Consensus des EAU : les énergies renouvelables pour renouer le dialogue Europe-Afrique
Les relations entre l’Europe et l’Afrique n’ont jamais été aussi distendues. Héritage colonial mal digéré, problématiques sécuritaires et enjeux migratoires ont contribué à cet éloignement. Pourtant, à l’image des promesses de la Cop 28, le développement des énergies renouvelables sur le continent africain pourraient être le symbole d’un nouveau départ, basé sur des opportunités partagées.
Europe-Afrique : une défiance mutuelle et une incompréhension grandissante
Les évolutions politiques de ces derniers mois dans la bande sahélienne démontrent s’il le fallait la perte d’influence du modèle européen, et en premier lieu de l’ancien colonisateur français, à travers le continent africain. Au Mali, au Niger et au Burkina Faso, des coups militaires ont renforcé leur légitimité par des diatribes anti-françaises, qui ont une forte résonnance au sein de leurs populations. Sans aller aussi loin, l’élection au Sénégal dès le premier tour de Bassirou Diomaye Faye, candidat « anticolonialiste » s’inscrit dans la même mouvance.
Le rejet de la France et de l’Europe ne date pas d’hier et s’inscrit tout d’abord dans l’histoire de la colonisation et de la décolonisation. Pour beaucoup d’Africains, les Européens de 2024 voient toujours l’Afrique avec des yeux de colons. A cette défiance s’ajoute les problématiques de notre époque, à commencer par l’existence de groupes islamistes dans la bande sahélienne qui menacent potentiellement la sécurité de l’Europe, et surtout la question migratoire qui effraie les Européens au plus haut point.
Les tensions entre l’Europe et l’Afrique proviennent donc de sentiments mutuels. Pourtant, les deux continents ne sont séparés que par un bras de mer et sont condamnés à se parler et à interagir ensemble. Plus important encore, les complémentarités économiques entre l’Afrique et l’Europe sautent aux yeux à quiconque regarde au-delà des motifs conjoncturels de tension.
Consensus des EAU : investir dans les énergies renouvelables pour un développement vertueux
A l’occasion de la conférence des Nations Unies sur les changements climatiques qui s’est tenue à Dubaï (COP 28) en décembre 2023, les dirigeants mondiaux se sont entendus sur une série de mesures, baptisées « Consensus des EAU », et incluant le triplement des énergies renouvelables à l’horizon 2030, un doublement de l’efficacité énergétique, l’abandon à terme des énergies fossiles, et une accélération exponentielle des investissements dans les énergies propres.
Le président de la COP 28, le Dr Sultan Al Jaber, avait notamment mis l’accent sur la question centrale, et pourtant peu évoquée, du financement climatique en poussant pour le lancement d’ALTERRA, un fonds d’investissement doté de 30 milliards d’euros (ce qui en fait le plus grand véhicule d’investissement privé au service de l’action climatique) pour accompagner les pays pauvres dans leur transition énergétique et le financement de programmes de développement d’énergies renouvelables.
Le modèle du fonds ALTERRA doit être « répliqué de nombreuses fois… (car) le monde doit élever le niveau pour relever les défis auxquels nous sommes confrontés – mobiliser des billions plutôt que des milliards », avait-il déclaré lors de la COP 28. Un message qu’il a répété en février à Paris à l’occasion d’une rencontre ministérielle de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), où il a réclamé des mesures « sans précédent » pour avancer dans le sens du Consensus des EAU en « décarbonant à grande échelle ».
L’Afrique, un eldorado pour les énergies renouvelables
De la bande sahélienne jusqu’aux régions australes, l’Afrique dispose de ressources uniques en matière de production d’énergies renouvelables. Des potentialités encore largement sous-exploitées qui pourraient faire du continent le carburant vert de l’économie mondiale… et en premier lieu de l’économie européenne en raison de la proximité géographique des deux continents.
Les taux d’ensoleillement des pays du Maghreb et de la bande sahélienne au Nord, mais également, de pays comme l’Afrique du Sud, la Namibie, le Bostwana, le Zimbabwe ou le Mozambique, sont parmi les plus élevés au monde. Les surfaces exploitables sont immensément vastes et largement désertes. On estime le potentiel solaire de l’Afrique à 60 millions de TWh/an contre seulement 3 millions sur l’ensemble du continent européen. C’est colossal !
Au-delà des ressources solaires, l’Afrique peut se targuer de ressources monumentales en termes d’énergie éolienne, notamment dans la bande sahélienne, mais aussi en matière d’énergie hydro-électrique, en particulier en Afrique centrale et dans la région des Grands Lacs. Autant d’atouts qui positionnent l’Afrique comme un pilier de la révolution de l’énergie verte. A condition que des investissements internationaux massifs viennent accompagner cette mutation. C’est le principe de la stratégie née de la COP 28.
L’Europe doit investir massivement à destination des énergies renouvelables en Afrique
Les résultats de la COP 28, et le Consensus des EAU qui en a émergé, doivent être l’occasion pour l’Europe de renouer le dialogue avec l’Afrique et de laisser de côté les points de crispation qui pourrissent les relations entre les deux continents. Les besoins en financement sont immenses, mais il faut faire évoluer les règles du jeu pour que cette stratégie soit couronnée de succès, comme l’a rappelé le Dr Sultan Al Jaber.
Le système financier mondial est conçu sur le principe de la « dérisquisation » des investissements, à savoir le fait que des investissements effectués dans des régions fragiles garantissent des rendements plus importants pour couvrir les risques. Une logique qui peut se comprendre dans certains contextes, mais qui ne permet pas aux Africains de bénéficier d’une juste rémunération pour leurs ressources naturelles, a prévenu le Dr Sultan Al Jaber en insistant sur le besoin de financements à faibles coûts, de conditions de remboursement équitables, et d’une plus grande propriété publique.
C’est donc par des investissements massifs et équitables que l’Europe peut renouer le contact avec l’Afrique sur des bases saines et vertueuses des deux côtés de la Méditerranée. C’est à ce prix que le monde peut sortir de sa dépendance aux énergies fossiles. C’est à ce prix que l’Afrique peut se développer. Mais c’est aussi à ce prix que l’Europe peut agir efficacement sur les racines du terrorisme et des vagues migratoires : la pauvreté et l’absence de perspectives.
A ce titre, il est intéressant de voir que les Emirats Arabes Unis ont joint les actes à la parole pour faire évoluer les paradigmes du financement des énergies renouvelables. Masdar, une société publique spécialisée dans les énergies renouvelables est aujourd’hui le plus grand opérateur d’énergies renouvelables en Afrique. Avant la COP 28, les autorités de Dubaï ont d’ailleurs annoncé de nouveaux investissements de 13 milliards de dollars dans ce secteur.