Aviation : décollage climatique imminent, les retardataires resteront cloués au sol !

Cet article a initialement été publié dans la newsletter Décryptage Mobilité du site Carbone 4.

La prise de conscience climatique de l’aviation

Les mentalités évoluent dans l’aviation, et elles évoluent vite. Jusqu’à récemment, le secteur se cantonnait à une position de déni, en se considérant être le bouc émissaire des écologistes, en se contentant de marteler sa « faible » part dans le total des émissions (entre 2 et 3%) et en rappelant la baisse de la consommation unitaire de carburant de chaque nouvelle génération d’appareils, omettant de signaler que la croissance du trafic faisait bien plus qu’annuler les gains technologiques.

Puis la solution est apparue sous la forme de la « compensation » carbone, avec la mise en place du mécanisme CORSIA (mécanisme pour l’instant volontaire de compensation de l’augmentation des émissions de CO2 liée aux vols internationaux par rapport à 2019/2020), et la communication sur les vols « neutres en carbone », leurs émissions étant « compensées ».

Une argumentation éminemment fragile, d’ailleurs pointée du doigt par la climatologue Valérie Masson-Delmotte [1] .

Le transport aérien se tourne maintenant vers les SAF (Sustainable Aviation Fuels), carburants alternatifs produits à partir de biomasse, voire synthétisés à partir de CO2 et d’eau avec de l’électricité décarbonée, comme en témoignent les annonces récentes d’un groupe de 60 acteurs du secteur [2] et de l’IATA avec son nouvel objectif Net Zero 2050 [3] .

Nous pouvons saluer cette progression de la maturité climatique du secteur, en quelques années.

Lui qui ne se sentait pas vraiment concerné par le sujet du changement climatique initialement s’en est finalement emparé, et désormais avec un engagement réel de décarbonation qui n’est pas gratuit : les SAF réduisent effectivement les émissions (contrairement à la « compensation ») et ne seront pas un levier rentable avant longtemps (les SAF coûtent 2 à 6 fois plus cher au moins que le kérosène fossile, selon l’ICCT [4] ) contrairement au renouvellement de flotte, qui se traduit par des économies de carburants.

Cependant, il y a encore des progrès à faire dans le plan de l’IATA :

  • La croissance du trafic demeure une hypothèse « non négociable ». Ainsi, IATA espère doubler le trafic de passager·es entre 2019 (dernière année sans COVID) et 2050, ce qui nécessiterait 450 milliards de litres de carburants alternatifs (65% des efforts de décarbonation). Or, le gisement de biomasse et d’électricité décarbonée est limité et sera confronté à une très forte concurrence des usages avec le reste du transport (routier, ferroviaire, maritime), le bâtiment, l’industrie, la chimie verte, pour ne citer que quelques secteurs. Il y aura donc une forte tension sur l’offre, exacerbée par le besoin de recourir à des biocarburants vérifiant tous les critères de soutenabilité (nombreux), notamment n’impliquant pas d’émissions en lien avec le changement d’usage des sols (voir notre précédent article à ce sujet).
  • Le levier de la « compensation » est toujours massivement utilisé, 19% des efforts de « décarbonation » selon IATA, surtout à court terme. La façon dont ce mécanisme est présenté est trompeuse, car la « compensation » carbone et les émissions induites sont des grandeurs différentes et ne peuvent pas se soustraire comme cela est fait actuellement (plus de détails avec la Net Zero Initiative).

Une accélération des industriels qui prend les régulateurs de vitesse !

Le secteur aérien a donc encore du mal à se débarrasser de ses démons du passé… Pour autant, si l’on se concentre sur le sujet des SAF, on constate que les annonces s’accélèrent. L’utilisation de SAF a longtemps été cantonnée à des vols démonstrateurs, ou à quelques vols bien définis (ex : vol Los Angeles-Amsterdam de KLM), et à ce titre représente moins de 0,1% du carburant utilisé. En juillet dernier, la Commission Européenne a proposé de faire monter l’ambition climatique d’un cran avec le Paquet Climat « Fit for 55 », comprenant un mandat d’incorporation de SAF de 2% en 2025 et de 5% en 2030 [5] , reprenant la feuille de route française à ce sujet [6] .

Cependant, avec l’engagement récent de 60 acteurs du secteur à viser 10% de SAF en 2030, dont certaines grosses compagnies européennes (British Airways, Iberia, KLM, DHL), le paquet « Fit for 55 » n’a pas encore été adopté qu’il commence déjà à être dépassé !

Ainsi, le Royaume-Uni vient d’annoncer dans son plan de décarbonation Net Zero Strategy un mandat d’incorporation de 10% de SAF pour 2030 [7] . Peut-être faudrait-il rehausser les ambitions de la France et de l’UE en conséquence ?

Cet engouement n’est pas qu’européen : parmi les acteurs de l’annonce, on peut noter les 3 majors américaines (American Airlines, Delta Airlines, United Airlines).

