Une décroissance verte pour sauver la planète ? (Tribune)
La LTCEV de madame Royal, votée à l’été 2015, promettait une « croissance verte », ce que d’aucuns virent de suite comme un oxymoron, lui préférant déjà son symétrique de même couleur, la « décroissance verte », seule à même de sauver la planète.
S’agissant de décroissance, la Covid 19 s’est chargée de l’engager sans aménités, et, à l’évidence, elle ne revêt pas les atours heureux dont ses tenants la parait volontiers ; quant à la couleur verte, ses adeptes n’ont pas tardé à vouloir repeindre, dans la nuance, toutes les mesures destinées à relancer la machine économique, quitte à la « plomber » d’entrée par des injonctions paradoxales.
D’une pierre deux coûts ….pour l’économie
Parmi les différentes étapes de la déconstruction d’une usine, la phase ultime des opérations est dite « du retour à l’herbe verte», quand les dernières traces de l’installation ont été effacées et que pourraient à nouveau y paître les paisibles bovins. Les vertes prairies, le paradis des indiens d’Amérique !
Parallèle hardi, mais peut-être pas tant qu’il n’y paraît, puisque des volontaristes, à l’occasion de la pandémie qu’ils tiennent pour la brèche attendue, rêvent de pouvoir reprendre le contrôle d’une décélération, qui s’est amorcée sans eux, gagnant ainsi sur deux tableaux, grâce au mirifique concept de « décroissance verte ».
Ces convaincus souhaitent en effet poursuivre le mouvement, voire l’accentuer, conformément aux canons d’une idéologie constitutive, qui a fait de la protection du climat et de la nature son objectif premier.
L’humain, pollueur-prédateur, est sommé de se faire aussi petit que possible, difficile pourtant, surtout si, inertie démographique aidant, nous serons de plus en plus nombreux sur cette planète. Mais qu’importe, le passé a déjà montré que les idées les plus baroques peuvent prospérer sans substrat.
Les bons principes de l’alpinisme s’appliquent aussi lors de la descente
Mais même si on doit soutenir, sans barguigner, tous les efforts visant à diminuer les dommages que notre civilisation inflige excessivement à l’écosystème, il y va de la qualité de notre vie et, à terme, de notre survie même. Il s’agit donc de raison garder, et de considérer notre diversité économique et démographique, en distinguant bien entre les besoins, vitaux et moins, qu’il faut satisfaire.
Quant à opérer un revirement, procéder en la matière méthodiquement et progressivement est une condition nécessaire, loin d’être suffisante hélas, mais il ne faut pas trébucher d’entrée. Or, plusieurs mesures de réorientation des activités, tôt annoncées, en France surtout, par les pouvoirs publics, font craindre qu’on donne droit dans l’impasse.
Mais, moins extracteurs, moins producteurs, moins consommateurs, moins pollueurs, moins mobiles, moins…etc, serons nous, devenus plus verts ? Plus frugaux, par contre, c’est certain.
Le conflit des gilets jaunes avait mis en exergue le fort hiatus « fin du mois, versus, fin du monde ». Ici c’est la même opposition temporelle qui pointe à nouveau, entre ceux dont la préoccupation est focalisée sur la rentrée prochaine, moment où la crise économique, post covid, va révéler sa vraie dimension, et ceux qui projettent, au-delà d’un futur proche, rempli de lourdes inquiétudes, leurs schémas idéaux pour le monde d’après, en franche rupture avec nos canons actuels.
Mais avant de penser métamorphose, ne faut-il pas d’abord se préoccuper de survie ?
On peut se brûler au feu vert
Pour ces doctrinaires opportunistes, ne pas chercher à rétablir, peu ou prou, les principes qui prévalaient encore fin 2019, mais, tout au contraire, leur substituer des logiques conduisant à un verdissement drastique de l’économie, constitue un programme autoportant.
Que ces mesures doivent s’accompagner d’une importante contraction de l’activité, non seulement ne leur importe pas, mais fait logiquement partie du schéma qu’ils proposent.
Mais, réorienter une économie est déjà un processus difficile en période de stabilité, et même en phase de croissance, alors imaginer pouvoir le faire, qui plus est, radicalement, en période de crise profonde, relève de la gageure, le mot est faible.
Prophètes illégitimes
Ce qui est regardé par certains comme une opportunité historique, est en fait une lecture fortement biaisée de la réalité. Voir dans un contexte, parce qu’inédit, le terreau propice à une révolution économico-sociétale, « plus jamais comme hier… », est largement inconséquent.
Que le discours soit porté, le plus souvent, par des opulents qui jusque là, trouvaient, comme Voltaire, le superflu : « chose très nécessaire » et qui possèdent donc des marges de confort qu’ils pourraient réduire sans dommage, n’ajoute guère au crédit du propos. Porté par cette frange nantie, le discours est inaudible et, pire, pourrait discréditer une vraie nécessité.
