EasyJet : exemple à suivre ou pompier pyromane ?
Alors que bien peu d’autres secteurs réalisent de tels gains d’efficacité énergétique année après année (autour de 2% par an en tendance longue), se dotent d’un standard d’émissions commun (le CO2 Standard de l’ICAO [6] ) ou adoptent un objectif commun compatible avec l’Accord de Paris (division par 2 des émissions de CO2 entre 2005 et 2050 [7] ), la réponse à cette question n’est pourtant pas aussi évidente. Pour ambitieuse qu’elle puisse paraître, la stratégie d’EasyJet n’est pas nécessairement un exemple à suivre.
Pas si simple
Notre propos est impertinent ? Peut-être, mais il s’appuie sur quelques arguments solides.
Commençons par regarder les chiffres : qui peut sérieusement croire qu’en mettant simplement 30 millions d’euros sur la table (soit environ 4€/tonne de CO2), l’activité d’EasyJet puisse se revendiquer de l’ambition climat ultime qu’est la neutralité ?
Suffit-il de planter suffisamment d’arbres (et ainsi absorber l’équivalent des 8 millions de tonnes de CO2 qu’EasyJet émet annuellement dans l’atmosphère [8] ) pour résoudre l’épineuse question de la place de l’avion dans un monde dont le climat ne cesse de se dérégler ? Si c’était aussi simple que cela, pourquoi n’y aurait-on pas tous pensé plus tôt ?
Plus sérieusement, à ce prix de 4 €/tonne de CO2, on peut émettre un doute légitime sur le fait que les crédits achetés par EasyJet offrent une garantie sérieuse de stocker durablement les millions de tonnes de CO2 émises par la compagnie chaque année.
Elle le reconnaît elle-même dans le détail de sa stratégie [4] : « […] we’ll offset the carbon […] by investing in projects that include the planting of trees or protection against deforestation, production of renewable energies including solar power and wind, and working with local communities on how to reduce emissions in their way of life ».
Tour de passe passe
Comme nous l’avons largement développé dans notre article sur Air France [5] , les stratégies de « compensation » adoptées par les entreprises doivent faire la part belle aux projets de réduction véritable des émissions et de séquestration additionnelle de carbone.
Sauf que ces derniers sont en général plus chers, surtout s’il faut surveiller et assurer la permanence du stockage.
Par ailleurs, les projets permettant de préserver les forêts ne concourent ni à absorber les émissions, ni à les réduire, ce qui est problématique pour contribuer à la neutralité (voir notre article sur JetBlue, [9] ).
Enfin, la dernière assertion sur les communautés locales est choquante car elle sous-entend en creux qu’il serait bon que les communautés locales du Sud en développement réduisent leurs propres émissions, afin que les utilisateurs de l’avion puissent continuer à voler sans se poser de question. Car oui, pourquoi réduirait-on nos émissions puisqu’on peut les compenser ?
C’est là que réside le malentendu profond entre l’approche d’EasyJet (partagée et promue par de nombreux acteurs, y compris hors du secteur aérien) et ce que la neutralité carbone planétaire exige.
Pour être simple, cette neutralité à l’échelle mondiale (la seule qui ait du sens en termes purement physiques) exige que nos émissions mondiales soient divisées par 3 à 4 en 30 ans, et que dans le même temps, les puits de carbone soient multipliés par 1,5 à 2.
Or, ce que promeut EasyJet ne joue principalement que sur le 2ème levier, et marginalement sur la réduction en absolu des émissions, qui doit pourtant avoir la priorité étant donné les ratios évoqués.
De l’huile sur le feu
Que l’entreprise le veuille ou non, se proclamer « neutre en carbone » est peut-être exact compte tenu de la définition actuelle de la « neutralité carbone des entreprises », mais cette revendication n’est pas crédible au regard des réductions d’émissions absolues requises par l’urgence climatique.
Et pour être un peu provocateur, en revendiquant haut et fort cette façon d’envisager la neutralité, EasyJet ressemble à un pompier pyromane (du climat) : elle rajoute surtout de l’huile sur le feu en déresponsabilisant les voyageurs (stimulant ainsi la croissance des flux de transport, renforçant de fait le changement climatique), tout en pensant que répandre un peu d’eau autour du feu suffira à compenser… Que nenni.
Alors, vaut-il mieux ne rien faire pour autant ? Non, bien entendu, EasyJet doit être encouragée à financer des projets de reforestation, de protection des forêts menacées, d’énergies renouvelables auprès de populations fragiles, mais elle ne doit en aucun cas s’en prévaloir comme l’alpha et l’omega d’une stratégie de neutralité carbone.
Une telle communication triomphante installe l’idée nuisible que le Business As Usual est possible, simplement en plantant des arbres ou en montant éoliennes et panneaux PV jusqu’à la fin des temps, sans interroger la croissance des flux.
Bien sûr qu’en s’exposant de la sorte sur le plan de la communication, Easyjet fait ici l’objet de notre regard critique, mais c’est bien à l’ensemble du secteur que notre propos s’adresse.
Soyez courageux, EasyJet, Air France, Jet Blue et toutes vos compagnies consœurs : portez sur la place publique la question de la croissance !
Sources :
[1] Euronews
[2] L’Express
[3] Le Temps
[4] EasyJet
[5] Carbone 4
[6] ICAO
[7] IATA
[8] Reuters
[9] Carbone 4
COMMENTAIRES
Il suffirait tout simplement de taxer le kérosène comme le gazole ou l’essence avec la TICPE et la TVA (200% de taxes) pour voir baisser le transport aérien.
Je ne trouverais pas choquant de payer autant de taxes pour le carburant de l’avion qui m’emmène en vacances que dans ma voiture avec laquelle je vais travailler…