« Il est important de poursuivre les investissements pétroliers pour la réalisation de la transition énergétique »
Valérie Mignon, professeure-chercheuse en économie à l’Université de Paris-Nanterre, évoque, dans cet entretien au Monde de l’Energie, les superprofits des majors pétrolières, et les polémiques qui les entourent.
Le Monde de l’Énergie —Vous avez récemment travaillé sur les « super-profits » des majors pétrolières, qui furent particulièrement importants en 2022. Quels mécanismes économiques expliquent ces niveaux records de profits des géants des hydrocarbures ?
Valérie Mignon —Les profits des majors pétrolières ont en effet atteint leurs plus hauts niveaux historiques en 2022. Cela s’explique par l’évolution de l’offre et la demande de pétrole au cours de l’année passée. Après la crise liée à la pandémie de Covid-19, l’année 2022 a été marquée par une forte reprise de l’activité économique. Celle-ci s’est accompagnée d’une hausse de la demande de pétrole, tirant mécaniquement les prix du brut vers le haut. A ce mécanisme économique standard s’est ajouté un événement géopolitique majeur, l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022. Le déclenchement de la guerre a immédiatement provoqué de vives inquiétudes concernant l’approvisionnement en hydrocarbures faisant craindre des pénuries. S’en est alors suivie une envolée des cours du brut qui ont atteint des sommets au printemps 2022.
Même si les craintes sur la santé de l’économie chinoise du fait de la remontée des cas de Covid-19 ont ensuite tiré les prix du brut vers le bas, il n’en reste pas moins que sur l’ensemble de l’année 2022 les cours de l’or noir ont connu une hausse moyenne de 42,6 % par rapport à 2021. Si cette croissance des cours du pétrole a engendré une hausse des coûts de production pour la plupart des entreprises, tel n’est pas le cas pour les majors pétrolières qui ont au contraire profité de la hausse du prix du baril. Cela explique ainsi pourquoi l’augmentation des prix du pétrole s’est traduite par des profits record pour les compagnies pétrolières.
Le Monde de l’Énergie —Comment ces groupes ventilent-ils ces bénéfices ? Que pensez-vous des critiques sur les versements de dividendes par exemple ?
Valérie Mignon —Une grande partie des profits sert à verser des dividendes aux actionnaires ou à procéder à des rachats d’actions. Cette question est toujours l’objet de nombreux débats et polémiques, encore plus en France où un faible pourcentage de la population détient des actions. Les actionnaires sont ainsi accusés de s’enrichir au détriment des entreprises pour qui le versement de dividendes constituerait un frein à l’investissement. Si cette vision peut se concevoir pour des entreprises non cotées qui n’auraient pas facilement accès aux marchés financiers, tel n’est pas le cas pour les majors pétrolières. Ces dernières peuvent en effet lever des fonds sur les marchés, via notamment les augmentations de capital, les introductions en bourse ou encore les émissions de titres obligataires. De telles entreprises ont généralement des niveaux de trésorerie très élevés et les dividendes n’en constituent qu’une faible proportion. Ces sociétés peuvent ainsi tout à la fois procéder à des investissements massifs – ce qui est nécessaire à leur développement – et distribuer des dividendes.
Le Monde de l’Énergie —Que pensez-vous du choix de certains pays européens de taxer ces « super-profits » ?
Valérie Mignon —Là encore, il s’agit d’une question faisant l’objet de nombreux débats. D’un côté, l’instauration de taxes sur les superprofits des majors pétrolières peut être un moyen de compenser la hausse des prix de l’énergie. D’un autre côté, elle est susceptible d’avoir des effets contre-productifs en retardant la transition énergétique. Il faut en effet avoir en tête qu’une telle transition, nécessaire et impérative, demande du temps et que les énergies renouvelables, destinées à remplacer les énergies fossiles d’ici quelques années, ne peuvent se substituer immédiatement au pétrole. Par ailleurs, taxer fortement les majors pétrolières lorsqu’elles effectuent des investissements qui s’avèrent gagnants reviendrait à taxer les compagnies les plus innovantes. Cela ne profiterait pas aux entreprises du secteur des énergies renouvelables qui pourraient, elles aussi, se voir taxer en cas de réalisation de profits élevés alors même que ceux-ci découleraient d’une stratégie d’investissement ambitieuse.
