Le charbon caché de l’Union européenne
Par Michel Gay et Jean-Pierre Riou
L’augmentation de la part des énergies renouvelables intermittentes (EnRI) dans la production d’électricité en Europe ont amené l’Union européenne (UE) à développer des interconnexions pour aller chercher hors d’Europe des productions pilotables, y compris avec du… charbon, qu’elle veut supprimer sur son sol.
Ces interconnexions lointaines permettront d’évacuer ses surplus d’électricité d’EnRI les jours de soleil et de grand vent, et de sécuriser son approvisionnement rendu instable… par ces mêmes EnRI.
La stabilité des moyens pilotables
Selon Eurostat, le formidable développement des énergies intermittentes n’a pas permis la fermeture de la moindre capacité pilotable installée depuis 2000.
Au contraire, cette dernière a augmenté de 53,6 GW jusqu’en 2012 puis a décru de nouveau de 38,6 GW. Cette récente diminution menace la stabilité de l’alimentation électrique de l’UE ce qui a inquiété les 10 principaux électriciens européens en octobre 2018.
En effet, les gestionnaires du réseau européen (ENTSO-E) prévoyaient que l’équilibre ne serait plus assuré en cas de période de froid rigoureux. Près de la moitié des pays membres (19 sur 43, dont la France et l’Allemagne) risquerait alors de dépendre des importations au même moment.
Le discret retour du charbon…
Le système d’échange de quotas d’émissions de l’Union européenne (SEQU-UE) favorise la compétitivité des énergies non carbonées par une taxe carbone au sein des 28 pays de l’UE, plus l’Islande, le Lichtenstein et la Norvège.
Mais l’UE a programmé une augmentation de 31% des capacités d’interconnexion avec 15 pays voisins (au Moyen Orient, en Afrique du Nord et dans les Balkans) qui ne payent pas la taxe carbone, et où le charbon compétitif domine.
Selon le rapport Sandbag “Comment le charbon s’infiltre dans l’UE”, plus de 57 gigawatts (GW) de centrales à charbon ont été récemment construites ou sont planifiées dans des pays connectés au réseau de l’ENTSO-E, dont notamment 34 GW en Turquie.
De plus, d’ici 2025, cinq nouveaux pays (Égypte, Tunisie, Libye, Israël et Moldavie) devraient être connectés à l’ENTSO-E : aucun ne paye la taxe carbone.
Ces pays seront donc incités à produire plus d’électricité avec du charbon pour alimenter l’UE qui développe à grands frais des productions intermittentes.
Mais surtout, ces échanges lointains montrent que l’UE doute de sa propre politique de réduction des émissions de CO2 puisqu’elle prévoit discrètement une réserve de production pilotable « externe » fondée sur le charbon de ses « voisins » en soutien de l’intermittence de sa propre production renouvelable fatale.
Fuite en avant et fragilisation
Les surplus indésirables des énergies intermittentes trouveront assurément plus de débouchés car leur prix s’effondre jusqu’à devenir négatif dès que le vent souffle et que le soleil brille comme l’a dénoncé France Stratégie.
L’UE, focalisée sur sa production d’énergie renouvelable, feint d’ignorer qu’elle suscite l’essor du charbon en délocalisant le problème. Elle entame ainsi une fuite en avant vers des systèmes de moins en moins stables et toujours plus lointains.
Et personne ne semble voir l’absurdité de ce système kafkaïen au sein de l’UE…
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