« Il ne faut pas assouplir les réglementations environnementales »

Si les émissions mondiales de CO2 connaissent une chute historique en période de confinement, cette baisse n’enlève rien à l’urgence climatique, explique Christian De Perthuis, Professeur d’Économie et fondateur de la Chaire Economie du Climat à l’Université Paris-Dauphine.

Plus que jamais nécessaires, il estime que les réglementations environnementales doivent être maintenues et que l’octroi des soutiens publics doit être subordonné au respect et au maintien de ces normes environnementales. Interview.

Les prix du pétrole sont en chute libre. Cette situation n’est-elle pas préjudiciable à la fin de l’exploitation des énergies fossiles ?

Le premier impact du recul du prix du pétrole est un affaiblissement de la capacité financière des producteurs, qu’il s’agisse des pays ou des compagnies. Cet affaiblissement considérable n’est pas vraiment propice à une relance de l’exploration de la production pétrolière. Donc les incitations du côté de l’offre vont dans le bon sens. Chaque fois qu’il y a un recul du prix du pétrole, on constate que les investissements concernant l’exploration du pétrole comme sa production se contractent. Avec la chute actuelle, je ne les vois pas vraiment repartir à court et moyen terme.

Il faut en parallèle s’intéresser à l’impact de cette situation sur la demande et sur la consommation. Il est clair qu’en situation de confinement et de récession, la baisse du pétrole ne va pas augmenter la consommation d’énergie à court terme, puisque l’on ne peut pas consommer d’essence ou de kérozène.

À moyen et long terme effectivement se posera la question de l’incitation négative de la faiblesse des prix du pétrole, au moment du redémarrage de l’économie.

Dans mon dernier ouvrage, « Le tic-tac de l’horloge climatique », je décris avec plus de précision le cycle de la rente pétrolière. Le prix du pétrole s’inscrit dans un cycle permanent : quand il baisse, c’est mauvais pour les productions, mais cela stimule la consommation tandis que quand son prix est élevé, cela freine la consommation, mais stimule la production.

Au moment de la reprise économique, il faudra veiller à ce que la faiblesse du prix du fossile ne constitue pas un facteur de redémarrage fort de la demande. Le bon instrument pour contrer ceci c’est de mettre en place une tarification carbone. Si vous avez des taxes CO2 qui sont au bon niveau, vous envoyez les bonnes incitations du côté de l’offre comme du côté de la demande. Vous cassez ainsi la transmission de la baisse du prix à la production vers la consommation.

La baisse des émissions de CO2 à laquelle nous assistons pendant le confinement aura-t-elle un impact significatif sur l’ambition de neutralité carbone des États d’ici 2050 ?

Il faut bien comprendre que ce qui compte, c’est avant tout la durée du confinement et surtout, ses conditions de sortie. Il est peu probable que l’on sorte du jour au lendemain de confinement et que l’on se retrouve d’ici l’été dans le contexte d’avant la catastrophe. Ce ne sont pas les gouvernements qui décident du rythme de sortie du confinement, c’est bien le virus. Donc, il y a une très grande incertitude.

Cela étant dit, j’ai essayé d’estimer l’impact de la catastrophe sanitaire sur les émissions de CO2 à l’échelle mondiale, à partir de deux hypothèses. Un scénario de sortie lente et un scénario avec sortie rapide. Au moment où j’ai fait les calculs, je ne savais pas très bien sur quel scénario il fallait se positionner.

Aujourd’hui, la majorité des informations disponibles suggèrent que nous nous dirigeons vers un scénario de sortie lente. Dans les deux scénarios, la baisse des émissions sera plus forte que la baisse du PIB, parce les secteurs à très forte croissance en termes d’émissions sont les plus impactés. C’est notamment le cas des secteurs du transport et du tourisme.

Par ailleurs, en ce qui concerne l’impact de la récession sur les zones économiques, nous sommes dans une situation radicalement différente par rapport à 2009. Alors qu’à cette date, la Chine avait à peine infléchi ses émissions de CO2, nous savons déjà qu’elles ont reculé. Le plus probable aujourd’hui est que nous nous dirigions vers une baisse de l’ordre de 5 Gt de CO2, soit un peu moins de 15 % des émissions mondiales. C’est absolument inédit, du jamais vu en temps de paix !

Cela modifie-t-il pour autant les perspectives à moyen terme ? Non, car ce qui compte, ce n’est pas le flux des émissions annuel, mais le stock de CO2 présent dans l’atmosphère. La baisse du flux annuel d’émissions ne nous fait que faire gagner un peu de temps : de deux à cinq ans suivant que l’on retient un scénario à 1,5°C ou 2°C. Mais l’essentiel se jouera sur les effets de la récession à moyen et long terme.

