La Chine, vitrine et eldorado du nucléaire français
Areva doit y construire une usine de retraitement et EDF y démarrer son premier réacteur EPR: la Chine reste une vitrine et un marché crucial pour le nucléaire français, à l’heure où Pékin affiche ses propres ambitions dans l’atome civil.
Après une décennie de négociations, Areva semble désormais tout proche de conclure ses négociations avec le géant étatique chinois CNNC pour construire en Chine une usine de recyclage de combustibles radioactifs usés, d’une capacité de 800 tonnes par an.
Un chantier colossal et providentiel pour l’ex-fleuron du nucléaire français en difficulté, désormais recentré sur les activités du cycle du combustible: « Cela sauvera la filière », s’est félicité le ministre français de l’Economie Bruno Le Maire mardi à Pékin.
Il évoque « l’assurance » d’une signature finale « au printemps » et un montant de « 10 milliards d’euros » pour Areva. Le groupe, interrogé par l’AFP, se montre plus prudent.
En tout cas, « il s’agit bien d’un enjeu vital pour Areva », qui a cruellement besoin « de cet oxygène chinois pour assurer sa survie », confirme François Morin, directeur Chine de la World Nuclear Association (WNA), la fédération du secteur.
Ce serait la première usine de retraitement en Chine, et une vitrine des technologies développées par Areva sur son site normand de La Hague.
La Chine fait figure de terre promise dans l’atome civil, avec 38 réacteurs en activité ainsi que 20 en construction –soit un tiers des réacteurs en chantier dans le monde, tandis que près d’une quarantaine d’autres y sont en projet.
Pourtant, en dépit d’une expansion fulgurante, « la Chine a énormément de retard en termes d’ingénierie sur la gestion des déchets radioactifs », indique à l’AFP Zhang Dongjie, analyste du cabinet IHS Markit.
Ces derniers s’accumulent, « stockés dans des piscines temporaires spécialement conçues à cette fin près des centrales », insiste-t-il.
– ‘Partenariats’ –
Pour Areva, « c’est un gros succès commercial », mais le français n’avait pas réellement d’autre rival quand la Chine a entamé les négociations, et surtout, cela n’augure nullement d’autres percées ailleurs, tempère M. Morin.
Selon lui, la Chine était l’un des derniers grands marchés disposant d’un nombre de centrales suffisant pour justifier un tel investissement dans le retraitement. Les Etats-Unis n’ont pas adopté de « cycle fermé » (système de retraitement); la Russie développe sa propre technologie; et le Japon avait déjà choisi le groupe français.
Marché vital pour Areva, la Chine est également une vitrine pour EDF: le groupe français construit à Taishan, dans le sud du pays, deux réacteurs de troisième génération (EPR) en coentreprise avec CGN, l’autre géant étatique du nucléaire chinois.
Suite à un ultime report, le premier de ces réacteurs devrait entrer en service mi-2018.
Ce serait donc le premier EPR opérationnel dans le monde, avant ceux en chantier en Finlande et en France (Flamanville). Emmanuel Macron, en visite d’Etat en Chine depuis lundi, s’en est félicité, saluant des « partenariats structurants » franco-chinois dans le nucléaire.
– Rival de l’EPR –
De fait, le développement du nucléaire civil en Chine a été dès ses débuts étroitement lié à la France, qui a aidé Pékin à construire ses premiers réacteurs dans les années 1980 et formé les équipes de son autorité de sûreté.
La coopération a récemment pris une ampleur inédite: CGN collabore avec EDF sur la construction de deux réacteurs EPR à Hinkley Point, au Royaume-Uni; et en 2015, Areva avait même ouvert la porte à une entrée de CNNC à son capital.
Malgré tout, « les EPR connaissent des retards significatifs et la Chine observera attentivement la mise en service de Taishan avant d’en commander de nouvelles tranches », tempère Zhou Xizhou, expert du secteur chez IHS.
D’autant que Pékin a entre-temps donné sa chance à une autre technologie concurrente, l’AP1000 de l’américain Westinghouse: quatre réacteurs sont en construction dans le pays.
Surtout, aiguillonné par Pékin, CNNC a commencé en 2015 à construire le premier Hualong-1, un réacteur de troisième génération de technologie chinoise ouvertement destiné à rivaliser avec l’EPR.
Mais de l’avis général, cette concurrence apparaît encore lointaine; et étant donné les ambitions du régime communiste, le potentiel chinois devrait rester attractif pour les acteurs français: selon CGN, la capacité du parc de centrales du pays pourrait atteindre 150 gigawatts d’ici 2030, contre 35 actuellement.
jug/bar/psb