Le chauffage électrique en France, une bonne idée pour le climat ?
Analyse signée Kevin Arnoux, ingénieur.
La future réglementation thermique des bâtiments, dite RE2020, a été récemment présentée par le gouvernement. Cette dernière prévoit des seuils d’émissions[1] qui vont de fait exclure le chauffage au gaz (et a fortiori au fioul) dans les nouvelles maisons dès 2021 et dans les nouveaux logements collectifs d’ici 2024.
Le futur du chauffage sera-t-il électrique ?
Le chauffage est actuellement responsable de 75% des émissions de CO2 du secteur résidentiel en France, il s’agit donc d’un poste clef pour réduire nos émissions.
Emission de CO2 du secteur résidentiel par usage en France entre 1990 et 2017
Quelques chiffres
Le chauffage résidentiel se fait actuellement majoritairement au gaz (39%), au bois (27%), à l’électricité (14%, y.c. pompes à chaleur) et au fioul (13%)[2] .
Concernant la pertinence climatique du chauffage électrique, même si notre mix électrique est globalement décarboné (57gCO2/kWh, un des plus bas d’Europe), il faut bien prendre en compte l’utilisation des centrales fossiles (gaz, fioul et charbon) lorsque la demande électrique augmente en hiver.
Pour cela, plusieurs méthodes de calcul sont possibles : celle utilisée jusqu’ici par l’ADEME[3] (dite « saisonnalisée par usage ») aboutit à une valeur de 147gCO2/kWh[4] . C’est un chiffre qui peut sembler élevé, mais cela reste 55% de moins qu’une chaudière au fioul et 28% de moins qu’une au gaz !
A titre de comparaison, le seul chauffage fossile (gaz ou fioul) dans le résidentiel émet chaque année 50MtCO2 en France tandis que l’ensemble du système électrique français n’émet lui que 20MtCO2.
Emissions de gaz à effet de serre (gCO2eq) pour la consommation d’un kWh PCS de chauffage
Source : http://www.carbone4.com/analyse-chaudieres-gaz-climat/
Cependant, cette méthode est considérée aujourd’hui comme obsolète par l’ADEME elle-même. En reprenant les calculs via deux autres méthodes jugées préférables, elle trouve désormais 79gCO2/KWh[5] . Ce chiffre sera celui utilisé dans la future réglementation thermique des bâtiments neufs : la RE2020 évoquée plus haut.
Une de ces méthodes de calcul, dite « incrémentale avec adaptation du mix électrique » prend en compte une électrification de 3 millions de logements en plus d’ici 2035 tout en considérant les évolutions de notre mix électrique. Cette méthode (qui aboutit aussi à 80gCO2/kWh) est donc parfaitement adaptée pour éclairer les choix de politique énergétique.
A noter que pour pouvoir accompagner ce développement, il faudra aussi retrouver des marges sur le réseau électrique, actuellement dimensionné au plus juste en termes de capacité de production disponible.
Evolution des marges du réseau électrique dans le cas de base du Bilan prévisionnel
Source : BP RTE 2019, https://assets.rte-france.com/prod/public/2020-06/bp2019_synthegse_12_1_0.pdf
Neutralité carbone en ligne de mire
On pourrait objecter qu’une solution consisterait à remplacer ce gaz fossile par du gaz renouvelable (actuellement 2% du gaz consommé en France). Cependant, le potentiel de méthanisation (fermentation de déchets agricoles) à 2050 n’est que de 30% de la consommation actuelle de gaz en France (tous secteurs confondus)[6] .
Les autres procédés utilisant soit du bois (dont la ressource est limitée et pas sans impact sur la biodiversité, nous en parlerons plus tard) soit de l’électricité (via l’électrolyse/méthanation, avec de 45% de perte[7] , autant utiliser cette électricité dans une pompe à chaleur[8] ).