Le Monde de l’Énergie —Les investissements pétroliers ont-ils encore du sens, alors que la trajectoire des 1,5°C semble de plus en plus compromise et que les conséquences du changement climatique menacent toute l’activité humaine (y compris celle de ces majors pétrolières) ?
Valérie Mignon —Le passage à une économie décarbonée n’étant pas immédiat, il est important de poursuivre les investissements pétroliers pour la réalisation de la transition énergétique et la promotion des énergies renouvelables. Cela est de plus indispensable aujourd’hui en raison du conflit russo-ukrainien, puisqu’il est nécessaire de remplacer le pétrole russe par du pétrole en provenance d’autres pays. Il faut donc faire preuve de vigilance afin de ne pas entraver cette dynamique.
COMMENTAIRES
LOL
Une analyse réaliste qui confirme la nécessité du Fossile pour fabriquer les EnRi (panneaux photovoltaïques, éoliennes, électrolyseurs, méthaniers..) et le temps est bien loin où toutes ces petites merveilles de la transition énergétique seront construits par le renouvelable !
Cette économiste ne fait que décrire un principe de réalité physique (l’irréversibilité de l’énergie) que s’évertuent à contourner et à nier les prophètes de l’utopie : l’Energie renouvelable ! Sous-entendu le mouvement perpétuel et une énergie sans impact sur les ressources de la planète .
Il serait bon d’investir la décroissance massive de consommation de produits pétroliers…
La taille et le poids des voitures sont une piste, car l’automobile est un secteur très fortement consommateur de pétrole et avec un rapport étroit entre conso et poids du véhicule…
Pour l’aviation, bien des lignes sont à alléger en termes de traffic… Et le Fait que le kérozène soit vendu hors Taxes est un scandale énorme !!! Et si la Taxe sur le Kérozène servait à aider pour combler le Trou des caisses de retraites (en y ajoutant des parts d’ARENH et là on sauve nos caisses pour quelques années).
Pour le transport maritime, le GNL commence à percer et il serait bien de considérer réellement l’impact du transport des biens (via des Taxes) de manière sérieuse, cela aiderait à réindustrialiser la France et l’Europe en général…
Il est vraiment important de commencer à investir une vrai décroissance de la consommation de pétrole (comme le programme nucléaire l’a fait dans les Faits en son temps…)
Je cite ds le texte cette vérité
« il est important de poursuivre les investissements pétroliers pour la réalisation de la transition énergétique »
Rien ne se fera sans le pétrole, le gaz et charbon ! (et ce avec ou sans LOL)
@Michel Dubus,
Vous avez raison, nous sommes ultra-dépendants des Fossiles sur beaucoup d’usages et dans toutes les chaines de valeurs en partant de l’amont (extraction) jusqu’à l’aval (transport).
Est-ce pour autant une nécessité de faire de la croissance sur plus de consommation d’hydrocarbures utilisées de manière futile !? (Est-ce normal d’avoir encore le nombre de chaudières à fioul que l’on a aujourd’hui en France !? et d’avoir mis tant de de pognons dans diverses ENRi sans plan structurant d’intégration !?)
La RT2012 a fait le bonheur des gaziers, et 8 ans pour la faire disparaitre !??? Ca questionne sur les volontés politiques et les objectifs réels des politiques…
APO Vous ne connaissez vraiment que les fakes pour gogos?. vous parlez du bio gaz ? … la réalité du terrain qui se met déjà en place alors que le Pv et l’eolien ne sont qu’une partie des ENR : « … Les énergies éoliennes et solaires ont fourni pour la première fois en 2022 plus de courant aux pays de l’Union européenne que le gaz naturel, année de bouleversements énergétiques précipités par la guerre en Ukraine, selon un rapport du groupe de réflexion Ember publié mardi.
