L’entreposage à sec est-il une solution viable pour stocker le combustible nucléaire usé ?
L’énergie nucléaire est considérée comme un atout pour la transition énergétique française et la lutte contre le réchauffement climatique. Le nucléaire est une composante historique du mix électrique : l’atome permet en effet aux Français de disposer au quotidien d’une électricité largement décarbonée et bon marché.
Bémol, et de taille : il génère des déchets.
Le code de l’environnement prévoit l’élaboration d’un Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR) par le ministère de la Transition écologique et solidaire et l’Autorité de sureté nucléaire (ASN) : il s’agit d’un véritable outil de pilotage afin de faciliter la gestion des matières radioactives de façon durable, dans le respect de la protection des citoyens et de l’environnement.
La Commission nationale du débat public (CNDP) a décidé de soumettre la constitution de la 5ème édition du PNGMDR (2019-2021) à un débat public.
Les Français sont donc invités à exprimer leur avis ou à poser des questions aux maîtres d’ouvrages depuis 17 avril et ce jusqu’au 25 septembre.
L’entreposage et le traitement des combustibles usés sont notamment au centre des débats.
Comment sont stockés les déchets nucléaires français ?
En février dernier, Chantal Jouanno, présidente de la Commission nationale du débat public, a demandé aux experts de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) de rédiger un rapport sur les différentes solutions d’entreposage actuellement disponibles pour gérer les combustibles usés Mox (combustibles fabriqués à partir de plutonium et d’uranium appauvri recyclés) et URE (Uranium de recyclage enrichi) issus des centrales électronucléaires.
L’entreposage des combustibles usés est un des sujets abordés dans le cadre de la préparation du débat public sur le PNGMDR 2019-2021. Il faut en effet savoir qu’il existe deux techniques : un entreposage dit « en piscine » (également appelé « sous eau ») et un entreposage dit « à sec ».
En France, c’est l’entreposage en piscine qui est mis en œuvre, dans des piscines de désactivation des centrales nucléaires et dans celles de l’usine de La Hague qui est en charge de la première étape du recyclage des combustibles.
Cette technique consiste à stocker les assemblages de combustibles usés dans de grandes piscines, à une petite dizaine de mètres de profondeur. L’eau a un double avantage : elle protège efficacement contre les rayonnements des combustibles et elle agit comme un liquide de refroidissement qui permet de contenir les dégagements de chaleur des combustibles usés.
La technique d’entreposage des combustibles à sec, utilisée dans des pays comme les Etats-Unis, l’Allemagne, la Suède, ou encore la Corée du Sud, consiste à entreposer les assemblages de combustibles usés dans des emballages spécialement conçus pour cela : il s’agit de conteneurs en acier et en béton, disposés en surface.
L’entreposage en piscine, une solution avantageuse…
Dans son rapport notamment sur les combustibles MOX usés, l’IRSN indique que les deux techniques d’entreposage de combustibles usés sont des concepts sûrs voire complémentaires qui doivent être considérés au regard de plusieurs caractéristiques, et notamment le type de combustible et sa puissance thermique.
L’entreposage à sec n’est, par exemple, pas autorisé pour les assemblages de combustibles dont la puissance thermique excède les 2 kW.
« En tenant compte des dates de mise en œuvre des différents types de combustibles et de la valeur repère de 2 kW, il apparaît que les combustibles MOX usés à 5,30% de plutonium et la plupart de ceux à 7,08 % sont compatibles, du point de vue de l’évacuation de la puissance thermique, avec certains concepts d’entreposage à sec. En revanche, les premiers combustibles MOX à 8,65 % de plutonium usés ne seraient compatibles avec un entreposage à sec qu’à l’horizon 2040 », expliquent les experts de l’IRSN.
Ces derniers estiment cependant qu’il est possible de réduire cette durée, en faisant évoluer le concept d’entreposage à sec.
Il s’agirait par exemple de limiter la puissance thermique en ne chargeant pas complètement les emballages d’entreposage (20 emplacements laissés vacants pour 4 emplacements occupés). Une solution viable mais qui augmenterait de manière significative les surfaces dédiées au stockage à sec voire l’impact en termes de radioprotection.
L’entreposage en piscine apparait ainsi comme une étape préalable indispensable pour la gestion des combustibles usés : elle permet de refroidir plus efficacement et plus rapidement les assemblages de combustibles lorsqu’ils sortent des réacteurs électronucléaires.
Une récente analyse prospective, réalisée dans le cadre du PNGMDR, a permis de mettre en exergue la nécessité de construire de nouvelles capacités d’entreposage de combustibles usés de type MOX ou URE.
À ce titre, EDF a indiqué à l’Autorité de sûreté nucléaire sa volonté de construire une nouvelle piscine d’entreposage sur un site à déterminer mais dont les critères techniques et de sûreté seront pris en considération. L’électricien français espère être en mesure de déposer une Demande d’Autorisation de Création avant fin 2020 pour un début d’exploitation à l’horizon 2030.
… avant le recyclage des combustibles usés
Permettant une reprise plus aisée des combustibles, la technique d’entreposage en piscine s’avère également appropriée pour les pays qui, comme la France, ont mis en place des opérations de traitement et de recyclage de leurs combustibles nucléaires usés.
La France a en effet fait le choix de traiter ses combustibles nucléaires usés afin de réduire la quantité et la nocivité de ses déchets radioactifs : 96% du combustible tricolore utilisé dans les réacteurs électronucléaires peuvent aujourd’hui être recyclés (les 4 % restant, dits « déchets ultimes », sont conditionnés de manière sûre et pérenne).
Les combustibles usés contiennent en effet des matériaux valorisables qui permettent à la France de réaliser des économies importantes sur ses matières premières (près d’une ampoule sur 10 fonctionne aujourd’hui grâce à des matières nucléaires recyclées).
Mieux, le recyclage de l’uranium et des combustibles Mox fait l’objet d’un programme de recherche et développement, conformément à la stratégie de retraitement-recyclage définie par la Programmation pluriannuelle de l’énergie 2019-2028.
Il s’agit notamment d’étudier leur recyclage à grande échelle dans les réacteurs à eau pressurisée. L’introduction d’un assemblage test en réacteur est prévue à l’horizon 2025-2028. Les MOX usés pourront également être recyclés ultérieurement dans la filière de 4ème génération (RNR).
La stratégie française a fait ses preuves
L’entreposage en piscine apparait donc comme une solution parfaitement sûre, sur le court comme sur le long terme.
Elle permet un refroidissement plus efficace, une surveillance mieux contrôlée et une reprise plus facile des combustibles. Notamment dans le cadre des opérations de recyclage.
Le recyclage apparait d’ailleurs comme la manière la plus efficace d’éviter l’accumulation des combustibles usés mais également pour économiser els matières et réduire le volume et la toxicité des déchets
En revanche, l’entreposage à sec ne constitue pas une réponse complète à la gestion des combustibles usés. Il s’agit d’une solution sûre mais temporaire qui s’avère adaptée aux pays n’ayant pas encore tranché sur la question de la gestion de leurs matières nucléaires.
L’entreposage à sec reporte ainsi la gestion définitive des déchets sur les générations futures.