Défi climatique : le numérique, un outil stratégique pour agir
Une tribune signée Gabriel Raymondjean, directeur de Talan Opérations et Olivier Marchand, manager Climat et Numérique Responsable chez Talan.
Transformation digitale et transition écologique ne doivent pas être opposées. Il faut s’atteler à réduire l’empreinte carbone du numérique mais ce dernier peut aussi contribuer à relever le défi du changement climatique.
A l’heure où la transition environnementale se pose avec acuité, nul ne peut plus ignorer l’impact de nos activités numériques sur l’environnement. Selon la dernière étude conjointe de l’Arcep et de l’Ademe, elles représentent déjà 2,5 % des émissions de gaz à effet de serre de la France mais le numérique pèse 10 % de la consommation électrique mondiale, entrainant ainsi 4% des émissions mondiales, dépassant ainsi de loin le secteur de l’aviation civile, pourtant plus régulièrement décrié.
Et la forte augmentation de nos pratiques personnelles comme professionnelles laisse entrevoir un doublement de cette empreinte carbone d’ici 2025.
La fabrication des serveurs, des ordinateurs et autres smartphones constitue le principal poste d’émission de CO2 mais cette fabrication exige également beaucoup d’énergie, des traitements chimiques et l’extraction de ressources finies comme les métaux rares (Tantale ou Indium par exemple). Le concept de sac à dos écologique est ainsi frappant puisque que pour fabriquer un ordinateur portable de 2 kg, il faut mobiliser 800 kg de ressources ainsi que plusieurs milliers de litres d’eau douce.
Pour autant, gardons-nous de jeter le bébé avec l’eau du bain. Le numérique est comme le « pharmakon », ce mot du grec ancien qui désigne à la fois le poison et le remède. L’activité digitale représente une partie du problème et de sa solution. Ce que nous rappelait en son temps le philosophe français Bernard Stiegler.
Cette dualité à la Janus s’exprime par les expressions « green IT » et « IT for green ». Dans le premier cas, il s’agit d’utiliser tous les leviers possibles pour réduire l’effet du numérique sur l’environnement et dans le second de recourir aux nouvelles technologies pour diminuer l’empreinte carbone d’une organisation ou d’un métier.
Du green IT au numérique responsable
Alors que le concept de green IT remonte au début des années 2000, il a pris une ampleur inédite ces derniers mois. Fin 2021 se tenait le GreenTech Forum, premier événement dédié à la réduction de l’empreinte environnementale du numérique. Un salon né à l’initiative de Planet Tech’Care, un projet initié par le syndicat professionnel Numeum. De son côté, le Cigref, le club des « grands » DSI organisait la deuxième édition de son colloque sur la sobriété numérique.
Le vert pouvant être associé au « greenwashing », le concept de numérique responsable s’est substitué à celui de green IT. Un glissement sémantique qui illustre ce changement de dimension. Ce numérique responsable est devenu une composante clé des stratégies RSE d’entreprises pionnières comme la Société Générale, le Crédit Agricole, la SNCF, Fnac Darty ou Pôle emploi.
Le numérique responsable répond non seulement aux préoccupations environnementales mais aussi aux enjeux sociétaux.
Par exemple, de nombreuses entreprises adaptées se sont positionnées avec succès sur le créneau de la réutilisation et du reconditionnement des équipements électroniques.
Une excellente occasion pour les entreprises de favoriser l’emploi des personnes en situation de handicap en confiant ce sujet primordial à ces partenaires. Rappelons en effet qu’une grande partie de l’empreinte carbone du numérique provient de la fabrication des équipements et que la prolongation de leur durée de vie est un levier majeur de réduction de cette empreinte. Si pour des raisons métier ou de sécurité, les entreprises ne peuvent pas étendre cette durée de vie au sein de leur parc, il est indispensable qu’elles mettent en œuvre cette 2ème vie.
Sur un autre plan, être responsable numériquement, c’est aussi penser ses applications et sites web accessibles aux utilisateurs en situation de handicap (20% de la population française, voire 40% en prenant en compte les situations de handicap temporaires) et ce, dès le début du projet. L’accessibilité numérique des populations fragiles ou isolés peut également être favorisée : l’éco-conception et l’optimisation du code permet de produire des applications aux fonctionnalités simples fonctionnant sur tout type d’ordinateur et pas uniquement sur des PC de « gamer » de dernière génération.
