Crise sanitaire et transition énergétique : en attendant les États et l’Europe

La pandémie de coronavirus a provoqué une crise économique mondiale qui a fortement touché le secteur de l’énergie pendant le confinement. Les plans nationaux de « sortie de crise » peuvent-ils envisager des investissements dans les secteurs énergétiques qui contribueraient à la fois à la relance des économies, avec des créations d’emploi, et à la lutte contre le réchauffement climatique qui, selon le Haut Conseil pour le climat en France, est encore insuffisamment volontariste ? Dans ce contexte quel pourrait être le rôle de l’Europe ? C’est une double question qui mérite d’être examinée.

Au sortir de la période de confinement, le Haut Conseil pour le climat et la Convention citoyenne pour le climat ont plaidé, en France,  pour une accélération de la mise en œuvre de la transition énergétique dans la perspective de « l’après-crise ».

L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a envisagé l’incidence de cette crise sur les investissements dans les secteurs de l’énergie en 2020, notamment dans le secteur pétrolier où la chute des prix a été particulièrement forte. Elle fait l’hypothèse que la récession provoquée par les restrictions à la mobilité et les contraintes sur l’activité économique (mais un décollage du télétravail) auront des répercussions sur toute l’année : la demande mondiale d’énergie chuterait de 6%, celle d’électricité de 5%.

La chute de la consommation d’énergies fossiles en 2020 (-8% pour le charbon) entraînera ipso facto une baisse très importante des émissions mondiales de CO2 (8%), six fois plus que lors de la crise économique de 2008 (elles seraient ramenées à leur niveau de 2010).

Elle anticipe une baisse des investissements dans tous les secteurs de la production et de la distribution de l’électricité, à l’exception de l’hydroélectricité et de l’éolien offshore, la baisse serait forte dans ceux du solaire photovoltaïque (près de 20%) et des réseaux électriques (9%), aucune augmentation n’est prévue dans le domaine des batteries alors que l’augmentation de la production d’électricité par des filières renouvelables intermittentes peut déstabiliser les réseaux électriques.

L’AIE a également fait un bilan de l’évolution des dépenses de R&D pour l’énergie par les pays membres. Rapportées au PIB ( 0,07-0,1%), les dépenses publiques mondiales après une forte baisse dans les années 1980, ont été stabilisées pendant la dernière décennie et ont augmenté de 3% en 2019 ; elles représentent 30 milliards de dollars, soit moins du dixième des dépenses de recherche publiques dans tous les pays sauf au Japon, et ne sont donc pas une priorité.

Les budgets consacrés aux énergies à bas carbone représentaient, tous domaines confondus, 80% des dépenses totales. Les dépenses de R&D des entreprises atteignaient 90 milliards de dollars en 2019, celles du secteur des énergies renouvelables ont augmenté de 74% depuis 2010, celles sur l’électromobilité et la production d’hydrogène ont également augmenté, tandis que celles sur le captage et le stockage du CO2 stagnaient ; la crise les a conduites à les diminuer début 2020.

Reprise verte ou « sale » ?

Schématiquement, deux types scénarios de reprise de l’économie mondiale sont envisageables : un “vert” avec une très faible croissance des émissions de CO2 au cours des prochaines années (jusqu’en 2050 ?) et, par contraste, un « sale » avec des économies demeurant intensives en énergies carbonées avec des émissions de CO2 suivant leur trajectoire d’avant la crise, leur rebond n’étant pas exclu lors de la reprise.

Après la forte chute (8%) des émissions en 2020, le scénario vert fait l’hypothèse qu’une forte croissance des investissements publics et privés permettrait de produire des énergies bas-carbone (essentiellement l’électricité) à bas coût et de les utiliser dans les secteurs énergivores comme les bâtiments, les transports et l’industrie.

