Le charbon, bientôt propre depuis un siècle
Article de Thibault Laconde, du site Energie & Développement.
Dans son premier discours sur l’état de l’union, en janvier, Donald Trump a fait l’éloge du « beau charbon propre » (« beautiful, clean coal ») américain.
Même lavé, le charbon n’est pas propre…
En France, l’expression « charbon propre » se rencontre depuis le début de la Révolution Industrielle, mais dans le sens originel de l’adjectif : le charbon est propre à tel ou tel usage.
Le bois de bourdaine, par exemple permet de produire un charbon léger propre à la fabrication de poudre, raison pour laquelle un arrêté de l’an II en interdit la vente.
Au début du XXe siècle, un nouveau sens apparaît : dans des publications techniques, charbon proprecommence à désigner un charbon à faible teneur en cendre, c’est-à-dire un charbon qui va donner moins de résidus solides après sa combustion et qui, par conséquent, aura une meilleure densité énergétique.
C’est aussi à cette époque que le terme clean coal apparait dans le monde anglophone avec une signification comparable, comme en témoigne par exemple cette étude parue aux États-Unis en 1918 (et disponible en ligne ici) : « Charbon propre : les effets de la teneur en cendre sur l’efficacité thermique ».
« Charbon propre » est à l’époque plus ou moins un synonyme de « charbon lavé » : à la sortie de la mine, le charbon est plongé dans un liquide de densité assez élevée pour qu’il y flotte alors que les pierres et les impuretés elles tombent.
Ce processus, apparu au milieu du XIXe siècle, permet de diminuer les résidus restant après la combustion.
Mais en dépit du lavage, la teneur en cendre du charbon reste toujours d’au moins quelques pourcents, parfois plus de 10%.
La gestion de ce résidu est un des problèmes environnementaux majeurs posés par l’utilisation de charbon : les cendres peuvent contenir de nombreux éléments toxiques comme du plomb ou de l’arsenic. Le charbon même lavé est donc loin d’être propre…
Même si il est un peu éclipsé par la pollution atmosphérique et les émissions de gaz à effet de serre, ce problème n’est pas réglé aujourd’hui : en 2016, les États-Unis ont produit un peu plus de 100 millions de tonnes de cendres de charbon.
La moitié environ finissent dans des décharges ou des bassins de rétention et l’administration Trump souhaite autoriser leur rejet dans les rivières…
Le charbon propre, phénix marketing
Au début du XXe siècle, le charbon propre est évidemment un argument commercial : un charbon avec une faible teneur en cendre contient plus d’énergie pour le même poids.
L’expression « clean coal » se retrouve ainsi dans la publicité. C’est le début d’une longue carrière commerciale pour le « charbon propre » :
Propre et préparé avec soin… Ça donne envie, non ? Et c’est de bonne guerre puisque à l’époque l’adjectif propre désigne réellement une caractéristique du charbon vendu.
L’expression « charbon propre » fait un retour dans les années 70 avec l’apparition de filières concurrentes pour la production d’électricité et la montée des préoccupations écologiques (épuisement des ressources, pluies acides, pollutions atmosphérique et encore marginalement climat).
Cependant l’expression a changé de sens : elle ne fait plus référence à une qualité du charbon mais aux performances environnementales supposé de son utilisation. Désormais, tous les charbons peuvent être propres à condition d’employer les bonnes technologies.
Par conséquent, le charbon propre cesse d’être un argument mis en avant par une entreprise pour se différencier des autres producteurs et devient le slogan de tout un secteur.
C’est par exemple le cas avec cette campagne de 1979 :
« Le charbon peut-il être nettoyé avant d’être brûlé ? Oui. Aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur » clame cette campagne publiée dans le Wall Street Journal. Laver le charbon, nous dit l’annonce, n’est pas nouveau.
Mais cela devient plus efficace et plus rentable grâce à une nouvelle méthode – méthode qui certes est encore en phase de test.
