L’école numérique : des conséquences environnementales insoupçonnées
Article de notre partenaire La Fabrique écologique
Les gouvernements français qui se sont succédés ces dernières années ont fait passer des réformes qui vont dans le sens d’une numérisation de l’éducation.
Le discours prononcé par F. Hollande le 7 mai 2015 lors de l’annonce du « plan numérique » promettait d’emblée que, d’ici à 2018, « 100% des élèves en collèges [disposeraient] d’un outil numérique », et que des contenus pédagogiques adaptés et spécifiques seraient mis en place, à l’instar de formations du personnel enseignant.
Selon les propos de la ministre de l’Education Nationale de l’époque, Najat Vallaud-Belkacem dans son discours prononcé lors de la Journée de restitution des résultats de la Concertation nationale sur le numérique pour l’éducation en mai 2015, les bienfaits de ce « plan numérique » sont les suivants : « la réduction des inégalités scolaires, culturelles et sociales, la lutte contre le décrochage et la démotivation, l’adaptation de l’enseignement à la diversité et aux besoins de chaque élève, l’ouverture de l’école sur le monde, sur son territoire, sur son époque ».
Le déploiement du « plan numérique » s’est fait progressivement et si la généralisation n’était pas effective au moment de la rentrée scolaire 2019, plus de 50% des collèges publics étaient quand même équipés en outils numériques en 2017, ce qui représentait une quantité importante d’élèves appareillés.
Quels problèmes découlent de cette profonde transformation ? Quels arguments opposer à celles et ceux qui n’accueillent qu’avec optimisme la numérisation du système scolaire français ? Comment nuancer cet engouement ?
L’empreinte écologique indélébile laissée par les outils numériques
Une des conséquences positives du plan numérique serait la poursuite de l’objectif « zéro papier ». Pourtant, malgré l’apparition du numérique dans les écoles la consommation de papier a diminué, mais seulement de 1,3% entre 2000 et 2010.
De plus, cette approche nie en partie l’impact écologique du cycle de vie de ces outils numériques et les dégâts environnementaux liés à la division internationale du travail.
Le processus de fabrication des composants polluants
L’industrie électronique est particulièrement néfaste pour l’environnement. Ainsi, la fabrication de puces électroniques nécessitant l’emploi de produits toxiques peut, en dépit des contrôles, participer à la contamination de nappes phréatiques et développer des problèmes d’ordre sanitaire. La pollution des sols et des nappes phréatiques de la Silicon Valley en sont la preuve.
Par ailleurs, les quantités d’eau nécessaires à la purification des minerais que comportent ces composants sont importantes. Par exemple, pour chaque cm2 de silicium, on compte 20 à 30 litres d’eau nécessaires à sa purification.
L’enjeu majeur de l’impact environnemental des outils numériques se trouve au cœur-même des appareils: les métaux rares
Selon le Bureau français de Recherches géologiques et minières (BRGM), environ 100 000 tonnes de métaux rares sont produites chaque année. Cette famille de métaux est considérée comme rare de par sa faible production comparée aux millions de tonnes de métaux industriels produites par an et de par sa forte valeur économique.
Disponibles en quantités limitées, ils composent la majorité des appareils électroniques : lithium et cobalt pour nos batteries, indium pour nos écrans tactiles, ruthénium pour nos disques durs…
Bien que le disque dur d’un téléphone ne contienne en moyenne que 4,5 g de métaux rares, la production exponentielle d’outils numériques dans le monde nourrit plusieurs inquiétudes au sujet de notre capacité à les exploiter.
Ainsi dans un rapport daté de 2017, la Commission Européenne a révélé une liste de 27 matières premières jugées critiques pour l’Union Européenne en terme de disponibilité, dont 13 sont des métaux rares.
Outre les risques de pénurie, l’impact environnemental de l’extraction de ces matières est considérable. L’artificialisation des terres et la construction des infrastructures nécessaires à cette production ainsi que le déchiffrement et le déblaiement des aires d’extraction minière sont une des premières causes de pollutions.
Il est établi que la consommation énergétique de l’extraction de métaux nécessite 10% de l’énergie primaire mondiale, un chiffre qui devrait s’intensifier dans les prochaines années au rythme des innovations technologiques et des efforts énergétiques nécessaires à l’exploitation de mines de moins en moins concentrées en métaux rares.