Cette participation n’est pas anodine et témoigne d’une réelle transformation des mentalités : Delta a récemment changé de politique de flotte en décidant de son renouvellement massif, et les commandes de SAF de plus en plus grosses pleuvent (ex : United s’est engagé sur l’achat de 5,7 milliards de litres sur 20 ans [8] ).

Ailleurs dans le monde, on pourra noter l’engagement récent des compagnies asiatiques (hors Chine et Inde) d’utiliser aussi 10% de SAF au sein de leur association AAPA [9] , et le fait que les 3 majors brésiliennes (LATAM, GOL, Azul) sont engagées à se définir des Science-Based Targets [10] .

Conclusion : s’adapter rapidement… ou périr

Le transport aérien est un secteur où la concurrence est très forte avec une grande visibilité sur les tarifs grâce aux comparateurs de vols. Jusqu’à présent les seuls critères de choix étaient le coût et la sécurité (ce dernier critère étant plutôt traité par les régulateurs comme la FAA et l’EASA).

avion-biocarburants-jpg

Alors que l’image du voyage aérien évolue, passant d’un mode de transport huppé et trendy à celui du mode de transport le plus intensif en carbone (flight shame ou avi-honte), un 3ème critère apparaît progressivement, celui des émissions des vols. Il est d’ailleurs déjà repris dans certains comparateurs de vols (EasyVoyages, Skyscanner).

Prises en tenailles par les régulateurs (européens pour l’instant) et par les client·es, les compagnies aériennes prennent le sujet de plus en plus au sérieux, et s’engagent plus fortement, avec des investissements conséquents sur le renouvellement de flotte ou l’achat de SAF.

Dans le contexte très concurrentiel de ce secteur, le critère climatique va de plus en plus peser sur la performance commerciale des compagnies.

Voilà un véritable risque de transition climatique… ou une opportunité pour celles qui s’engagent avec volontarisme dès maintenant.

commentaires

COMMENTAIRES

  • Complètement bidon tout ça…
    Aucune énergie ne sera aussi bon marché que le pétrole.
    Les biocarburants et carburants de synthèse seront très chers, et en quantité limitée. Leur utilisation ira en priorité à la compensation de la variabilité du solaire et de l’éolien.
    Quant à l’hypothèse de RNR pouvant être produits en série, étant plus complexes, il est peu probable que l’électricité qu’il en sorte un jour, si cela arrive (pas avant 20 ans, selon les résultats de la Chine dans ce domaine de recherche), soit meilleur marché que celle des réacteurs à l’U235, ce qui mettrait l’hydrogène à un prix élevé, dans tous les cas.
    Il n’y a plus du tout d’état stratège. « On » n’est plus capable de raisonner, de voir les choses les plus simples.
    « On » est les champions de la fabrication d’avions, mais « on » n’aura bientôt plus d’électricité pour nous éclairer. « On » en est déjà réduit à faire appel au maximum à tous nos voisins, à un prix extrêmement élevé, pour éviter le blackout.

    Répondre
  • Par ailleurs, le kérozène est toujours quasiment et scandaleusement exempté de taxes, hormis la TVA que l’on retrouve dans le prix du billet, ce qui constitue la faillite des états devant « le marché ».
    Il y a dans 1 litre de carburant pour voiture un ordre de grandeur de 70% de taxes, et dans un litre de kérozène: 17% de taxes (20/(100+20)), soit 4 fois moins.
    Le seul avenir pour l’aviation est une forte réduction du trafic, à l’opposé de ce que prévoient les « acteurs du secteur ».

    Répondre
  • J’approuve ce que dit Marc, je ne vais donc pas le paraphraser. J’insiste juste sur le fait que les SAF sont aujourd’hui des agrocarburants comme les autres. On est déjà confronté à plusieurs limites de leur utilisation, la concurrence pour l’occupation des terres agricoles et la déforestation amazonienne et indonésienne, le biogazole étant au plan mondial massivement issu de soja et d’huile de palme. La plupart des SAF sont des coproduits du biogazole, ceux issus de résidus lignocellulosiques risquent de provenir d’autre chose que de déchets et résidus si la demande est trop forte, problème de limite aussi pour ceux issus de la conversion de l’éthanol ou du méthanol. N’oublions pas que pour hydrogéner des huiles il faut de l’hydrogène et que pour que cet hydrogène soit vert il faudra beaucoup, beaucoup d’électricité. Des articles sont parus récemment sur les possibilités de synthèse de kéro à partir d’hydrogène et de CO2 puisé dans l’atmosphère, ces procédés de e-fuel sont séduisants car tout le monde est bien conscient des limites d’utilisation de la biomasse. L’atmosphère ne contenant que 0.04% de CO2 son piégeage est extrêmement consommateur d’énergie et coûteux sur les quelques installations pilotes existantes. Un pis aller serait de prélever ce CO2 dans les fumées industrielles, c’est moins coûteux mais moins vertueux car on ne fait là qu’utiliser une deuxième fois un carbone déjà émis (même défaut que les projets de méthanation). Quoiqu’il en soit on doit faire pour tout cela des quantités gigantesques d’hydrogène vert et on n’a pas encore commencé!

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