Les énergies renouvelables et le réseau électrique : un mariage de raison
Article signé Sacha Bentolila, Conseiller énergie à l’Association des petites villes de France et Soumaya Romdhani, ingénieure énergie chez Deepki
Après la 2ème Guerre Mondiale, la France a opté pour un modèle centralisé de l’énergie fondé sur les ressources dites fossiles et pilotables (gaz ou nucléaire) assurant ainsi une égalité d’accès et le bon fonctionnement du réseau.
Les ressources fossiles représentent aujourd’hui 70 % de la consommation d’énergie primaire de la France.[1] [2] Leur raréfaction, leur conséquence sur la planète et les enjeux géopolitiques qu’elles recouvrent nous obligent à réfléchir à un nouveau modèle fondé sur les énergies renouvelables plus décentralisées et plus durables.
Le développement de ce nouveau modèle par nature local va venir bouleverser le fonctionnement de notre réseau électrique historiquement centralisé mais aussi la place occupée par le distributeur, le producteur et le consommateur. Ce décryptage analyse les impacts des énergies renouvelables sur le réseau et les contours de sa nécessaire adaptation.
Un réseau centralisé pour des énergies décentralisées
Le réseau électrique par nature complexe et centralisé doit faire face à l’évolution du paysage énergétique et en particulier à l’augmentation des énergies renouvelables décentralisées.
Le réseau électrique présente un fonctionnement complexe. Le système électrique repose sur trois piliers : la production, la consommation et le réseau qui assure l’acheminement de l’électricité des lieux de production vers les lieux de consommation.
Le système est dimensionné de manière à avoir une adéquation entre ces différentes composantes.
En particulier, le réseau électrique est conçu de manière à ce que les lignes électriques soient capables d’alimenter la totalité de la consommation et d’évacuer la totalité de la production à tout instant. Sa gestion est faite de manière à minimiser les coûts tout en respectant les contraintes qui peuvent peser sur le réseau.[3]
En effet, la quantité d’électricité injectée sur le réseau doit être égale à tout moment à la quantité soutirée pour assurer le bon fonctionnement du réseau et la bonne qualité de l’électricité. L’imprévisibilité de la quantité d’électricité produite peut donc constituer un vrai défi pour les gestionnaires du réseau.
Il est, par ailleurs, nécessaire de noter que la capacité des lignes électriques est fixe et qu’il n’est pas possible de dépasser la capacité maximale de transit.
De ce fait, la quantité d’électricité produite dans une zone ne peut pas dépasser la capacité maximale des lignes électriques liées à cette zone sous peine de générer ce qu’on appelle des contraintes d’évacuation.
De la même manière, la quantité d’électricité soutirée dans une zone ne peut pas dépasser la capacité des lignes électriques liées à cette zone sous peine de générer cette fois ci des contraintes d’alimentation.
Enfin, il y a des pertes par effet Joule sur le réseau.[4] Plus la distance parcourue est grande, plus il y a de pertes d’électricité. C’est pour minimiser les pertes que le réseau reliant les zones très éloignées transporte l’électricité sous des niveaux de tension élevés.
Cette complexité de notre réseau électrique centralisée va être accentuée par le développement des énergies renouvelables décentralisées.
Le réseau centralisé à l’épreuve des énergies renouvelables décentralisées
Les énergies renouvelables se développent partout dans nos territoires en France mais aussi dans le monde entier. Elles représentent aujourd’hui environ 18 % de notre production d’électricité.[5]
Avec la loi de transition énergétique pour la croissance verte, la France s’est fixée comme objectif de porter la part des énergies renouvelables à 32 % de la consommation énergétique finale d’énergie et à 40 % de la production d’électricité à l’horizon 2030.
Au niveau de l’Union européenne, l’engagement a été pris par l’ensemble des Etats membres de porter la part des énergies renouvelables à au moins 27 % de la consommation d’énergie de l’Union d’ici à 2030.
L’enjeu essentiel pour notre réseau historiquement centralisé est d’accueillir ces énergies décentralisées tout en maintenant l’équilibre du réseau.
Le réseau, mais aussi le consommateur et le producteur vont devoir s’adapter sans cesse afin d’intégrer ces nouvelles énergies locales. Le citoyen passe progressivement du statut de simple consommateur au statut de « consom’acteur ».
Le distributeur va, lui, devoir repenser un réseau historiquement unidirectionnel afin de le rendre bidirectionnel avec une énergie qui va désormais du producteur au consommateur mais aussi du « consom’acteur » à d’autres consommateurs.
Contrairement à ce que pourrait laisser penser leur caractère local, les énergies renouvelables ne signifient en aucun cas la fin du réseau qui demeure un élément important de notre modèle énergétique même décentralisé.
Le réseau comme élément essentiel au développement des énergies renouvelables
Le réseau demeure, en effet, nécessaire pour pallier l’intermittence mais aussi l’éparpillement forcé des énergies renouvelables.
Alors même que la consommation d’énergie varie faiblement d’une année sur l’autre, les énergies renouvelables sont, elles, dites intermittentes c’est-à-dire dépendantes des conditions météorologiques.
