1995 et 2007. En Europe, la Commission reconnaît la représentation d’intérêts comme faisant partie du processus législatif, mais linscription sur les registres de transparence reste volontaire. En France, la loi Sapin II a reconnu le rôle des représentants d’intérêts, et les oblige à s’inscrire sur le registre de la haute autorité pour la transparence de la vie politique (HATVP). Ils doivent fournir un rapport semestriel sur leurs activités, et déclarer les montants dépensés et perçus.

Les décideurs politiques doivent maintenir un équilibre entre les intérêts des lobbies, y compris ceux des ONG, et l’intérêt général. Cela peut être réalisé en promouvant la transparence dans le processus de prise de décision, en instaurant des règles et des réglementations qui encadrent les activités de lobbying, et en accordant une attention particulière à la participation des citoyens et des groupes marginalisés dans les processus politiques. Il est important d’être conscients de ces influences, et de sinformer sur les différentes perspectives et intérêts en jeu.

Le Monde de l’Énergie —Dans quel domaine les groupes pétroliers tentent-ils le plus d’infléchir les décisions climatiques ?

Shérazade Zaiter —Les groupes pétroliers tentent principalement d’infléchir les décisions climatiques dans le domaine de la politique énergétique et des négociations internationales sur le climat. Voici quelques exemples:

  • Politiques énergétiques nationales et internationales : Les groupes pétroliers cherchent à influencer les politiques énergétiques pour maintenir la dépendance aux énergies fossiles, y compris le pétrole. Ils peuvent faire pression sur les gouvernements pour retarder la transition vers les énergies renouvelables et promouvoir des politiques qui favorisent l’exploitation et l’utilisation du pétrole.

  • Négociations climatiques internationales : Lors des conférences des parties (COP) et d’autres réunions internationales sur le climat, les groupes pétroliers peuvent exercer une influence pour affaiblir les accords contraignants visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à limiter le réchauffement climatique. Ils cherchent parfois à diluer les objectifs ou à freiner les initiatives qui pourraient réduire la demande de pétrole.

  • Désinformation et lobbying : Les entreprises du secteur pétrolier ont été accusées de financer des campagnes de désinformation sur le changement climatique. Elles peuvent également dépenser d’importantes sommes en lobbying pour influencer les décideurs politiques, tant au niveau national qu’international, afin de protéger leurs intérêts commerciaux.

Cependant, il est important de noter que certaines entreprises commencent à s’engager dans des initiatives durables et à reconnaître la nécessité d’une transition vers des énergies plus propres.

commentaires

COMMENTAIRES

  • Quel que soit le domaine discuté, il y a toujours des réactionnaires hostiles au moindre changement.

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  • Et ne pas oublier que quand des compagnies gazières s’engagent dans la production d’électricité éolienne c’est pour vendre du gaz les jours sans vent:
    éoliennes + centrales à gaz + modifications lourdes du réseau électrique = plus cher et beaucoup plus de CO2 que centrales nucléaires, mais présenté comme « économique », « vert » et « durable » puisque que le vent est renouvelable et le coute rien…

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