Les auteurs de l’article de Nature estiment qu’en 2050 le scénario « sale » représenterait un surcroît d’émissions par les combustibles fossiles cumulées de 230 Gt de CO2 entre 2020 et 2050 par rapport au scénario vert ; ils rappellent qu’après la crise économique de 2008, la courbe de ces émissions s’était infléchie, leur croissance annuelle n’ayant été « que » de 1,6%.

Toutefois, le scénario vert ne permettrait pas à la planète d’atteindre la neutralité carbone en 2050, et d’ailleurs les appels de chefs d’entreprise à abaisser les normes d’émission dans certains secteurs (celle de l’automobile notamment) n’ont pas manqué en Europe comme aux Etats-Unis où Trump y a répondu favorablement, quant à la Chine elle a annoncé qu’elle n’abaisserait pas dans l’immédiat la part du charbon dans sa production d’électricité.

Les bâtiments représentent, en France, 43% de la consommation finale d’énergie et 20% des émissions de GES et leur rénovation thermique est considérée comme une priorité par le gouvernement, elle permet, en effet, d’importantes économies d’énergie et crée des emplois, avec des techniques qui sont au point.

Augmenter fortement la part des énergies à bas carbone dans le mix énergétique suppose une « électrification » croissante de l’économie, en particulier des transports, une hypothèse retenue par la plupart des scénarios avant la crise, et la montée en puissance des énergies renouvelables est une priorité des scénarios « post-crise ». Cette option est réaliste car, selon l’IRENA, les coûts de production de l’électricité par les filières solaire photovoltaïque et éolienne terrestre ont fortement baissé.

S’agissant de la production d’électricité deux remarques s’imposent. La première est que les filières renouvelables étant intermittentes, un stockage de la production s’imposera donc, son coût est rarement pris en compte dans les scénarios.

Il pose un problème technique que nous avons souvent abordé. Outre l’option d’un stockage dans des barrages (95% de l’énergie électrique stockée aujourd’hui), la technique des batteries est l’alternative la plus souvent envisagée avec, aujourd’hui, la filière lithium-ion; elle est aussi la technique clé pour la motorisation électrique des véhicules et si leur coût a fortement baissé il est nécessaire d’augmenter leur densité énergétique (150 Wh/kg pour la batterie lithium-ion), d’autres filières (lithium-air ou zinc-air) étant envisagées.

Le stockage avec l’hydrogène est une alternative aux batteries souvent évoquée (technique power-to gas) : elle consiste à produire de l’hydrogène par électrolyse de l’eau puis, en le faisant réagir avec l’oxygène de l’air dans une pile à combustible, avec le platine comme catalyseur, on reproduit de l’électricité. Cette technique peut être utilisée pour un stockage stationnaire sur un site de production ou dans un véhicule électrique.

L’hydrogène « vert » (produit avec de l’électricité décarbonée), un vecteur énergétique envisagé dans plusieurs scénarios, est depuis peu l’objet d’un véritable engouement, les grands industriels producteurs de ce gaz industriel à partir du gaz naturel en faisant sa promotion (ils n’hésitent pas envisager la construction d’un avion à hydrogène !).

La Commission Européenne a d’ailleurs adopté en juillet un plan hydrogène avec l’objectif de porter sa part du mix énergétique européen à 12-14% en 2050 ce qui suppose de très gros investissements dans des électrolyseurs (une puissance installée de 40 GW en 2030) et une forte consommation d’électricité. Ce plan, fortement soutenu par l’Allemagne, n’est pas réaliste car, l’ont souligné plusieurs études l’ont souligné, la rentabilité économique de la filière est loin d’être assurée : le rendement électrique global de la filière est au mieux de 35-40%.

Qui plus est, alors que l’hydrogène est un gaz dangereux, très facilement inflammable, les questions de sécurité sont rarement évoquées, notamment dans le plan européen. L’hydrogène « vert » est une chimère énergétique.

