L’élection de Donald Trump à la présidentielle de 2024 aurait un « impact négatif sur les cours du gaz et du pétrole »
Le Monde de l’Énergie —Votre organisme vient de publier un rapport prospectif sur les conséquences économiques d’une possible victoire de Donald Trump à la présidentielle américaine de cet automne. Vous évoquez le risque d’une « guerre économique », pourquoi ?
Mathieu Savary —Le programme économique de Donald Trump propose avant tout de mettre en place des tarifs douaniers de 60% sur les biens produits en Chine. De plus, son programme entrouvre aussi la porte à des tarifs de 10 % sur tous les produits provenant de l’étranger. Cependant, cette section du programme souffre d’un degré d’incertitude plus grand. Le marché anticipe les risques de tarifs américains et la réaction européenne. Les droits de douane mis en place sur la Chine auront aussi un impact sur l’Europe. Une guerre commerciale sino-américaine aura un effet négatif sur la croissance mondiale ce qui nuira à la croissance européenne, qui est très sensible à l’activité économique internationale.
Le Monde de l’Énergie —Vous estimez que les secteurs des métaux, de l’industrie et de l’automobile seront les plus exposés à cette « guerre économique ». Pourquoi ?
Mathieu Savary —Ces secteurs sont ceux les plus exposés à la santé de l’économie mondiale. Ils sont hyper-cycliques. Leurs revenus suivent de près la croissance économique du monde. Donc, si une guerre commerciale cause un ralentissement important de l’économie mondiale, qui est déjà fragilisée par l’augmentation rapide des taux d’intérêts de 2022 à 2023, ces secteurs seront ceux dont la rentabilité sera la plus réduite suite à l’impact délétère à la croissance mondiale d’une guerre économique, même si celle-ci reste confinée aux États-Unis et à la Chine.
Le Monde de l’Énergie —A quels niveaux (directs et indirects) le secteur de l’énergie de l’Union européenne pourrait être touché par cette élection ?
Mathieu Savary —Il existe un risque, un peu plus important dans le cas d’une victoire républicaine que d’une victoire des démocrates, que les autorités américaines optent pour une politique « America First » qui pousserait les États-Unis à réduire leurs exportations de produits énergétiques vers l’Europe afin de diminuer les prix domestiques. Avant tout, le risque le plus probable qui plane sur le future proche des compagnies énergétiques européennes est l’impact négatif sur les cours du gaz et du pétrole d’une récession mondiale amplifiée par une guerre commerciale sino-américaine si Trump gagne en novembre.
Le Monde de l’Énergie —L’IRA, mis en place par Joe Biden, contient de nombreuses mesures protectionnistes incitant à l’installation d’activités de croissance verte (automobile électrique, renouvelables…) sur le sol américain. Quel impact aurait l’élection de Donald Trump sur ce type de mesure ?
Mathieu Savary —L’objectif premier de Trump est de créer des emplois dans le secteur manufacturier américain, peu importe la manière. Il pourrait amender l’IRA, mais il mettra en place de nouvelles aies ayant une autre forme. Il est improbable que Trump coupe toutes les aides à des secteurs devenus de plus en plus importants aux emplois manufacturiers.
Le Monde de l’Énergie —A l’inverse, quel effet pourrait avoir l’élection de Kamala Harris sur les liens économiques entre les États-Unis et l’Union européenne, en particulier dans le domaine de l’énergie ?
Mathieu Savary —Une autre administration par les démocrates diminue la probabilité d’une guerre commerciale entre l’Union Européenne et les États-Unis. Cependant, les démocrates préconisent eux aussi une forme d’America First. Donc, si les prix de l’énergie domestique augmentent rapidement, ils pourraient aussi limiter les exportations d’énergie vers l’Europe. Mais le point le plus important est que les démocrates sont eux aussi opposés à la croissance des exportations chinoises vers le territoire américain. Les tarifs de 100 % sur les véhicules électriques chinois imposés par Biden il y a quelques mois constituent un excellent exemple de ce phénomène. Donc, même si les démocrates remportent l’élection, les tensions sino-américaines resteront présentes et pèseront sur la croissance mondiale, ce qui nuira aux cours de l’énergie.
Le Monde de l’Énergie —Comment réagissent les investisseurs en énergie à cette période troublée outre-Atlantique (attentat contre Donald Trump, renoncement de Joe Biden, hyper-polarisation du débat public) ? Les élections françaises et britanniques ont-elles influencé leurs stratégies ?
Mathieu Savary —Nous observons un nouvel élargissement du discount présent dans tous les actifs européens vis-à-vis de leurs compétiteurs américains. Une prime de risque grandissante est nécessaire pour inciter les investisseurs à placer leurs fonds en Europe dans ce contexte incertain. Les élections françaises ont ajouté à la confusion du jour, mais le vrai risque émane des États-Unis. Cela est aussi vrai pour le marché en général que pour les titres en énergie.