Éolien flottant : « la France peut viser la médaille d’or »
Début 2018 doit être installée à 22 km des côtes au large du Croisic la première éolienne flottante française qui a été inaugurée le 13 octobre à Saint-Nazaire. Interview de Bruno Geschier, directeur commercial d’Ideol, la start-up industrielle qui a conçu le système flottant.
Pouvez-vous nous décrire cette première éolienne en mer inaugurée le 13 octobre à Saint-Nazaire ?
Baptisée Floatgen, cette éolienne flottante est devenue une réalité après deux ans de travaux. Il faut dire qu’il s’agit d’un prototype unique en France et le 7ème démonstrateur d’éolienne flottante au niveau mondial (après celles construites au Japon, en Norvège et au Portugal). Équipée d’une turbine d’une puissance de 2 MW, cette éolienne flottante pèse près de 5.000 tonnes et culmine à 60 mètres de haut (ses pâles mesurent 40 mètres de long). C’est grâce à une collaboration étroite avec les ingénieurs de Bouygues Travaux Publics et les scientifiques de l’École centrale de Nantes qu’Ideol a pu finaliser la mise au point du flotteur en béton qui assure sa flottaison. Et qui représente la véritable innovation du projet Floatgen. Le défi que s’est lancé Ideol est de mettre au point une solution simple, compacte et compétitive pour assurer la stabilité de son éolienne lorsqu’elle sera déployée sur son site de production en mer. Cette fondation flottante repose sur un concept, désormais breveté, baptisé Damping Pool : il s’agit d’un immense bloc de béton évidé, de forme carrée et mesurant 36 mètres sur 9,5 mètres, dont les propriétés hydrodynamiques lui assurent une stabilité à toute épreuve. Je note que tout travail offshore coûte cher et reste contraint par les conditions météo. Nous avons donc décidé d’éliminer au maximum ce problème pour réduire les coûts et les risques. Pour le flotteur, par exemple, il n’y a pas de pompe, de système électromécanique, il est auto-stabilisé et ne nécessite aucune intervention. Quant au béton, il présente l’énorme avantage de pouvoir résister pendant 30, 40 ou 50 ans sans maintenance.
Où et quand Floatgen sera posée exactement ?
Nous visons une installation au plus tard début 2018. L’éolienne sera posée à 22 kilomètres des côtes sur le site d’essai de l’école centrale de Nantes, qui est un site mis en place il y a quelques années disposant d’un câble électrique le reliant à la côte. Ce qui est une des raisons pour lesquelles nous avons choisi ce site car il ne fallait pas allonger la durée du projet et son coût en y installant d’autres éléments comme une installation électrique onéreuse.
Combien de foyers va-t-elle pouvoir alimenter en électricité ?
Cette éolienne de 2 MW, subsidiée par l’Europe et l’Ademe, peut alimenter jusqu’à 5000 foyers.
En quoi l’éolien flottant est l’avenir de l’éolien offshore ? Ses avantages par rapport à une éolienne classique ?
Première remarque : les sites dans le monde où on peut mettre de l’éolien posé et où il y a suffisamment de ressources venteuses sont progressivement déjà assez exploités. Très bientôt, il n’y aura plus de sites avantageux de disponible parce que les fermes de demain seront de plus en plus grandes et ne seront pas bien accueillies par les populations en bord de mer. Il y a des zones plus ou moins désirables qui seront lentement mais sûrement exploitées. Après ceci, l’enjeu est économique. L’avantage de l’éolien flottant, c’est que l’enjeu est de produire de l’énergie qui n’est plus subsidiée pour arriver à une parité réseau, un coût de l’énergie aux alentours de 50 euros le MWattheure. Pour arriver à cela, il faut que les porteurs de projets investissent les lieux où il y a le plus de vent, à hauteur de 50 à 60% du temps, ce qui correspond à deux fois plus qu’à proximité des côtes. Et ces lieux se trouvent en eaux profondes qui peuvent accueillir l’éolien flottant. À cela s’ajoute des éoliennes qui deviennent de plus en plus grandes, les turbines d’aujourd’hui (6 à 8 MW) tourneront en 2023 entre 12 et 15 MW.
Ces « monstres », pour ne pas polluer visuellement, devront ainsi être installés bien plus loin des côtes. C’est la combinaison de la meilleure source venteuse avec ces grandes éoliennes qui vont rendre le business modèle rentable.
C’est la première éolienne flottante posée dans les eaux françaises… Quelles sont les perspectives ?
La filière éolienne flottante mérite d’être regardée de près et de faire l’objet d’appels d’offres commerciaux qu’elle demande depuis pas mal de temps, et que l’ancienne ministre Ségolène Royal avait annoncés. Cela permettrait de mettre l’autre pied à l’étrier au plus vite, de manière à ce que la France conserve son avance sur la technicité. De par Ideol, reconnue mondialement, de par le fait que la France a une volonté politique de se positionner sur le flottant avec ces fermes pilotes qui seront en exploitation à partir de 2020, la France peut viser la médaille d’or. Les perspectives sont très encourageantes. Il faut dès à présent gagner la guerre de réduction des coûts en faisant des économies d’échelle. En terme de filière, le seul moyen de transformer l’essai est d’avoir de la visibilité de la part du gouvernement en terme de volumes à mettre en exploitation d’ici 2030. La profession demande 6 GW, ce qui correspond à une dizaine de fermes commerciales dont les appels d’offre doivent être lancés d’ici 2022.
La technologie du flottant est-elle totalement aboutie ?
L’éolien flottant n’est plus en phase de Recherche et Développement. L’industrie de l’éolien européen, dont je préside la taskforce éolienne flottante, a clairement positionné l’éolien flottant comme une des technologies qui vont permettre à l’Europe d’atteindre ses objectifs en terme de production d’énergies renouvelables. Nous sommes toutes voiles dehors, nous fonçons vers l’industrialisation et la commercialisation. Les éoliennes sont de plus en plus grandes, la superficie des fermes éoliennes s’agrandit, la durée de vie des fermes va s’allonger… par conséquent certaines technologies vont devenir obsolètes. La technologie Ideol s’adapte particulièrement aux enjeux de demain.
Après le Croisic, où seront posées les prochaines éoliennes ?
Notre première ferme pilote, EolMed, avec des turbines de 6 à 8 MW, devrait être construites dès 2019 pour une installation au large de Gruissan et Port-la-Nouvelle (Aude) en 2020/2021. Les éoliennes seront rattachées à des ancres à succion : 6 à 9 lignes d’ancrages seront installées sur une profondeur moyenne de 55 mètres. Ce parc d’une puissance totale de 24,8 MW permettra de produire près de 100 millions de kWh/an soit la consommation électrique annuelle de 50.000 habitants.