« La chaleur a aussi des effets importants sur les réseaux de transport et de distribution »
Dans cet entretien pour Le Monde de l’Énergie, Vincent Maillard, président d’Octopus Energy France, revient sur l’impact des pénuries d’eau et des vagues de chaleur sur le secteur énergétique.
Le Monde de l’Énergie —Le gouvernement a récemment lancé un grand plan visant à économiser 10 % de la consommation d’eau en France d’ici 2030. Les possibles pénuries d’eau affectent aussi le secteur de l’énergie. L’impact le plus direct serait sur la production hydro-électrique : quel pourrait être son ampleur, et quelles mesures de remédiation pourrait limiter cet impact ?
Vincent Maillard —La situation s’est améliorée ces dernières semaines. Les stocks se sont globalement reconstitués à des niveaux satisfaisants en France, et se rapprochent d’un niveau normal dans les pays nordiques, qui possèdent la plus grosse réserve hydraulique européenne. Néanmoins, l’été est une période cruciale car l’eau y est contrainte par d’autres usages : touristique, irrigation, maintien des étiages etc. Et au sortir de l’été, il peut y avoir des périodes sèches assez longues, et ce, jusqu’au mois de novembre.
Sur les dix dernières années, la production hydraulique en France a oscillé entre 50 et 75 TWh. Un écart de 25 TWh (soit en gros la production de trois réacteurs nucléaires) qui est quand même très important, d’autant que la production hydraulique est plus concentrée pendant les périodes critiques de la pointe d’hiver.
Le Monde de l’Énergie —L’eau est également nécessaire pour refroidir les centrales fonctionnant sur un principe thermique (gaz, charbon, biomasse, nucléaire…). Dans quels cas une pénurie ou un stress hydrique peut avoir des conséquences sur ces équipements ?
Vincent Maillard —On ne peut se passer d’eau. Il y a des cas exceptionnels où l’on utilise l’air pour refroidir des centrales thermiques, mais cela se fait au prix d’une baisse du rendement et dans des lieux loin des habitations (car chauffer l’air avec l’équivalent de plusieurs centaines de milliers de radiateurs électriques va directement impacter les populations voisines).
En cas de manque d’eau ou de contrainte sur les températures des fleuves, les centrales devront s’arrêter tout simplement. Dans certains cas, le stress hydrique peut affecter indirectement les centrales à base d’énergie fossile ou de biomasse importée car les combustibles sont transportés par des barges et, si les fleuves sont trop bas, les barges ne peuvent plus circuler. Là encore, l’intégrité ou la sécurité des centrales n’est pas affectée, mais leur capacité à produire, oui.
Le Monde de l’Énergie —Un refroidissement en circuit ouvert ne « consomme » pas d’eau, mais il est touché par les hautes chaleurs en raison des limites de température de rejet dans les cours d’eau. Comment faire face à ces contraintes ?
Vincent Maillard —Il y a deux types de fonctionnement, l’un avec des aéroréfrigérants (les grandes « tours » que l’on voit à côté des centrales d’où sortent un panache de vapeur) dit en circuit fermé, l’autre en circuit ouvert (sans tours). Dans le premier cas des circuits ouverts on ne chauffe pas l’eau du fleuve mais on prélève de l’eau qui est ensuite vaporisée (pour environ 1 m3/s pour un réacteur moyen). Dans le second cas, on prélève de l’eau, la réchauffe de quelques degrés et on la restitue.
Le circuit ouvert ne pose pas de problème quand on puise et que l’on rejette dans la mer. La question se pose quand la centrale est sur un fleuve, même de gros débit comme le Rhône. En effet, en été, l’eau des fleuves est déjà plus chaude, le débit du fleuve est plus faible et donc on va moins pouvoir diluer de l’eau réchauffée avec de l’eau déjà chaude. Dans ce cas, c’est la vie de la rivière qui peut être menacée. En théorie si les limites réglementaires de réchauffement et de températures sont atteintes, la centrale devrait donc s’arrêter. Toutefois, en pratique le gouvernement, en cas de crise grave, prendrait un arrêté exceptionnel. C’est déjà arrivé.
Une autre contrainte qui est moins souvent évoquée est liée au débit des centrales en circuit ouvert. En deçà d’un certain débit, rarement atteint historiquement, les centrales devront s’arrêter. Pour cela, des réservoirs hydrauliques amont ont été prévus pour certains réacteurs (Civaux, Chooz, Cattenom étant des cas typiques). Reste à savoir si cela est suffisant…
Le Monde de l’Énergie —Quel impact auront les hautes chaleurs sur les infrastructures réseau, et en particulier les lignes à très haute tension ? Comment y remédier ?