Cette décarbonation (qui ne serait de plus effective qu’en 2050) est donc difficile. C’est pourquoi, même s’il faut fortement encourager la méthanisation, la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC)[9] prévoit une diminution de 60% de la consommation de gaz pour pouvoir atteindre la neutralité carbone d’ici 2050[10] .
On constate que le chauffage électrique est largement préférable au chauffage fossile (quand on possède un mix électrique décarboné comme en France). Cependant, il existe encore mieux : les pompes à chaleur (consommation électrique divisée par 3 en moyenne), le bois (s’il est géré durablement), les réseaux de chaleur urbain (en particulier pour les logements collectifs) ainsi que, pour les zones géographiques et les usages où ces technologies sont adaptées, le solaire thermique et la géothermie.
C’est d’ailleurs ce que préconise la SNBC et se trouve confirmé par la RE2020 qui prévoit des limites sur la part non renouvelable dans le chauffage.
Attention cependant, le chauffage au bois individuel contribue à 30% de la pollution aux particules fines. Pour limiter cela, Il faut privilégier les équipements récents (type label Flamme Verte) et un bon entretien[11] .
Facteurs d’émissions de particules des appareils de chauffage au bois en g/kWh
Une RE2020 pas suffisante
De plus, le bois est une ressource limitée et doit donc être utilisé avec parcimonie afin maintenir une gestion durable de nos forêts et éviter un impact trop important sur la biodiversité dans le cadre d’une utilisation massive du bois énergie[12] .
Pour que la France respecte ses engagements climatiques dans le secteur du bâtiment (deuxième plus gros émetteur avec le transport), sur lequel elle est actuellement en retard sur ses objectifs[13] , il est primordial de mettre en place ces types de chauffage.
Ceci dit, compte tenu du faible taux de renouvellement du parc de logement, la RE2020 n’est pas suffisante et l’effort doit aussi porter sur l’existant via des aides au remplacement des chaudières fossiles.
Enfin, il est indispensable d’accompagner ces mesures d’un grand programme d’isolation des logements qui permet aussi de limiter la précarité énergétique.
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[1] 4kgCO2/m2/an dès 2021 pour les maisons individuelles et 14kgCO2/m2/an en 2021 puis 6kgCO2/m2/an en 2024 pour les logements collectifs
[2] Source : http://www.carbone4.com/wp-content/uploads/2020/06/Publication-FE-Chaleur-et-e%CC%81lectricite%CC%81-.pdf
[3] Agence De L’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie
[4] Voir la base carbone de l’ADEME : https://www.bilans-ges.ademe.fr/fr/basecarbone/donnees-consulter
[5] Voir la note https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/fiche-technique-ademe-contenu-co2-electricite-2020-v2.pdf
[6] Voir l’étude ADEME, « Gaz 100% renouvelable en 2050 ? », https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/france-independante-mix-gaz-renouvelable-010503-synthese.pdf
[7] Voir http://www.grtgaz.com/fileadmin/engagements/documents/fr/Power-to-Gas-etude-ADEME-GRTgaz-GrDF.pdf
[8] A ceci près qu’une partie de cette électrolyse pour la méthanation pourrait servir à valoriser l’intermittence de certaines EnR.