Cette frugalité dans les développements ne concerne pas uniquement les nouveaux projets. Une entreprise doit passer en revue son patrimoine applicatif pour réduire sa dette technique. Certaines applications, peu ou pas utilisées, peuvent être décommissionnées, c’est-à-dire retirées du système d’information quand d’autres vont voir leur évolution fonctionnelle revue à la baisse ou bien se transformer pour gagner en sobriété et consommer moins d’infrastructure.
Une base de données de gestion de configuration (CMDB) permet notamment d’établir des corrélations entre une application et la consommation en ressources d’un serveur qui l’héberge. Dans ces arbitrages, la consommation énergétique d’une application devient un paramètre à prendre en compte parmi d’autres comme la création de valeur ou les gains de productivité. Cet impact carbone peut aller jusqu’à revoir un process métier sous ce prisme.
En se fondant sur la mutualisation des infrastructures, le recours au cloud a des impacts positifs, à condition d’obtenir des fournisseurs toute la transparence sur la consommation effective des ressources du cloud. Il ne faut pas dans ce cas se limiter au calcul du fonctionnement des datacenters mais prendre en compte les externalités, c’est-à-dire la fabrication des machines et des infrastructures. A cet égard, l’approche FinOps, visant à réduire les dépenses excessives du Cloud par une meilleure optimisation des ressources, peut permettre à une entreprise de réconcilier l’objectif de réduction de coûts avec l’enjeu de sobriété numérique. Mais attention à ne pas céder aux sirènes des cloud providers. Une entreprise peut tout à fait optimiser ses datacenters (via le confinement des allées chaudes et froides ou en changeant de système de refroidissement) et ses serveurs (densification, virtualisation, extinction des machines le soir et le week-end, downsizing) pour obtenir un résultat équivalent.
Mesurer, former, transformer
Sur le volet IT for green, le numérique contribue depuis des années à la protection de l’environnement. Citons par exemple, le suivi des thons grâce à des balises Argos. Ces mesures ont permis de connaître leur effectif, leurs flux migratoires, leurs sites de reproduction. Ce sont ces connaissances qui ont permis d’agir afin de protéger cette espèce menacée (détournement du trafic maritime, protection de certaines zones, …).
De façon plus générale, cette approche « mesurer pour agir » s’applique parfaitement au monde de l’entreprise et le numérique peut contribuer à la réduction du bilan carbone de ces dernières.
La collecte d’un grand nombre de données éparses permet à une organisation de calculer son empreinte actuelle et de générer des rapports extra-financiers. Plusieurs start-ups se sont positionnées sur ce créneau de mesures puis de suivi de ces objectifs de réduction d’émissions : Traace, Carbo, Greenly, Fruggr, Plan A, Aguaro, Toovalu, parmi d’autres. Certaines sont orientées sur l’impact carbone du numérique, d’autres sont plus généralistes.
Toutes supposent d’obtenir des données d’activités plus ou moins précises (sous peine de devoir fonder son bilan carbone sur des ratios monétaires éloignés de la réalité). Cette remontée d’informations peut s’appuyer sur des capteurs connectés (IoT). Les données collectées permettent d’optimiser la consommation énergétique des bâtiments ou la gestion d’une chaîne logistique par exemple.
Associé à l’intelligence artificielle, cela permet également de faire des simulations et faciliter ainsi la prise de décision. Avant de lancer un nouveau process, une entreprise pourra évaluer son impact carbone.
Si les 2 premiers piliers (mesurer-analyser, transformer-agir) sont indispensables à une stratégie de numérique responsable, il ne faudrait surtout pas oublier son troisième pilier : former-sensibiliser. Sur ce dernier point, tous les collaborateurs d’une entreprise sont acteurs du changement.
Pour ne pas provoquer de l’éco-anxiété, il faut informer sans faire paniquer. Le recours aux mécanismes de gamification permet de fédérer un collectif autour d’initiatives. L’application Ecoly propose ainsi d’agir pour l’environnement tout en s’amusant, en relevant des défis. MyCO2, quant à lui, convie les collaborateurs d’une entreprise lors de conférences ludiques et interactives afin de les guider dans la réduction de leur empreinte carbone.
Cet engagement stratégique entre bien en résonance avec les préoccupations environnementales et la quête de sens des collaborateurs. Il constitue un levier d’attractivité et de fidélisation dans le contexte de la guerre des talents. Mais attention aux dérives du greenwashing consistant à repeindre en vert la moindre opération de communication. L’effet serait dévastateur pour la cohérence de l’entreprise, ses candidats et ses salariés.
Pour cela, une bonne règle peut être : « Faire plus que ce qu’on dit et dire moins que ce qu’on fait ».