Chine : mise en service du premier EPR au monde
EDF et son homologue chinois CGN ont annoncé à Pékin le 14 décembre la mise en service du réacteur 1 de la centrale nucléaire de Taishan.
Cette annonce constitue une grande première pour l’industrie nucléaire mondiale : il s’agit en effet de la mise en exploitation commerciale du premier EPR au monde.
Un jour historique pour le secteur nucléaire mondial
« Ce jalon final a été atteint le jeudi 13 décembre 2018 à l’issue de l’ultime test réglementaire de fonctionnement en continu et à pleine puissance durant 168 heures. Le succès de cette étape marque l’atteinte de l’ensemble des conditions nécessaires à l’exploitation du réacteur en toute sûreté », ont expliqué les deux partenaires.
Après avoir été raccordé avec succès au réseau électrique chinois en juin dernier, l’EPR de Taishan devait encore valider plusieurs phases d’essais et de simulation d’incidents avant de pouvoir être légalement exploité. C’est désormais chose faite : l’EPR de Taishan devient le premier réacteur nucléaire de troisième génération à être déclaré opérationnel pour une mise en exploitation commerciale.
« La mise en service commerciale de Taishan 1, le premier EPR au monde, est un succès de toute la filière nucléaire française. Il démontre la capacité de la filière à concevoir un réacteur de troisième génération dans le respect des meilleurs standards de sûreté et de qualité », s’est félicité Jean-Bernard Lévy, le Président-Directeur Général d’EDF.
Des retombées positives pour les autres chantiers EPR
La construction de l’unité 1 de Taishan a débuté en 2009. Il s’agissait à l’époque du troisième chantier EPR dans le monde, après celui d’Olkiluoto en Finlande et de Flamanville en France. La mise sur pied de ce réacteur nouvelle génération s’est révélé être un véritable défi, qui aura nécessité près de 9 années de travaux, la mobilisation d’une surface de 400 hectares et l’intervention de plus de 15.000 ouvriers au plus fort du chantier.
La mise en exploitation de ce premier EPR du monde est bien évidemment une vitrine exceptionnelle pour le savoir-faire français. En raison de son retour d’expérience sur le chantier de l’EPR de Flamanville, l’électricien EDF (via sa filiale Framatome) a eu une place majeure dans ce chantier. Le groupe tricolore a notamment fourni la technologie EPR de troisième génération.
« Taishan 1 apporte aux réacteurs EPR dans le monde son expérience en matière de gestion de projet et de maîtrise technologique. Les premiers à en bénéficier sont les deux réacteurs de Hinkley Point C actuellement en construction au Royaume-Uni », précisent EDF et CGN, qui sont également « partenaires dans deux autres projets britanniques : le projet de 2 EPR de Sizewell C et celui de Bradwell B qui repose sur la technologie Hualong ».
Un premier pas vers la décarbonisation du secteur électrique chinois
Le terme EPR désigne les réacteurs nucléaires de troisième génération, basés sur la technologie des réacteurs à eau sous pression.
Cette dernière a été développée par la Nuclear Power International, une société détenue par Framatome et l’Allemand Siemens. D’un point de vue technique, les réacteurs EPR affichent une puissance plus importante et une sûreté accrue par rapport aux technologies électronucléaires antérieures.
La centrale de Taishan, située dans le sud de la Chine, est composée de 2 réacteurs EPR d’une puissance unitaire de 1.750 MW.
Une fois que ces deux unités de production tourneront à plein régime, la centrale génèrera annuellement plus de 24 TWh d’électricité… soit l’équivalent de la consommation électrique de quelques 5 millions de citoyens chinois.
Technologie nucléaire oblige, l’intégralité de cette production se fera sans aucune émission de gaz à effet de serre. En effet, l’unité 1 de la centrale de Taishan va permettre à la Chine de réduire sa consommation de charbon à hauteur de 8 millions de tonnes et donc d’éviter chaque année l’émission de 21 millions de tonnes de dioxyde de carbone.
« L’EPR est à ce titre un atout important face au défi que de nombreux pays doivent relever : répondre à la croissance de la demande en électricité tout en réduisant leurs émissions de CO2 », estime le dirigeant d’EDF.
COMMENTAIRES
MIT Technology Review : « Le virage vers les énergies renouvelables et l’abandon de l’énergie nucléaire pourraient constituer une stratégie commerciale judicieuse pour les entreprises nucléaires chinoises »
La Chine n’a pas commencé à construire une nouvelle centrale nucléaire depuis la fin de 2016, selon un récent rapport de situation de l’industrie nucléaire mondiale.