C’est une autre grandes caractéristiques du charbon propre depuis cette période : il n’est pas encore tout-à-fait propre mais il est va le devenir d’un instant à l’autre…
En 2003, le discours n’a toujours pas bougé : un encart paru dans le New York Times annonce « aussi bien le Département de l’Energie que les experts du secteur privé pensent qu’une centrale à charbon zéro-pollution sera prête à entrer sur le marché dès 2020 » :
Si le discours reste remarquablement constant, le sens qu’il donne au terme « charbon propre » évolue : dans les années 2000, il est de plus en plus clairement associé à une technologie : la capture et la séquestration du carbone.
En 2005, GE préfigure le « beautiful coal » de Trump et rend le charbon « plus beau tous les jours » à coup de porno soft sur fond d’une chanson folk de 1946 dénonçant l’exploitation des mineurs. Du grand art…
En 2007, l’industrie du charbon s’engage même à laver plus blanc que blanc (« beyond clean ») :
L’heure de gloire du charbon propre
Cette dernière publicité a été payée par une association appelée Americans for Balanced Energy Choices, littéralement Américains pour des choix énergétiques équilibrés… Vous l’aurez compris il s’agit d’un lobby pro-charbon.
En 2008, l’association décide de se renommer American Coalition of Clean Coal Electricity (Coalition américaine pour l’électricité au charbon propre).
On est en plein dans la campagne présidentielle américaine qui amènera Barack Obama au pouvoir et pendant la préparation de la conférence sur le climat de Copenhague, alors le lobby ne regarde pas à la dépense : l’ACCCE dépense plusieurs dizaines de millions de dollars de pour faire la promotion du charbon propre (dont au moins 35 pour peser sur les élections américaines).
A défaut de convaincre, cela fait au moins parler : l’historique des recherches sur Google montre que le terme « clean coal » n’a jamais été aussi recherché qu’en 2008 :
Le charbon propre, chimère politique
L’intérêt est ensuite retombé rapidement. Il faut dire que derrière l’enthousiasme des communicants, les projets de charbon propre ont une longue tradition d’échec :
- FutureGen dans l’Illinois a réussi l’exploit d’être annulé par l’administration Bush puis à nouveau par Obama,
- En Australie, le projet ZeroGen a été liquidé en 2011 malgré un budget de près de 3 milliards d’euros,
- AEP, le plus gros consommateur de charbon aux Etats-Unis a abandonné l’idée après une expérimentation ratée dans sa centrale de Huntington,
- celle d’Edwardsport dans l’Indiana fonctionne mais pour un coût prohibitif de 3.5 milliards de dollars,
- de même au Canada Boundary Dam a surtout démontré que le charbon propre n’a pas de modèle économique,
- le projet de Kemper County dans le Mississipi a été abandonné après 7.5 milliards de dollars de dépense,
- au Texas les fonds publics destinés à développé le charbon propre ont servi à payer des voyages en première classe et de l’alcool.
Cette liste n’est certainement pas exhaustive…
Si malgré ces échecs le charbon propre revient périodiquement à la mode, c’est parce qu’il a une répond à un problème politique bien précis : l’incapacité à faire un choix entre l’évidence du changement climatique et un attachement économique, stratégique ou affectif au charbon.
Pour que ces deux réalités puissent coexister, il faut que le charbon propre existe. Et s’il n’existe pas il faut l’inventer.
C’est particulièrement évident dans cette vidéo australienne :
C’est également pour cette raison que Donald Trump vante lui aussi le charbon propre.
Lorsqu’il a annoncé sa décision de sortir de l’Accord de Paris, il l’a fait au nom des industries fossiles américaines mais sans remettre en cause l’existence du changement climatique.
Lui, et son administration, ressentent cette dissonance cognitive, pour la résoudre il faut bien que les énergies fossiles puissent devenir propres.
Le mythe du « charbon propre » ne disparaîtra qu’avec l’attachement que certains pays et communautés vouent au charbon lui-même.
Le problème, c’est que les négociations internationales sur le climat s’efforcent d’être neutres technologiquement : elles prétendent fixer des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre sans jamais parler du sort des activités qui les émettent, et de leurs salariés.
Ce non-dit créé une tension propice à l’apparition de fausses solutions comme la capture du carbone.
S’il y a quelque chose à apprendre de l’attitude de Trump sur le climat et du retrait américain de l’Accord de Paris, c’est peut-être ça : il est temps que les discussions portent aussi sur les moyens.