L’équilibre du mix électrique

La deuxième remarque concerne l’équilibre du mix électrique, s’il est raisonnable d’investir massivement, au cours de la décennie, dans les filières renouvelables, y compris l’éolien off-shore pour en assurer la rentabilité, il serait irréaliste d’envisager à plus long terme (2050), un mix électrique avec une électricité produite à 100% par ces filières, compte tenu des risques que fait courir leur intermittence à la sécurité de l’approvisionnement électrique.

Autrement dit, il est souhaitable de maintenir ouverte l’option nucléaire pour les pays qui en ont la capacité (la France et la Chine parmi d’autres), avec éventuellement une réserve de puissance assurée par des centrales à gaz à haut rendement, deux filières pilotables.

Le maintien de l’option nucléaire en France, prévu par la loi énergie-climat de 2019, suppose à la fois d’assurer la viabilité économique de la filière EPR et de maintenir un effort de recherche important sur les nouvelles générations de réacteurs, notamment les surgénérateurs, ce qui, pour l’heure, n’est pas acquis.

L’électrification de l’économie ne peut résoudre, à elle seule, tous les problèmes que pose la « décarbonation » de l’énergie dans l’industrie et la question est d’ailleurs posée par l’AIE dans une note récente. Elle souligne que l’industrie lourde (l’acier, le ciment, la chimie) ne dispose pas encore de techniques utilisant des énergies décarbonées.

Si l’on excepte la rénovation thermique des bâtiments, toutes les priorités de la transition énergétique ont une dimension européenne. L’UE a franchi une étape qualifiée, à juste titre, d’historique en adoptant, en juillet, un plan de relance doté de moyens financiers importants (750 milliards d’euros de prêts et de subventions complétés par un budget pluriannuel de près de 1100 milliards d’euros, pour la première fois elle empruntera comme un Etat) dont le tiers serait investi dans la lutte contre le réchauffement climatique.

On observera toutefois que cet accord, un compromis politique, prévoit le plafonnement à 81 milliards d’euros du budget du futur programme de recherche européen, le programme « Horizon Europe » (2021-2027), soit 2 milliards de plus  que l’actuel programme Horizon 2020,  alors qu’il était envisagé de le porter à 100 milliards d’euro, mais aussi que le « fonds pour une transition juste » destiné à aider les pays européens dans leur transition énergétique a été réduit des deux tiers à 17,5 milliards d’euros, la Pologne se débrouillera avec son charbon.…

L’Europe doit assurer son indépendance énergétique

Paradoxalement, alors que l’UE actuelle a été mise sur les fonts baptismaux, en 1952, par le traité de Paris créant la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier) puis par le traité de Rome, en 1957, qui a créé à la fois le Marché commun et l’Euratom (Communauté européenne de l’énergie atomique), deux traités dont l’objectif était de poser les bases de l’indépendance énergétique de l’Europe, celle-ci n’est pas parvenue, aujourd’hui, à définir une politique de l’énergie assurant à la fois cette indépendance (elle importe 55% de son énergie) et la sécurité de ses approvisionnements en énergies à bas carbone.

Elle tergiverse sur l’abandon du charbon et elle n’a pas de politique gazière : elle doit certes assurer la sécurité de ses approvisionnements mais elle a cédé aux menaces de représailles américaines contre les sociétés européennes chargées de la pose du gazoduc Nordstream 2 devant alimenter l’Allemagne en gaz russe.

Elle tarde à lancer des plans techniques et industriels pour le développement des filières renouvelables et le stockage de l’électricité notamment pour perfectionner les batteries (mais elle mise sur la chimère de l’hydrogène vert), elle ne surmonte pas les querelles idéologiques afin d’assurer une place à un nucléaire du futur (on observera qu’au moment où la France fermait la centrale nucléaire de Fessenheim, l’Allemagne qui devrait sortir du charbon en 2038, inaugurait de l’autre côté du Rhin une centrale « flambant neuf » au charbon de 1,1 GW, Datteln 4….), enfin elle n’a pas de stratégie d’approvisionnement en métaux « critiques » indispensables aux filières renouvelables (des terres rares notamment).