La technologie est sous surveillance. Des experts dont certains ont des liens avec le gouvernement voient le secteur nucléaire chinois succomber aux mêmes problèmes qui affectent l’Occident : la technologie est trop chère, et le public n’en veut pas.
Un sondage gouvernemental réalisé en août 2017 a révélé que seulement 40 % de la population appuyait le développement de l’énergie nucléaire.
Le plus gros problème est d’ordre financier. Les réacteurs construits avec des dispositifs de sécurité supplémentaires et des systèmes de refroidissement plus robustes pour éviter une catastrophe de type Fukushima sont coûteux, tandis que les prix de l’énergie éolienne et solaire continuent de chuter : ils sont désormais 20% moins chers que l’électricité produite par les nouvelles centrales nucléaires en Chine, selon Bloomberg New Energy Finance. De plus, les coûts de construction élevés font du nucléaire un investissement risqué.
L’époque où l’énergie nucléaire était désespérément nécessaire pour répondre à la demande croissante d’électricité de la Chine est révolue. Au début des années 2000, la consommation d’électricité augmentait de plus de 10 % par an, alors que l’économie était en plein essor et que le secteur manufacturier, un gros consommateur d’électricité, connaissait une croissance rapide. Au cours des dernières années, alors que la croissance a ralenti et que l’économie s’est diversifiée, la demande d’électricité a augmenté, en moyenne, de moins de 4 %.
Le désenchantement de la Chine à l’égard de l’énergie nucléaire correspond à un déclin général de la production nucléaire ailleurs dans le monde. Les services publics retirent des usines existantes et ont cessé d’en construire de nouvelles.
Si un événement comme celui de Fukushima se produisait en Chine l’impact serait très, très important « , déclare William Overholt, expert en Chine à la Kennedy School of Government de l’Université Harvard. « Cela délégitimiserait le régime. »
En 2013, plus d’un millier de personnes se sont rassemblées à Jiangmen, à l’Est de Hong Kong, pour dénoncer un projet d’usine d’uranium combustible. En quelques jours le projet géré par l’État a été abandonné. En 2016 les autorités locales ont suspendu les travaux préliminaires sur un site à Lianyungangang, dans le Nord-Est de la province de Jiangsu, après un tollé provoqué par des révélations selon lesquelles elle pourrait accueillir une usine de recyclage du combustible nucléaire irradié. Dans la foulée de cette protestation, le Conseil d’État chinois a modifié son projet de règlement sur la gestion de l’énergie nucléaire, exigeant des promoteurs qu’ils tiennent des audiences publiques avant d’établir les projets.
Wenke Han, ancien directeur de l’Institut de recherche sur l’énergie, une branche de la puissante Commission nationale de développement et de réforme qui planifie l’économie chinoise, qualifie l’énergie nucléaire de « très coûteuse. L’énergie nucléaire en Chine a commencé à être confrontée à la concurrence par les prix et sera certainement confrontée à une concurrence accrue à l’avenir ».
Les centrales nucléaires qui fonctionnent actuellement sont sous-utilisées. En moyenne, elles sont utilisées à 81% de leur capacité de production en 2017, soit 10 % de moins qu’il y a cinq ans, ce qui rend l’électricité qu’elles produisent encore plus chère.
Des options qui s’amenuisent : Dernièrement, le gouvernement a peu parlé de la politique nucléaire. Son objectif officiel, mis à jour pour la dernière fois en 2016, prévoit l’installation de 58 GW de capacité de production nucléaire d’ici 2020 et la construction de 30 GW supplémentaires. Tous les experts s’accordent à dire que la Chine n’atteindra pas son objectif de 2020 avant 2022 ou plus tard, et les projections pré-Fukushima de 400 GW ou plus d’ici le milieu du siècle semblent maintenant plus qu’optimistes. Han dit qu’il parie qu’une fois que le pays aura construit les 88 GW dans son plan 2020, il passera à d’autres sources d’énergie.
Les géants du nucléaire chinois se protègent. CGN et la société d’État qui finance les investissements de la Chine dans les AP1000 se classent parmi les dix premiers opérateurs mondiaux d’énergie renouvelable.
Le virage vers les énergies renouvelables et l’abandon de l’énergie nucléaire pourraient constituer une stratégie commerciale judicieuse pour ces entreprises nucléaires chinoises.
https://www.technologyreview.com/s/612564/chinas-losing-its-taste-for-nuclear-power-thats-bad-news/