L’éolien et le solaire ont fourni en 2022 près du quart (22%) de toute l’électricité consommée dans l’Union européenne, bien plus que l’électricité à base de charbon (16%) et dépassant même « pour la première fois le gaz fossile (20%) » utilisé dans la production électrique, selon l’European Electricity Review du groupe de réflexion sur l’énergie…. » la crise actuelle le prouve bien en accélérant la mise en place des ENR sur le terrain : c’est bien les ENR qui nous sortent aussi du fossile/ charbon / pétrole / gaz … et c’est bien ce qui est urgent pour la planète , le climat , notre santé , contre la pollution , le Co² , les GES. et vérifiez que les ENR sont beaucoup moins chères que notre merde polluante de nucléaire et rapportent de l’argent à l’état .. pour payer le gouffre financier du nucléaire polluant à tous les stades qui fait des ravages sur la faune , la flore et l’etre humain …
Un message réaliste bien sûr, c’est très énervant d’entendre les uns et les autres demander que l’on n’investisse plus dans le pétrole et le gaz! Du coup on ne pourrait plus bâtir les outils de la transition non plus. Et on casserait tout parce qu’on ferait la queue à la pompe. Cela n’empêche pas que l’on pourrait économiser des hydrocarbures, ne pas faire de voitures lourdes, moins voyager en avion, etc. mais ça ne va pas chercher très loin et c’est de l’écologie qualifiée de punitive! Le scandale n’est pas que monsieur Arnault ou monsieur Bolloré aient un yacht et se déplacent en jet privé, on ne les en empêchera pas, le scandale est qu’une poignée de gens comme eux possèdent la moitié de la planète, prétendent diriger nos pays pour augmenter encore leur richesse, et ont acheté à cette fin tous les média et beaucoup d’hommes politiques. L’écologie n’est pas leur souci premier, ni le sort des autres.
Tout à fait d’accord avec Moulard
@Jean-Pierre Moulard,
Notre époque semble sur la voie d’une forme de retour à la « Belle époque » (pas si belle pour tout le monde…) avec un air « années folles »…
Oui, le déclassement en cours de larges pans de la population française (que ce soit économiquement ou sur l’égalité des chances grace à l’école et sur tant d’autres choses) est bien triste et aussi préjudiciable à notre Nation. Pour en plus faire non pas le bonheur mais alimenter la course à l’EGO de milliardaires c’est somptueusement crétin, inutile et destructeur de capital naturel et humain (mais pas de capital financier, qui n’est in fine qu’une convention sociale et sociétale donc facilement remplaçable, mais le Capital Humain et surtout naturel sont irremplaçables une fois détruit) !!!
Ben voyons !
Comme indiqué justement à la fin de l’article « le passage à une économie décarbonée n’est pas immédiat » : étant donné l’INERTIE du système énergétique basé sur les énergies fossiles, et de la société de surconsommation, et de la démocratie représentative, il apparait illusoire d’atteindre la neutralité carbone en 2050, sauf à miser sur l’hydrogène dit bleu. Même si c’est temporaire, ( en attendant la maturité des autres sources d’hydrogène), ce peut être rapide, : L’ADEME avait sorti une étude indiquant que le CSC (Capture -Stockage- du Carbone) ( formé en particulier lors du vaporeformage) serait compétitif lorsque le prix en Europe de la tonne de CO2/(Carbone) serait de ~110 €, ce qui est presque atteint actuellement.
Au reste le méthane à utiliser n’est pas nécessairement d’origine fossile, et il faut aussi mentionner que la récupération du méthane ( qui sert à la formation d’hydrogène bleu) réduira aussi le réchauffement climatique.