Le e-commerce est-il vraiment un élément clé de la décarbonation du transport de marchandises ?

Analyse signée Juliette Sorret, Consultante chez Carbone 4. (article initialement publié dans la newsletter Décryptage Mobilité)

Avec une croissance pour l’année 2020 qui a atteint + 37% [1] , le e-commerce* apparait comme le grand gagnant de la crise du covid-19, avec ses confinements successifs.

Alors qu’il poursuit sa progression spectaculaire et son installation durable dans nos modes de consommation**, le débat fait rage sur son empreinte carbone comparée au mode d’achat physique traditionnel, différentes études conduisant à des conclusions opposées [1] [2] .

Le e-commerce : quel poids carbone ?

En analysant les émissions reportées par les entreprises du e-commerce qui publient un bilan carbone sans omettre de postes significatifs, il est important d’observer que la fabrication des biens achetés et l’usage des produits vendus représentent la quasi-totalité du bilan carbone de ces entreprises (entre 85-95%), contre 5-10% seulement pour les émissions liées au transport (fret amont, fret aval, déplacements des visiteurs) [3] . Ainsi avant de comparer la vertu relative des modes d’achat, n’oublions pas que c’est en premier lieu la consommation superflue qui est vectrice d’émissions de gaz à effet de serre.

En plus des émissions induites, le développement d’entrepôts dédiés au e-commerce, construits sur des terres agricoles ou non artificialisées, participe également à réduire les puits de carbone. Si aujourd’hui l’artificialisation causée par le e-commerce représente moins de 1% de la surface moyenne annuelle artificialisée en France [1] , c’est surtout la dynamique actuelle de construction et le manque de cadre réglementaire pour ces bâtiments logistiques qui sont contestés, les entrepôts de e-commerce n’étant pas concernés par la loi climat visant à limiter la construction de surfaces commerciales en zone naturelle.

E-commerce versus commerce en magasin : une victoire à nuancer ?
Malgré son apparence de dématérialisation via le numérique, le e-commerce est bien une activité fortement émettrice de carbone. Cependant, de nombreux acteurs et études le présentent comme une alternative moins émettrice de CO2 que le commerce classique [2] . Alors, e-commerce vs commerce en magasin : qui est le vainqueur dans ce match du moins carboné ?

L’argument classique en faveur du e-commerce est d’affirmer que le déplacement du client au magasin en voiture est « remplacé » par une livraison optimisée à plusieurs client·e·s, ce qui génère moins de déplacements et donc moins d’émissions. Cette affirmation est à nuancer sur deux points clés :

  • Le e-commerce viendrait remplacer le commerce classique : comptabiliser des émissions évitées pour le e-commerce par rapport au commerce en magasin est pertinent seulement si l’un vient vraiment remplacer l’autre. Or, très peu de consommateurs arrêtent de se déplacer en magasin pour réaliser leurs courses grâce au e-commerce.
    Non seulement les surfaces des implantations commerciales sont restées globalement stables sur les 15 dernières années malgré la progression du e-commerce, mais le développement du e-commerce ne s’accompagne pas forcément d’une réduction des pratiques de mobilité. En effet, dans certains cas la mobilité pour les achats des particuliers reste inchangée, et donc les livraisons à domicile entrainent une addition nette à la mobilité [4] . Ainsi, les émissions liées au e-commerce sur ces postes ne viendraient pas en substitution de celles du commerce classique, mais s’y ajouteraient.
  • Le transport par les livreurs serait optimisé par rapport aux déplacements des particuliers en magasin : l’utilisation d’un « cas moyen » masque les disparités des pratiques d’achats, que ce soit en magasin ou en ligne. En effet, même si la voiture reste le cas de référence pour aller faire ses courses en magasin, la part modale de la voiture varie grandement (de 24 à 88%) selon la localisation (grandes agglomérations ou villes moyennes, centre ou périphérie) et le type de commerce (grandes surfaces ou petits/moyens commerces), l’alternative étant souvent des modes de transport décarbonés comme la marche, le vélo ou les transports en commun (de 10 à 74%) [5] . Dans ces derniers cas, la situation de référence « 100% automobile » n’est évidemment plus valable. En outre, un particulier va souvent grouper des achats lors de son déplacement en magasin, ce qui peut diminuer dans des proportions importantes les émissions rattachées à l’acte d’achat au magasin du produit concerné. Or, le groupement des achats n’est pas pris en compte dans les études comparant l’e-commerce et le commerce au magasin qui prennent comme référence l’achat d’un seul produit [2] De plus, l’optimisation des tournées est de plus en plus contestée notamment à cause du taux de retour des produits (de 10 à 30% selon les filières), des livraisons supplémentaires du fait de l’absence du destinataire (le taux d’absence lors de la première tentative est d’environ 15%) et des nouvelles tendances des consommateur·ices, comme notamment la livraison rapide [1] . La course aux délais de livraison toujours plus courts a pour conséquence la diminution des taux de remplissage des camions, et le recours accru à des modes plus rapides et plus carbonés [6]  :