Par ailleurs, de grandes quantités d’eau sont également utilisées pour extraire le métal du minerai ainsi que des polluants tels que le mercure, l’arsenic ou le dioxyde de soufre et des produits chimiques nocifs. Cela entraîne un phénomène de drainage minier à l’origine de la contamination des eaux de surface ainsi que des nappes phréatiques. L’état du fleuve se situant près de Baoutou, une ville de Mongolie intérieure, en Chine, en est un exemple marquant.
Comme le souligne Guillaume Pitron, auteur de l’ouvrage La Guerre des métaux rares, « Nous avons laissé les autres se salir pour nous donner l’illusion d’avoir les mains propres ». L’Europe a choisi d’abandonner l’exploitation minière et de la déléguer à la Chine.
Se positionnant ainsi comme l’une des plus importantes zones d’extraction de terres rares, on peut trouver dans ses eaux devenues troubles d’innombrables sortes de substances chimiques toxiques, ainsi que des éléments radioactifs. Le surnom « villages du cancer » qui a été donné aux villages de cette zone ne peut être plus clair.
La fin du cycle de vie des appareils électroniques dans la continuité de notre réflexion sur les métaux rares est aussi problématique pour deux raisons.
Tout d’abord, les pertes sont considérables : le tonnage annuel des déchets miniers serait de l’ordre de 6 à 7 milliards de tonnes (1 tonne par personne en moyenne), surpassant largement celui des déchets ménagers et industriels qui s’élève à 4 milliards de tonnes.
Ensuite la courte durée de vie de ces appareils ainsi que le problème de l’obsolescence programmée provoquent à l’échelle mondiale une augmentation exponentielle des Déchets d’Équipements Électriques et Électroniques (DEEE ou D3E), jusqu’à atteindre le nombre vertigineux de 44,7 millions de tonnes en 2018.
Il est prévu que ce chiffre frôle les 60 millions dans quelques années. En considérant que 80% d’entre eux ne sont pas triés convenablement, ils sont en majorité incinérés ou mis en décharge. Une partie des 20 % restants se retrouve « exfiltrée », vendue et exportée comme matériel d’occasion dans des circuits informels de recyclage ou encore dans des bidonvilles au Ghana, au Pakistan ou encore en Chine.
Enfin, une infime partie des déchets restants bénéficie quant à elle de quelques « usines de classe » mondiales ou l’on peut récupérer environ 15 métaux différents.
Toutefois, le rapport de la Commission européenne 2017 cité précédemment établi que le taux de recyclage en fin de vie du cobalt est presque nul, et que les terres rares se recyclent à moins de 1%.
Les métaux rares à l’origine de conflits régionaux
La guerre civile de la République Démocratique du Congo explique l’emploi de l’expression des « minerais de sang » pour qualifier des conflits sanglants induits par la production de métaux rares.
Ce pays détient 80 % des réserves mondiales du coltan, un minerai dont est extrait le tantale, l’un des métaux rares utilisés pour fabriquer les condensateurs de la grande majorité des outils numériques. Ce commerce où le tantale se négocie à seulement 20 $ le kilo, mais se revend jusqu’à 400 $ le kilo est à l’origine de nombreuses violences.
Cette perspective associée à la demande grandissante de ces ressources donne lieu à la naissance et au développement de plusieurs trafics. On estime que les violations des droits de l’Homme y ont augmenté de près de 30% entre 2015 et 2016.
Sur le plan géopolitique, le monopole de la Chine en termes d’exploitation de terres rares pose la question de la dépendance de l’Europe. La Commission européenne en tire des conclusions plutôt alarmantes: « la Chine est le pays le plus influent en ce qui concerne l’approvisionnement mondial en maintes matières premières critiques […]
Cette concentration de la production est d’autant plus problématique qu’elle va de pair avec une substitution faible ». En d’autres termes, aucun autre pays n’est actuellement en mesure de fournir une quantité aussi importante de métaux rares, alors qu’il s’agit de ressources indispensables au bon fonctionnement de notre société numérisée.
Elle se place ainsi comme la seule option, du haut de son piédestal en tant que première puissance économique mondiale.
Ainsi, nos appareils ont un coût, financier certes, mais pas seulement. Derrière leurs composants se dissimule des coûts humains et environnementaux.
Sommes-nous prêts à le payer, ou plus exactement, sommes-nous prêts à continuer de le cautionner, au profit de quelques tablettes supplémentaires dans les collèges français ?