Toutefois, plus positivement, l’UE soutient le projet international Iter sur la fusion thermonucléaire et un premier plan industriel pour la production de batteries lithium-ion pour automobiles, et elle réalise l’interconnexion des réseaux électriques en Europe de l’Ouest. Sur tous ces points il lui faut afficher une politique….

La crise de Suez en 1956 avait donné à l’Europe le signal d’un réveil politique et l’avait conduite à initier avec le traité de Rome une stratégie d’unification économique et de coopération par étapes, il reste à espérer que le plan de relance européen déclenché par la crise sanitaire, mais aussi et surtout que les menaces de crise internationale que suscite la rivalité entre les Etats-Unis et la Chine feront prendre conscience à l’Europe qu’il est urgent de mener une bataille à la fois pour la transition énergétique et assurer son indépendance dans le domaine de l’énergie.

 

 

 

commentaires

COMMENTAIRES

  • L’auteur affirme que l’hydrogène « vert » est une chimère pour le stockage d’énergie électrique en raison du rendement des procédés (20-30 %) et il a raison : stocker 3 à 5 kWh (après les avoir produits) pour n’en retirer qu’1 est en effet une impasse économique.
    Mais l’autre moyen cité dans l’article (les batteries Li-ion) sont une autre chimère, tout du moins pour résoudre le problème de l’intermittence de l’éolien et du solaire.
    En effet l’utilisation de ces énergies avec un fort taux de pénétration (jusqu’à 30 % du mix) pose deux problèmes techniques sérieux :
    – les variations importantes de la production déstabilisent l’équilibre du réseau (production et consommation doivent être égaux, un léger écart déclenchant des délestages ou le blackout). Les batteries qui « lissent » la production sur le court terme apportent une légère amélioration, mais certainement pas une panacée.
    – la pénurie d’électricité par manque de vent et/ou de soleil, typiquement en France à la pointe de consommation du soir, l’hiver. La capacité des batteries étant de plusieurs décades insuffisantes pour permettre un déstockage suffisant dans la durée (plusieurs heures à plusieurs jours), c’est le blackout assuré : l’Australie du Sud en a fait plusieurs fois l’expérience, et plus près de nous la Californie (à ceci près que la pointe d’été est la plus pénalisante).
    On voit donc qu’il n’existe pas de solution au problème de l’intermittence en raison de l’absence d’une technologie de stockage massif (appelé aussi saisonnier).
    Dans ces conditions, seules les centrales pilotables sont aptes à compenser l’intermittence, jusqu’à un certain taux d’intégration ; la R&D d’EDF; grâce à une simulation à grande échelle sur le réseau européen, a estimé qu’il sera difficile de dépasser un seuil d’intégration de 30 à 40 à % en moyenne (le seuil haut supposant une interconnexion parfaite entre États membres de l’UE, ce qui est loin d’être le cas).
    Si on exclut le charbon, qu’on accepte le gaz uniquement pour l’ultra pointe donc à doses homéopathiques, enfin que l’on considère que l’hydraulique est exploité quasiment au maximum, la conclusion est évidente : il ne reste que le nucléaire. A condition que les réacteurs aient été adaptés, comme en France, pour faire du « suivi de réseau » c’est à dire pour être pilotés en compensant les fluctuations de la demande (c’était le cas avant l’engouement pour les énergies intermittentes) mais aussi celles de ces dernières, croissantes avec leur taux d’intégration dans le mix.
    Qu’on apprécie ou pas l’électronucléaire (beaucoup de gens ont un avis tranché sans avoir jamais étudié la question de près !), c’est la seule solution possible à la décarbonation de l’énergie : et le GIEC l’a confirmé.
    Qu’attend l’UE pour l’admettre en intégrant le financement du nucléaire dans son « green deal » ?

    Répondre
    • Tout à fait d’accord avec les remarques de « studer ». Monsieur Papon fait des raisonnements incomplets et profère des affirmations non-prouvées, ça ne fait pas très sérieux…

      Répondre
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