Marché britannique des renouvelables : la blockchain peut-elle atténuer un potentiel « Brexit dur » ?
« Le Brexit signifie le Brexit » était un slogan célèbre de la Première Ministre britannique Theresa May lorsqu’elle est entrée en campagne pour prendre la relève du 10 Downing Street, le 11 juillet 2016. Tout au long des dernières semaines précédant son départ, Madame May a également engagé le Royaume-Uni vers la neutralité carbone d’ici 2050 en modifiant la loi sur le changement climatique, le Climate Change Act. La combinaison du Brexit et de l’objectif de réduction des émissions est un signe affiché d’un désir pour une plus grande « souveraineté énergétique » sur le marché de l’énergie post-Brexit. Décryptage proposé par Alastair Marke
Actuellement, le Royaume-Uni importe de l’électricité de 27 pays de l’UE, principalement de la France, de l’Irlande et des Pays-Bas. Quatre câbles électriques internationaux, appelés « interconnexions », relient le réseau britannique à ces pays. Ils ont une capacité de 4 gigawatts (GW) et fournissent environ 6% à 10% de l’alimentation totale de la Grande-Bretagne. Avec 11 nouvelles interconnexions reliant le Royaume-Uni et d’autres pays européens, dont le Danemark, l’Allemagne et la Belgique, dans le cadre de contrats en cours ou prévus, ce pourcentage devrait dépasser les 20% d’ici 2025.
Les connexions énergétiques existantes ou à venir au Royaume Uni
Que le Brexit soit «soft (doux)» ou «hard (dur)», des modifications de ces connexions avec l’Europe continentale seront inévitables. En effet, le Brexit représente un risque menaçant pour le commerce transfrontalier de l’énergie (renouvelable), car le marché unique de l’électricité ne peut pas continuer en l’état. Il est presque impossible pour le Royaume-Uni d’atteindre son objectif d’émissions pour 2050 (même si le Royaume-Uni choisit d’abandonner après le Brexit, l’objectif de 32% d’énergies renouvelables à 2030 fixé par l’UE) sans les interconnexions qui transmettent de l’énergie, à partir d’énergies renouvelables, bien que de manière intermittente.
Renouveler le commerce futur de l’énergie
Si le Royaume-Uni quitte l’Union européenne sans un accord sur de futurs accords commerciaux sur l’énergie, toutes les règles de l’UE en matière de réglementation du marché de l’énergie cesseront de s’appliquer au Royaume-Uni. Cela signifie que les opérateurs basés au Royaume-Uni ne pourront plus bénéficier des importations d’électricité en provenance de l’UE, exemptes de tarifs douaniers. L’imposition de taxes sur les importations d’électricité (renouvelable) entraînera certainement, après le Brexit, une hausse du prix de l’énergie pour les consommateurs britanniques..
Les incertitudes entourant l’accord de retrait ont peut-être déjà entraîné une augmentation moyenne de la facture énergétique des ménages de 75 £, depuis le référendum. Un Brexit sans accord ajouterait en moyenne 61 £ de plus par an à cette facture. En même temps, des investissements privés inadéquats, en raison de l’incertitude des politiques, pèsent sur les perspectives d’avenir des projets d’énergies renouvelables classiques à forte capitalisation au Royaume-Uni.
Souveraineté et blockchain
Pour assurer une plus grande « souveraineté énergétique », ou du moins stabiliser les prix de l’énergie après le Brexit, il n’a jamais été plus stratégique pour le Royaume-Uni que de poursuive la «décentralisation» de son marché de l’énergie. Les barrières initiales au développement d’un marché décentralisé des énergies renouvelables, notamment (1) la fiabilité (ou la confiance) des futurs consommateurs et (2) le sous-investissement, pourraient être levées avec l’avènement de la technologie de la blockchain.
Des milliers de mots pourraient être nécessaires pour expliquer en détail la technicité de la blockchain. Cependant, la définition la plus courte de la blockchain est qu’il s’agit d’un registre distribué regroupant les transactions en blocs, enchaînées chronologiquement. Ces blocs sont vérifiés et ne peuvent être ni modifiés ni supprimés sans modifier toutes les transactions qu’ils contiennent. C’est ce que l’on appelle «l’algorithme de consensus», qui rend les blocs très sécurisés et garantit la protection des commerçants et des consommateurs sans intermédiaire tiers.
La recette pour une décentralisation totale du marché de l’énergie repose sur la fusion de la blockchain et l’Internet des objets (compteurs intelligents, par exemple) avec une production d’énergie renouvelable abordable (par exemple, des panneaux solaires sur le toit) et du matériel de stockage (par exemple, des batteries). La Blockchain peut aider à simplifier la structure de tarification et à déterminer l’origine des énergies renouvelables par le biais de la négociation poste à poste (P2P) dans un micro-réseau communautaire.
Le premier micro-réseau au monde s’appuyant sur la blockchain est le micro-réseau de Brooklyn, créé en 2016 par LO3 Energy, auquel participe Molly Webb, membre du groupe de travail sur les énergies renouvelables du Blockchain & Climate Institute (BCI). Le micro-réseau de Brooklyn permet aux résidents de vendre, en toute confiance, leur surplus d’énergie à leurs voisins en tirant parti de la blockchain, notamment sous la forme de «contrats intelligents». Ces programmes sont essentiellement auto-exécutables et facilitent l’échange de tout ce qui a de la valeur. Ils automatisent le commerce de l’énergie P2P en fournissant un marché automatisé où des voisins peuvent faire des offres entre eux pour acheter de l’énergie renouvelable.
La crypto-monnaie est un outil important pour intensifier le mouvement de décentralisation. NRGcoin en est un exemple, créé par Enervalis en Europe et dans lequel le Dr Mihail Mihaylov, autre membre du groupe de travail sur les énergies renouvelables du BCI, est profondément impliqué. NRGcoin vise en partie à remédier aux angles morts des systèmes de facturation nette et de tarification à la consommation, qui récompensent en réalité la production excessive d’énergie verte dans un quartier. Il s’agit en définitive d’un mécanisme décentralisé reposant sur des contrats intelligents passés avec de multiples parties prenantes, notamment les services publics, les opérateurs de réseau, les opérateurs de systèmes distribués, et bien sûr, les acheteurs et les vendeurs d’énergie.
Le diable est dans les détails
Ceci étant dit, ce seront les détails du chapitre sur l’énergie de l’Accord final de Retrait de l’UE qui détermineront la nécessité d’une décentralisation rapide du marché de l’énergie au Royaume-Uni. L’application de la blockchain a indéniablement une capacité limitée d’influence sur les négociations en cours sur le Brexit. Un Brexit dur ne peut être assoupli pour le marché britannique de l’énergie que si les prosommateurs britanniques sont prêts à rejoindre le mouvement de la blockchain.