Avec le Covid-19, une décrue historique des émissions mondiales de CO₂ est amorcée

Contrairement à celles qui l’ont précédée – grippe espagnole de 1918 et grippes de 1957 et 1968 – la pandémie du Covid-19 frappe majoritairement les personnes âgées ayant quitté la population active. Le virus épargne la grande majorité de la force de travail.

Le coût macroéconomique de la pandémie, issu des mesures de confinement qui paralysent l’économie, est considérable à court terme, comme en témoigne l’ampleur des mesures budgétaires et monétaires prises pour prévenir un effondrement de l’économie. La chute des émissions de CO2 en résultant est historique.

L’incertitude majeure concerne désormais les conditions du redémarrage de l’activité, et particulièrement l’impact des plans de relance que les gouvernements vont mettre en œuvre. Suivant leurs priorités et leurs modes de financement, ces plans pourront accélérer ou freiner les transitions vers une société bas carbone.

Recul des émissions inédit en temps de paix

Compte tenu des caractéristiques géographiques et sectorielles de la récession économique, nous avons calculé dans une étude de la chaire économie du climat de l’université Paris Dauphine, les niveaux d’émission possibles pour 2020 associés à deux scénarios de fin de confinement. Dans les deux cas, le transport international connaît une chute abrupte de ses rejets de CO2, de respectivement un quart et un tiers relativement à 2019.

Dans le scénario de sortie rapide du confinement, la Chine limite sur l’année la baisse des émissions à 200 Mt. L’Union européenne, les États-Unis et le reste du monde connaissent une évolution comparable à celle observée lors de la récession de 2009. Globalement le monde réduit ses émissions de 1 Gt (3 %), soit deux fois ce qui avait été observé en 2009.

Impact de la crise sanitaire sur les émissions de CO₂.
Données du Global Carbon Budget (2019), CC BY-NC-SA

Le scénario le plus probable est désormais celui d’une sortie plus étalée dans le temps du confinement. La Chine, les États-UnisÉtats-Unis et l’Europe connaîtraient alors des baisses d’émission situées entre 700 et 900 Mt. Avec un recul de plus de 2 Gt, le reste du monde serait le plus gros contributeur au repli. Au total, le monde se dirigerait vers une chute des émissions de l’ordre de 5 Gt (-14 %). Ce chiffre se situe un peu au-dessus des estimations recensées par le site d’information Carbon Brief.

D’après les calculs de l’UNEP, il faudrait baisser chaque année les émissions mondiales de 3 % pour se mettre sur une trajectoire limitant le réchauffement à 2 °C, et de 7 % pour 1,5 °C. Une baisse de 14 % équivaudrait donc à respectivement 5 et 2 ans de gagnées. C’est loin d’être négligeable. La question clef reste celle des effets à long terme de la catastrophe sanitaire. Passée la crise de court terme, le monde reviendra-t-il au « business as

usual » antérieur ?

Émissions mondiales de CO₂.
Auteur à partir des données du Global Carbon Budget (édition 2019), CC BY-NC-SA

Certaines forces vont jouer au rebond : la baisse du pétrole ; l’envahissement de l’espace politique par la crise sanitaire de court terme ; la soif de contacts et de consommation au terme de la période de rationnement imposée par le confinement. Un rebond, similaire à celui enregistré au lendemain de la crise de 2009 semble pourtant improbable. L’épidémie du Covid-19 catalyse des changements structurels qui joueront en sens inverse.

Le Covid-19, catalyseur de transformations structurelles

La crise sanitaire révèle l’extrême vulnérabilité des modes de développement basés sur l’accroissement incessant de la mobilité des personnes, du capital, des marchandises. Simultanément, elle oblige à expérimenter des innovations qui annoncent des transformations structurelles.

Le télétravail à grande échelle en constitue une brique significative. Partout, il s’est développé à une vitesse totalement inimaginable avant la crise. Dans l’éducation, il s’est par exemple imposé comme une alternative d’urgence aux méthodes classiques d’enseignement, de la maternelle à l’université, en passant par les filières professionnelles ou spécialisées.

Dans nombre de secteurs productifs, ses applications permettent de concilier le confinement avec le maintien d’un minimum d’activité économique. Le télétravail contribue ainsi puissamment à empêcher un effondrement total de l’économie. Une fois le confinement passé, son potentiel continuera à limiter ces mobilités qui accroissent nos empreintes climat pour de faibles bénéfices économiques.

Concernant les marchandises, les acteurs économiques sont obligés de tester la diversification de leurs sources d’approvisionnement et de raccourcir leurs chaînes d’approvisionnement.

Le mouvement est spectaculaire pour la fourniture de biens basiques dans la lutte contre la maladie, comme les masques, le matériel respiratoire ou les gels antibactériens, dont certaines lignes de production ont été relocalisées en urgence en Europe. Ici encore, il s’agit d’expérimenter de nouvelles formes d’organisations productives basées sur la proximité qui non seulement limitent les risques épidémiques mais facilitent la réduction de nos rejets de gaz à effet de serre.

La crise sanitaire fait également émerger de multiples innovations en matière de solidarité. On en voit chaque jour des illustrations, tant vis-à-vis des personnes âgées, les plus vulnérables, qu’à l’égard des personnels soignants, les plus exposés dans le combat contre le virus. Ces innovations contribuent à faire refluer les valeurs d’individualisme et de consumérisme qui sont des obstacles à la mise en place d’une réponse au défi climatique.

L’autre face du confinement est de révéler l’ampleur des inégalités et de les aggraver à mesure qu’il se prolonge. A sa sortie du confinement, la société risque d’être abîmée par le creusement de ces inégalités.

Les initiatives multiformes en matière de solidarité ne suffiront pas à restaurer un fonctionnement social harmonieux. Il faudra réhabiliter le rôle incontournable de l’État. La crise du Covid-19 annonce un profond rééquilibrage au sein de nos sociétés entre les valeurs du marché et celles de l’intérêt général.

Relancer l’économie en accélérant la transition

Pour toutes ces raisons, il nous semble que 2019 devrait être l’année du pic mondial des émissions de CO2. Mais franchir ce pic ne signifie en aucune façon gagner la bataille face au réchauffement climatique. Une fois le pic dépassé, il conviendra de renforcer l’action pour ramener le cumul des émissions à un niveau compatible avec un réchauffement inférieur à 2 °C, voire 1,5 °C.

Suivant leur contenu, les plans de redémarrage de l’activité qui seront mis en place à la sortie du confinement pourront accélérer ou freiner la mutation des structures productives.

En France, les propositions de la Convention citoyenne comme celle de l’institut I4CE militent pour un plan d’investissement ciblé sur la transition énergétique visant en particulier à accélérer les investissements de rénovation énergétique des logements.

En Europe, c’est le rôle du Green Deal qui est au cœur du débat. S’il est ambitieux, il permettrait de jouer sur deux plans : une allocation d’investissements privilégiant des choix verts, et l’extension de la tarification carbone (transports, ajustement aux frontières, renforcement du système d’échange de quotas) comme moyen vertueux de financement.

Nul doute qu’un tel Green Deal de combat permettrait à l’Europe de concilier le sauvetage de ses actifs productifs avec l’accélération de la transition bas carbone.The Conversation

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Christian de Perthuis, Professeur d’économie, fondateur de la chaire « Économie du climat », Université Paris Dauphine – PSL

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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