Emissions de gaz à effet de serre et de NOx selon les délais de livraison
par colis | en kgCOou gm

Ainsi, plusieurs paramètres sont déterminants dans le bilan de gaz à effet de serre de la logistique du dernier kilomètre : le type de motorisation, le taux de remplissage des véhicules, le taux d’absentéisme dans le cas d’une livraison à domicile et le taux de retour des produits [1] .

De la sorte, le e-commerce cache une diversité de pratiques plus ou moins carbonées de la part des transporteurs, et une diversité non moins riche de situations de référence, entre une personne se déplaçant en voiture pour effectuer un achat unique et celle groupant ses achats effectués en vélo. Et selon la comparaison choisie, le plus vertueux en matière climatique sera tantôt le e-commerce, tantôt les magasins physiques, comme l’illustre l’étude « Environmental Analysis of US Online Shopping » (2013) [7] :

Comparaison des émissions de gaz à effet de serre entre le commerce en magasin et le e-commerce (« traditional shopper » : commerce en magasin, « cybernaut » = e-commerce sans livraison rapide,« cybernaut impatient » = e-commerce avec livraison rapide) | en kgCO2e

Pas de victoire par K.O. donc pour le e-commerce. Mais est-ce que cette comparaison est vraiment le bon combat à mener ?

Face à cette absence de réponse claire, et tandis que le e-commerce est désormais bien installé dans nos modes de consommation, l’enjeu n’est-il pas plutôt d’adapter nos usages afin de garantir un commerce le plus bas carbone possible, quel que soit le mode d’achat ?

Comment réduire l’impact carbone du e-commerce ?

  1. Le rôle des consommateur·ices :
  • La quasi-totalité des émissions associées au e-commerce sont dues à la fabrication et l’usage du produit. Ainsi, il s’agit avant tout de repenser notre besoin et ne pas céder à la surconsommation.
  • Le type de livraison : privilégier les livraisons en point relais et favoriser les modes de transport faiblement carbonés pour aller collecter le colis (par exemple en se basant sur les informations environnementales affichées par les plateformes d’e-commerce, voir ci-dessous).
  • Les délais de livraison : réduire au strict minimum les livraisons rapides. A-t-on vraiment besoin de ce nouveau barbecue en moins de 24h ?
  • Regrouper ses achats en une seule livraison.
  1. Le rôle des acteurs du e-commerce :
  • Privilégier des modes de transport plus faiblement carbonés pour le transport amont : le choix de transport aérien par rapport au transport maritime peut faire exploser le bilan carbone d’un produit acheté (le facteur d’émission du transport aérien étant environ 100 fois plus important que celui du transport maritime).
  • Décarbonation du « dernier kilomètre »*** (voire du segment précédent menant au dernier entrepôt logistique) : la motorisation des véhicules reste encore très largement thermique. De multiples solutions existent comme le vélo-cargo et le développement de motorisations alternatives [8] .
  • Afficher l’empreinte carbone des différents types de livraison (point relais ou à domicile, délai de livraison, etc.) pour sensibiliser les consommateur·ices.

 

* La vente à distance de produits et sa livraison en point relais ou à domicile
** La part du commerce en ligne atteint 13,4% du commerce de détail en 2020
*** Sémantique qui ne doit pas être interprétée au pied de la lettre : le segment terminal est en général plus long, puisqu’il relie le dernier entrepôt logistique, situé en général en banlieue ou dans les faubourgs des villes, au client final, potentiellement à bien plus qu’un kilomètre de l’entrepôt …
Sources :
[1]  France Stratégie
[2]  Olivier WymanEco-comparateur ColiposteFEVAD
[3] Analyse à partir des rapports annuels des entreprises de e-commerce, des déclarations issues du Climate Disclosure Project (CDP) et de l’expertise Carbone
[4]  6t
[5]  CEREMA
[6]  MIT Center for Transportation & Logistics
[7]  UCDAVIS Institute of Transportation Studies
[8]  Carbone 4

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