Détrompeur idéal, l’actualité nous donne d’ailleurs à toucher du doigt ce qu’est réellement une décroissance, même à son début, avec déjà tous les effets multiplicateurs induits dans une économie maillée, et qu’on peine à imaginer hors situation. Mais nous y sommes, et ils apparaissent en grand nombre !
Ceux qui présentaient depuis longtemps la décroissance comme l’avenir de la planète, sinon de l’humain, devraient avoir la décence de reconsidérer leur discours, mais c’est sans doute beaucoup demander.
Continuité critique plutôt qu’orthogonalité systématique
Une économie ayant dû freiner brutalement peine à redémarrer et elle ne pourrait le faire, toutes choses restant égales par ailleurs, qu’en ménageant un équilibre offre-demande avec des volumes croissant à nouveau, progressivement. Mais interfèrent, entre autres, dans cette logique, stocks invendus, salaires et charges fixes,.. qui plombent d’entrée toute linéarité.
En butte à la dure réalité, pas un secteur ne sera épargné, mais se voir accorder des aides de la Puissance Publique, moyennant des reconversions radicales en conformité avec les doxas vertes, s’avèrera impossible à jouer ou cosmétique.
Ainsi, vouloir relancer l’industrie aéronautique en étudiant l’avion électrique, ou Air France en clouant ses avions au sol et Renault en fabriquant, en masse, des véhicules électriques, munis de batteries chinoises et qui se vendront à dose homéopathique, apparaît comme l’archétype de solutions inopérantes.
Il n’est pas jusqu’au train, déjà largement vert en France, qu’on veuille verdir encore davantage, par exemple via les automoteurs fonctionnant à l’hydrogène et destinés à remplacer la traction diesel sur les lignes non électrifiées.
Au passage, l’engouement pour l’hydrogène, filière présentée comme moderne, innovante et aux multiples possibilités et qui bénéficie de subventions généreuses de la part des pouvoirs publics, pourrait rapidement se briser contre la dure réalité de la sécurité, de la lourde logistique afférente, des faibles rendements de la chaîne et des coûts et des émissions liés à sa fabrication.
Mais s’il s’agit de verdir le transport de passagers et de marchandises, à grande échelle, alors faisons jouer pleinement son rôle au train mu par l’électricité décarbonée, captée par une caténaire, plutôt qu’alimenté par une pile à combustible !
« Résolument vert », a dit le Président
A croire que l’imagination, elle-même, se cantonne à ce qui apparaît vert, il n’est pas de mécanisme de soutien ou de plan de relance qui n’affichent ostensiblement la couleur, comme si le salut ne pouvait se trouver que dans l’intervalle des longueurs d’onde « 550-577 nm » ?
A propos, en pleine révolution chromatique, ne devrait-on pas redéfinir le spectre des couleurs en les situant dans l’infra vert ou dans l’ultra vert….
Toute transposition au champ politique, serait évidemment d’une perfidie insigne.
Cette focalisation est bien inquiétante, qui montre des gouvernants démunis, qui veulent rassurer en indiquant la seule voie verte comme permettant de reconstruire l’économie du pays, plus rationnellement qu’avant, en utilisant des briques vertes (souvent verdies en l’occurrence).
Alors que le virus monopolisait l’attention, la nouvelle PPE (1) a été promulguée subrepticement, car cette fuite en avant vertigineuse, pourrait inquiéter une nation exsangue ?
Toute de vert parée elle sera pourtant présentée, le calme revenu, comme emblématique de la nouvelle politique de relance verte. Mais c’est une option présomptueuse, puisque le déploiement, toujours plus ample des EnR électriques (éolien et solaire PV), consistant essentiellement en l’installation de matériels importés, ne suffira évidemment pas à faire que la machine redémarre, même en y ajoutant l’amélioration de l’isolation des bâtiments (tâche titanesque, mais de très longue haleine) et de la mobilité électrique (anecdotique à l’échelle du problème).
Reste que s’interroger sur le meilleur usage qu’on pourrait faire des 7 Mds€ qu’on dépense annuellement pour verdir une électricité déjà verte (2), serait de bonne politique, dans l’impasse actuelle.
Coluche n’était pas allé jusqu’à imaginer le « plus vert que vert », mais les nouvelles couleurs du temps (pas celles si chères à Guy Béart..), l’y auraient peut-être incité. Ses faux épigones l’ont déjà dépassé !
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(1) : le décret relatif à la PPE (Programmation Pluriannuelle de l’Energie) pour la période 2019-2028 est paru au Journal officiel le 23 04 2020
Son adoption était initialement attendue fin 2018, mais ce texte, aux multiples implications, aura pris beaucoup de retard.
Un second décret, relatif à l’adoption de la SNBC (Stratégie Nationale Bas-Carbone), a été publié le même jour. Celle-ci fixe comme objectif « la neutralité carbone de la France » à l’horizon 2050.
(2) : financés par le budget de l’Etat, via un compte spécial (CAS-TE) abondé essentiellement par les taxes sur les produits pétroliers (TICPE).