[9] Stratégie du gouvernement français qui définit pour chaque secteur une politique pour atteindre la neutralité carbone en 2050
[10] Voir https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/2020-03-25_MTES_SNBC2.pdf
[11] Voir https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/guide-pratique-chauffage-au-bois-mode-emploi.pdf
[12] Voir https://ipbes.net/sites/default/files/2020-02/ipbes_global_assessment_report_summary_for_policymakers_fr.pdf
[13] Voir Rapport Grand Public 2019 du Haut Conseil pour le Climat : https://www.hautconseilclimat.fr/wp-content/uploads/2019/09/hcc_rapport_annuel_grand_public_2019.pdf
COMMENTAIRES
L’obligation devrait sans doute être portée sur les pompes à chaleur, donc, l’électricité, en plus de la qualité de l’isolation
Je doute de l’ efficacité d’ une telle mesure, sauf à la compléter par un plan massif de production électrique par moyens pilotables, donc fondamentalement du nucléaire…
Les seuls moyens pilotables sont l’hydraulique et les centrales à gaz comme en témoignent les courbes de RTE
On ne dispose pas de capacités hydrauliques à construire, sauf marginalement, les centrales gaz émettent du CO² et autres GES, même lorsqu’il s’ agit de biométhane, donc j’ insiste, il ne reste bien que le nucléaire qui soit pilotable, au moins en base. Si vous tablez sur de l’ électrique aléatoire, éolien et PV, vous serez condamné à vous chauffer par intermittence !… (NB : Un chauffage au fuel, au gaz ou aux déchets de bois, ou une pompe à chaleur, cela ne fonctionne que grâce à une alimentation électrique. Chez moi, plus d’ électricité égal plus de chauffage ni d’ eau, puisque je suis alimenté par une pompe !
Je ne discute pas avec des bornes à l’esprit étriqué
Le plus borné à l’esprit étriqué est celui qui accuse l’autre de l’êtr
@Barrau
Quelle forte parole !! j’en reste baba
Ca me rappelle les répliques hautement philosophiques des cours de récré : C’est celui qui l’dit qui y’est, Na!
Je comprends les enjeux de tout cela mais j’ai une chaudière qui fonctionne relativement bien depuis des années ; en me groupant avec POEMOP je fais de vraies économies. Le changement pour moi ne sera pas pour maintenant !
Cette stigmatisation du gaz sous toutes ses formes frise le ridicule. Vous oubliez un élément essentiel : la capacité de stockage du réseau de gaz en fait un atout pour les pics de consommation et l’absence de synchronisation entre la production d’ENR intermitentes et les besoins des ménages !
Pourquoi refuser un bon usage du réseau de gaz au profit de la décarbonation ?
À tout hasard, je dirais, à cause du réchauffement climatique?
Du coup, il faut faire disparaitre entièrement notre consommation de carburants fossiles… Y comparis le gaz naturel.
L’article ne mentionne pas le chauffage avec l’hydrogène (qui a déjà été utilisé dans le « gaz de ville »). Celui-ci produit ~3 fois plus de calories que le pétrole, ou le gaz. Actuellement la production est assurée seulement à ~4 % par électrolyse de l’eau et à ~95 % par vaporeformage, à partir surtout du méthane ( qui n’est pas nécessairement fossile : par méthanisation pas seulement du bois: par exemple par les déchets). Ceci s’accompagne de la production de CO2 mais celui-ci peut être séquestré en basses couches géologiques, ou piégé par réaction avec des bases : formation en particulier de bicarbonate de potassium ou de carbonate de calcium qui sont des engrais chimiques essentiels.Même sans piégeage, le vaporeformage est préférable à la combustion directe qui produit autant de CO2.
Évidemment la séquestration ou le piégeage représentent des coûts supplémentaires, mais ceux-ci sont sans commune mesure avec les conséquences financières du réchauffement climatique ( et pour les importations de la France): il y aura « retour sur investissement ». Encore faut-il que « la puissance publique » le fasse !
Et sans parler des sources naturelles d’hydrogène, non fossiles,qu’il faudrait rechercher ( comme ce fut (colonel Drake), et est encore, le cas pour les hydrocarbures ,fossiles).
Et l’hydrogène ne sert pas seulement au chauffage mais aussi pour les transports (« la mobilité ») et l’électricité. D’ores et déjà une utilisation intégrée est possible à l’échelle locale,en harmonie avec « La Nature » … ( Faut-il chiffrer cet avantage ?)
On a actuellement une chaudiere au fuel. Il sera logique et souhaitable de la replacer par une chaudiere électrique. Mais il y a une grande désequilibre quant aux tarifs fuel/electricité. La dernière est prohibitivement chere! c’est assez incroyable que l’on tax lourdement le diesel pour les véhicules mais non pas (ou peu) le meme diesel/fuel pour le chauffage!