Vincent Maillard —La chaleur a aussi des effets importants sur les réseaux de transport et de distribution. Les câbles étant métalliques se dilatent avec la chaleur, et donc s’affaissent. Vous l’avez sans doute déjà constaté d’ailleurs. Mais faire transiter de l’énergie fait aussi chauffer encore plus les câbles (effet Joule) et donc les dilate encore plus. Or, pour des raisons de sécurité, une distance minimale avec le sol doit être respectée. Dans ce cas, la seule mesure pratique consiste à diminuer le transit électrique sur la ligne, mais à consommation égale cela veut dire que l’énergie doit passer par ailleurs…
C’est d’autant moins simple en été que le réseau est plus contraint dans sa gestion du fait qu’il y a moins de centrales disponibles (les entretiens de centrales sont principalement effectués l’été).
Et puis, pour rajouter une couche de difficulté, la demande peut être plus importante en cas de vague de chaleur du fait de l’appel à la climatisation. Ce qui fait encore plus chauffer les câbles aériens. Ce phénomène est particulièrement sensible sur le réseau de distribution.
Le premier remède, comme toujours, sera la sobriété : si les gens utilisent des ventilateurs plutôt que des climatiseurs, mettent à profit la climatisation naturelle via le cycle nocturne, des stores bien placés etc., on peut déjà largement diminuer le problème. Par ailleurs, il faudra sans doute renforcer les réseaux pour les adapter (dans certains cas aussi, l’enfouissement peut réduire le problème).
Enfin, le rapprochement des sources de production des sources de consommation jouera un rôle important. Là encore, il n’y aura pas de solution unique mais un panel de solutions.
Le Monde de l’Énergie —Quelles autres mesures préconisez-vous pour faire face à la montée attendues des températures et sur les possibles pénuries d’eau ?
Vincent Maillard —Je suis persuadé qu’une sobriété énergétique et dans la consommation, qui induit un changement considérable des habitudes mais pas une régression, est la solution de moindre coût : cela nous coûtera moins cher car nous consommerons moins !
Il y aura aussi des solutions techniques, il faut favoriser les solutions naturelles. Par exemple, désartificialiser les sols et laisser (ou replanter) un arbre à feuilles caduques peut tout changer. Un sol naturel retient l’eau, qui en s’évaporant va maintenir une température plus agréable, l’arbre protégera la maison des rayons du soleil, tout en laissant le soleil la réchauffer, en hiver, quand ses feuilles sont tombées.
Il faudrait aussi donner davantage de principes de physique élémentaires aux gens. Dans mon bureau par exemple, le bailleur a installé les stores à l’intérieur des fenêtres. Sauf qu’il est trop tard : la chaleur est déjà entrée. Et j’ai malheureusement du mal à le convaincre de les mettre à l’extérieur…
COMMENTAIRES
Et oui, bien sûr, mais ça ne semble pas émouvoir beaucoup de monde. J’ai connu personnellement des périodes où aux côtés de réseaux que ce soit de cables ou de tuyauterie, la France a favorisé les solutions décentralisées avec donc production d’électricité ou/et de chaleur et consommation sur site de production. On n’appelait pas encore ça circuit court, mais on ne pouvait pas faire mieux pour aller dans cette direction puisque quelques m de cables et de tuyauterie faisaient l’affaire. Or, nous sommes en plein changement climatique avec tout ce que ça signifie, températures -puies-vents extrêmes et à chaque fois que ça se produit des pans entiers de territoires se retrouvent isolés. Naturellement les ENRi sont totalement impuissantes à règler le problème, mais il existe des ENRp, qui réparties par certaines sur le territoire pourraient être utilisés comme de simples groupes électrogènes, mais des groupes fixe, amortissables à la fois sur de coutres périodes (HPtes par exemple) et même sur un temps minimum de 4000 à 5000h pour permettre de les amortir financièrement. Voilà une solution pour permettre à la fois des économies de réseau, en utilisant des combustibles renouvelables dans des installations de petite et moyenne taille sans obligation de priorité d’accès au réseau mais au contraire avec des capacités de production rapides à mettre en oeuvre et capables de réguler en puissance. Concernant le gaz, et singulièrement le biogaz, il est désormais à un fort pourcentage injecté sous forme de bio-méthane dans les tuyauteries des gaziers concernés, application pas forcément la plus pertinente en coût. Notons aussi que l’électricité ne pose pas de problème de transport, mais la chaleur elle voyage moins bien et donc la partie de bio-méthane injectée et servant à faire de la chaleur voyage de la même manière. Vous avez dit économie circulaire ? C’est un peu abusif ! Enfin et pour en finir, mais je me censure d’autres arguments, on me dit que les centrales nucléaires vont manquer d’eau pour donner leur meilleures performances. Normal puisque l’électricité nucléaire est produite à base de vapeur d’eau, laquelle exige de l’eau à bas niveau de température et en quantité proportionnelle à la puissance électrique délivrée ou plus précisément de façon proportionnelle à la partie d’energie non convertie en électricité, donc convertie en chaleur à éliminer ( pas de récupération possible en raison des énormes quantité de chaleur à éliminer, ce qui devrait inciter à se pencher davantage sur les SMR de petite taille) . Il y a un homme incontournable car de talent difficilement discutable en matière d’energie en France qui affirme ne rien proposer d’autres que de respecter les lois de la physique élémentaire. Je n’ai pas d’autre ambition.