Une consommation énergétique significative
Nous nous attarderons à présent sur la consommation énergétique des outils numériques. La dématérialisation caractéristique des décennies passées ainsi que le développement des technologies sans fil requièrent des infrastructures qui se multiplient dans le monde, invisibles à l’œil de l’utilisateur : satellites, milliers de km de câbles terrestres et sous-marins, data centers ou encore des antennes relais.
Ce type d’infrastructures énergivores a vocation à se développer davantage à mesure que le progrès technologique de la high tech évolue notamment avec la 5G ou les Smart Cities.
Selon une étude de l’ADEME, la dépense énergétique de l’envoi d’un email de 1 Mo à un destinataire s’élève à 25 Wh. Il n’est pas étonnant que la consommation énergétique totale du numérique à l’échelle mondiale, estimée par le rapport « Cloud begins with coal », du Digital Power Group, nécessite plus de 2000 TWh par an (1 TWh = 1 milliard de kWh), hors énergie de fabrication bien sûr, qui représente à elle seule 800 TWh supplémentaires; et cela, rien qu’en 2013.
Ceci représente 4 fois la consommation électrique française annuelle, et 10% de toute l’électricité mondiale. Environ 40% de ce résultat, soit 800 TWh, seraient liés aux équipements de réseaux (cellulaires, wifi, transmission…), tandis que 60%, soit 1200 TWh, aux terminaux des utilisateurs (produits finis). Cela fait du numérique un émetteur de CO2 plus important que l’ensemble du trafic aérien, un constat d’autant plus effrayant que le chiffre est en continuelle progression.
Cette consommation s’ajoute à l’électricité indispensable pour émettre les ondes électromagnétiques des antennes-relais et des bornes wifi, ainsi que pour la climatisation des data-centers.
Une école numérique devient alors un lieu responsable d’une consommation d’énergie électrique diffuse plus importante que dans une école normale et tient un rôle majeur dans celle consommée en plus dans les data centers.
Ces bâtiments, de 10 000m2 en moyenne, consomment autant qu’une ville de 50 000 habitants et abritent virtuellement les cahiers de texte numériques, les ressources en ligne, les relevés de notes, les blogs des professeurs, les classes virtuelles appelées les MOOC [Massive Open Online Courses] …
On peut d’ailleurs compter une quarantaine de ces « fermes de serveurs » rien qu’en région parisienne, et environ 180 en France, sur un total de 3950 dans le monde selon les statistiques de 2018, ce qui inscrit notre pays dans le top 5 mondial.
Les outils numériques consomment donc d’énormes quantités d’énergie électrique, qui plus est d’une manière intensive puisqu’ils restent branchés et émettent des ondes électromagnétiques en continu.
Les conséquences sociétales du plan numérique
Outre les effets néfastes ressentis à court terme par les utilisateurs d’appareils numériques tels que des maux de tête, des problèmes de concentration ou encore des troubles du sommeil, ces derniers sont aussi systématiquement sujets à une surexposition à la lumière bleue. L’utilisation de ces outils ne va donc pas sans risque.
D’une part, le phénomène de la cyberdépendance, qui peut conduire, par extension, à une réduction du temps de sommeil. En imposant un temps d’écran supplémentaire à l’école, la déconnexion n’aura jamais lieu. Une tribune « No-TICE pour le collège » initiée par des enseignants de français constate par ailleurs « une grande baisse des qualités graphiques de leurs élèves, qui écrivent et dessinent de plus en plus mal ».
L’argument principal de ce plan serait de pallier les éventuelles disparités économiques entre les ménages. En réalité, l’effet escompté n’est pas atteint, et les chiffres tendent à le prouver: 47% des 13-15 ans de milieu défavorisé ont un ordinateur portable dans la chambre, contre 35% chez ceux provenant d’un milieu privilégié.
Le rapport OCDE/Pisa daté de 2015 mentionne d’ailleurs explicitement que « les nouvelles technologies [à l’école] ne sont pas d’un grand secours pour combler les écarts de compétences entre élèves favorisés et défavorisés ». La fracture numérique s’est effectivement déplacée : elle ne concerne plus le taux d’équipement mais le critère qualitatif de leur utilisation.
Une mauvaise utilisation de ces outils numériques mis à disposition des élèves pourrait demander un suivi parental plus conséquent, ce qui n’est pas toujours possible dans les familles dont les parents travaillent toute la journée et cela pourrait donc accentuer les inégalités.
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