Fermeture de Fessenheim : enjeux et questions
Le gouvernement a promis de fermer la centrale de Fessenheim en 2017. Il semblerait qu’il soit enclin à revenir sur cette promesse. Même en essayant de dépasser les clivages politiques ou corporatistes, l’affaire reste complexe car elle mêle des questions politiques, économiques, techniques ayant trait à la fois à la transition énergétique et à la sûreté.
Quels enjeux ?
La centrale de Fessenheim est la plus ancienne centrale du parc nucléaire tricolore. La question de sa fermeture concernera donc inévitablement tous les réacteurs du parc dans les prochaines années (au plus tard d’ici vingt ans). Dès lors, toute la question est de savoir s’il est nécessaire de fermer les réacteurs approchant ou atteignant les 40 ans de durée de vie ou s’il est envisageable de prolonger leur durée de fonctionnement tout en assurant un niveau de sûreté suffisant. Cette question impactera évidemment la stratégie énergétique nationale, en particulier les programmes d’investissement en unités de production d’énergie renouvelable et de construction de nouveaux réacteurs nucléaires.
Questions électoralistes
Concernant Fessenheim, divers types de questions peuvent se poser : certaines, teintées d’électoralisme, d’autres plus pertinentes car ayant trait à la sûreté des installations de la centrale.
Parmi les questions hâtives, celle de la fermeture immédiate de Fessenheim qui permettrait de montrer que la France s’achemine bien vers une réduction de la part de l’énergie nucléaire dans le mix de production électrique à 50% à l’horizon 2025. Cela donnerait bien sûr un signal de bonne volonté politique aux partisans de la réduction du nucléaire. Mais au final, cela ne réduirait que très faiblement la part du nucléaire tout en représentant un coût non négligeable pour le contribuable : celui du dédommagement de l’exploitant ajouté à un surcoût lié au remplacement par une production d’électricité d’origine renouvelable. Sans compter qu’en pratique, le remplacement pur et simple d’une unité aussi flexible que Fessenheim par des unités de production d’énergie renouvelable serait inenvisageable étant donné le stade de développement encore embryonnaire des technologies de stockage d’électricité d’origine renouvelable.
Bien sûr, la mise en route de nouvelles unités de production d’énergie renouvelable permettra une production complémentaire appréciable et utile pour contribuer à l’alimentation des véhicules électriques par exemple ; mais si ces unités de production doivent remplacer des unités de production nucléaire, cela conduira inévitablement à un accroissement des émissions de dioxyde de carbone. L’intermittence des renouvelables nécessitant de solliciter des centrales thermiques carbonées lors des pointes de consommation.
Autre question, celle de la sûreté. Pourquoi ne pas fermer immédiatement Fessenheim si cette dernière représente un danger pour la sécurité des citoyens ? La centrale a fait l’objet de vérifications et de contrôles approfondis lors de la 3ème visite décennale en 2009 (trente ans de Fessenheim). A l’issue de ces contrôles, il a été décidé de prolonger le fonctionnement de la centrale dix ans. Des travaux de rénovations ont été réalisés ces dernières années dans ce cadre. Le radier du réacteur n°1 a notamment été renforcé, ce qui rend la centrale moins vulnérable en cas d’accident majeur de fusion du cœur. Cette centrale ne présente donc pas, sous réserve qu’aucune anomalie grave ne soit découverte dans les deux prochaines années, de risque supérieur aux centrales de même type jusqu’à ses quarante ans.
Questions de sûreté
Parmi les questions plus pertinentes, celle des points faibles éventuels dont pourrait souffrir la centrale ou des incertitudes sur le maintien de la sûreté en son sein qui pourraient justifier un arrêt une fois les 40 années réglementaires de fonctionnement écoulées ?
Il n’est pas question ici d’exhaustivité qui conduirait à trop de détails techniques, mais de pointer trois faiblesses majeures de Fessenheim. Les deux premières concernent la situation géographique de la centrale, confrontée à la fois au risque sismique mais également à celui d’inondation par le grand canal d’Alsace. Le risque sismique est à surveiller de près. La centrale est en effet conçue pour résister à un séisme de 6.7 sur l’échelle de Richter. A titre d’exemple, le séisme de Bâle de 1356 avait atteint les 6.2. Le risque d’inondation est probablement plus sérieux. La centrale est située neuf mètres sous le niveau du canal ce qui rend le risque d’inondation sans doute plus probable. Sans compter qu’un séisme pourrait provoquer une inondation. La troisième faiblesse n’est pas spécifique à Fessenheim mais peut s’avérer majeure car elle concernera, à terme, tous les réacteurs du parc français. Il s’agit de la durée de vie de la cuve dont il faudra, passé 40 ans, régulièrement évaluer la résistance à toutes les contraintes thermo-mécaniques combinées à la dégradation qu’induit le phénomène d’irradiation.
Peut-on remédier à ces faiblesses ? A quel coût ? Combien de temps pourrait-on prolonger le fonctionnement des réacteurs avec un niveau de sûreté suffisant. Seules les études techniques approfondies de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) permettront de répondre à ces questions; études qu’il devient urgent de lancer si ce n’est déjà fait.
Concernant Fessenheim, la position la plus raisonnable serait de refuser une fermeture immédiate de la centrale (qui serait purement électoraliste) et de prolonger de deux années la durée de vie de cette dernière tout en établissant un diagnostic précis de son état qui permettrait de décider d’une éventuelle prolongation de sa durée de vie au-delà des quarante ans de fonctionnement initialement programmés.
Crédit photo : @EDF – DIDIER MARC