Cette intermittence implique le recours au réseau pour éviter les déséquilibres entre l’offre/demande d’électricité qui peuvent engendrer des coupures de courant.
Une production fondée uniquement sur les énergies renouvelables serait donc moins prévisible et plus fluctuante qu’une production fondée sur des énergies pilotables et activables plus rapidement.
A l’inverse, notre consommation d’énergie journalière varie très faiblement d’une année sur l’autre. Le développement des énergies renouvelables rend donc plus difficile le nécessaire maintien de l’équilibre offre/demande en électricité du réseau.
En Hiver, le faible temps d’ensoleillement réduit le rendement des panneaux photovoltaïques alors même que le froid engendre une hausse de la consommation d’électricité. Les faibles températures limitent également le niveau du vent donc le rendement des éoliennes comme le montre le graphique ci-dessous.
En l’absence de solution de stockage accessible à tous, le développement des énergies renouvelables va accroître les situations de surproduction ou de sous-production. En cas de sous-production, les groupes qui produisent ralentissent et la fréquence du réseau baisse par rapport à sa valeur de référence de 50 Hz.
En situation de surproduction, les groupes de production accélèrent et la fréquence augmente. Dans ces cas, le raccordement au réseau national alimenté par des réserves demeure nécessaire afin de maintenir l’équilibre du réseau.
Les réserves primaires et secondaires sont activées automatiquement pour rétablir la fréquence à son niveau de référence. Dans le cas où elles sont insuffisantes pour maintenir l’équilibre du réseau, la réserve tertiaire est activée manuellement.
Au fur et à mesure que les énergies renouvelables se développent, la production d’électricité devient de moins en moins prévisible mais aussi de plus en plus éparpillée nécessitant également une évolution du réseau.
Le développement du réseau comme réponse à l’éparpillement des énergies renouvelables
Les énergies renouvelables sont notamment caractérisées par leur aspect local qui implique de créer de nouvelles lignes pour pallier leur intermittence mais aussi de les raccorder entre elles pour développer leur complémentarité.
Cet éparpillement trouve sa source en tout premier lieu dans le caractère par nature local de ces énergies qui sont produites au plus près des citoyens donc étalées sur tout le territoire comme le montrent les deux cartes ci-dessous.
Mais cet éparpillement des énergies renouvelables s’explique également par le manque de grande surface foncière disponible qui mène à la création de petites unités de production. Aujourd’hui, 82 % des installations d’autoconsommation solaires en France ont une puissance inférieure à 3Kw.[6]
Cette faible concentration des productions d’énergies renouvelables implique donc un renforcement du réseau pour relier ces unités de production aux lieux de consommation.
Le développement du réseau sera également rendu nécessaire pour assurer la complémentarité entre ces différentes unités de production qui auront des rendements différents selon la période de l’année ou leur position géographique.
Par exemple, en hiver, les zones alimentées par les panneaux solaires comme le Sud-Est manqueront d’électricité et devront récupérer de l’électricité produite par les éoliennes du Nord de la France.
Le réseau doit donc relier ces différentes unités éloignées entre-elles afin d’assurer leur complémentarité. Le développement de ces nouvelles lignes sera d’autant plus nécessaire que ces sites ne se situent pas au même endroit que les traditionnels lieux de production d’électricité.
Le système électrique doit, aujourd’hui, faire face à de nouveaux défis. L’augmentation de la part de la production d’électricité renouvelable diffuse et intermittente en opposition à la production centralisée représente une nouvelle situation à gérer. C’est ainsi que l’idée d’un réseau électrique intelligent peut paraître d’une grande pertinence pour améliorer le fonctionnement du système électrique.
La suite de l’article à lire ici
[1] Source : AIE, 201
[2] Etude Global Carbon Project, 2018, Émissions de gaz à effet de serre.
[3] Coûts de production liés aux moyens de production appelés et les coûts des pertes électriques sur le réseau.
[4] Il s’agit des pertes d’énergie sous forme de chaleur à cause de la résistance des ligne électriques.
[5] Source RTE
[6] Ministère de l’Environnement, de l’Energie et de la Mer, l’autoconsommation en France, 2017
COMMENTAIRES
Bonjour,
Je souhaitais lire l’article de Sacha Bentolila, publié le 18/02/2019 sur votre site « le Monde de l’Energie » et intitulé « Les énergies renouvelables et le réseau électrique : un mariage de raison », mais, au cours de l’article, il faut cliquer sur la phrase « la suite de l’article à lire ici »… qui renvoie vers une page introuvable.
est-il possible d’avoir une copie de l’intégralité de l’article SVP ?
Merci d’avance.
Anne Ducamp
Bonjour madame, merci pour l’info. Nous nous renseignons.
Bien à vous
Voici le lien : https://www.lafabriqueecologique.fr/enr-et-reseaux-electriques
bonjour
Je pense qu’il y a une erreur sur les « 70% de consommation fossile en énergie primaire ». En 2016 (source : sdes – p.8 du dossier complet accessible ici : https://ppe.debatpublic.fr/dossier-du-maitre-douvrage-dmo), les fossiles représentent 44% de la consommation d’énergie primaire
bien cordialement
Jacques-Olivier Garda