Il faudra en effet continuer à baisser les émissions dans les prochaines décennies pour viser la neutralité carbone qui, seule, permet de stabiliser le stock de CO2 atmosphérique. 

RE2020, lois anti gaspillage, compensation de la croissance du trafic aérien… Certaines voix s’élèvent pour demander un report des exigences environnementales pour faciliter la relance. Est-ce souhaitable selon vous ?

Il ne faut pas assouplir les réglementations environnementales. Il convient au contraire de subordonner l’octroi des soutiens publics au respect et au maintien de ces normes environnementales. C’est particulièrement vrai dans le secteur des transports et notamment l’aérien.

Il faut dissocier la phase dans laquelle nous nous trouvons encore, qui est une phase de « sauve qui peut », où l’on ouvre les vannes monétaires et budgétaires pour éviter que l’économie ne s’effondre à la suite d’une crise de liquidités. Ensuite va arriver le moment des plans de redémarrage. Je milite pour ma part pour un plan de relance, au niveau européen.

 Sur quoi devra selon vous s’appuyer le plan de relance européen ?

D’abord, l’Europe ne doit pas avoir un plan de relance d’un côté et un green deal de l’autre, il faut fusionner les deux. C’est-à-dire modifier ce qui était prévu initialement dans le green deal, qui est un programme d’investissement sur plusieurs années et qui n’est pas du tout conçu pour l’urgence sanitaire.

En ce qui concerne la question de l’allocation sectorielle des investissements, j’ai deux recommandations. Aujourd’hui, le green deal prévoit mille milliards d’euro d’investissements dits « verts » — si vous me trouvez un critère distinctif intelligent qui permet de distinguer le « vert » du « pas vert », je suis preneur.

D’un autre côté, un fonds de 100 milliards d’euros est destiné à la reconversion des secteurs liés aux fossiles. Je pense que le poids relatif du 1000 et du 100 n’est pas du tout le bon. L’essentiel des investissements de la transition bas carbone dans les pays européens pour les pouvoirs publics consiste à financer le désinvestissement des énergies fossiles.

Nous avons besoin d’investir beaucoup plus largement dans les reconversions. Un exemple parlant est celui des batteries et des moteurs thermiques. Il faut trois fois moins d’ouvriers pour fabriquer des voitures électriques qu’une voiture thermique.

Évidemment, il faut investir dans les batteries. Avec une dizaine d’années de retard sur les Asiatiques, les Européens s’y sont lancés. Il n’y a pas ici un besoin massif d’argent public. En revanche, il en faut beaucoup pour reconvertir dans de bonnes conditions les usines thermiques.

Les émissions de CO₂ liées aux énergies fossiles et aux industries représentent 70 % des émissions de gaz à effet de serre totales.

D’autre part, il faut s’interroger sur le critère qui permet de dissocier le « vert » du « pas vert ». Est-ce qu’il va falloir négocier au cas par cas ? Pour le climat, il y a un seul critère qui compte : c’est la quantité de CO2 qu’on émet dans l’atmosphère. La meilleure façon d’intégrer ce critère est de taxer les émissions de CO2. Ce point est incontournable.

En l’absence d’un étalon clair, simple et unique pour dissocier ce qui est bas carbone de ce qui ne l’est pas, nous allons nous lancer dans des mesures compliquées à mettre en place à l’image de la taxonomie des produits verts. Le critère économique différenciant doit être le prix de la tonne de CO2.

Comment financer cette transition verte ?

Les États s’endettent massivement : on a ouvert les vannes monétaires et budgétaires et c’est nécessaire. Mais à un moment, il faudra payer la dette et le plan de redémarrage, que je préfère au terme de « relance », ne va pas se faire en 6 mois, mais sur plusieurs années.

La deuxième composante du green deal, et elle est déjà dans le texte, c’est qu’il faut élargir la tarification du CO2 en Europe et utiliser cette tarification à la fois pour orienter les investissements vers le bas carbone et en même temps, créer de nouvelles ressources. Il ne faut pas augmenter la taxe carbone au premier juillet prochain, il faut le faire intelligemment.

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Trois sources de financements et de taxation sont donc à mettre en place : l’élargissement de la taxation carbone au niveau européen dans les transports et le bâtiment ; la fameuse taxe aux frontières — même si je pense à titre personnel qu’elle est compliquée à mettre en place et qu’elle rapportera probablement beaucoup moins que ce qu’on imagine ; et enfin la mise en place d’un système de prix plancher sur le système européen d’échange de quotas, qui aurait pour conséquence de rehausser ce prix du quota, qui est un indicateur extrêmement important pour les choix d’investissement dans le secteur électrique, dans le secteur industriel, etc…

 

 

 

 

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