Qui va payer la fermeture de Fessenheim ? (Tribune)
On chiffre généralement le coût de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, prématurée et injustifiée techniquement, à 4 milliards d’euros.
Compte-t-on là-dedans les souffrances des salariés et de l’ensemble de la cité ? On peut en douter, mais retenons néanmoins cet ordre de grandeur. Ce chiffre de 4 milliards on le retrouve aussi dans les hausses de taxes, sur la baisse de l’ISF… c’est devenu une unité de compte.
« Où passe notre argent, celui de nos impôts », scandent les manifestants tous les jours, et l’on jette de l’huile sur le feu en travestissant la réalité car on oublie systématiquement le coût d’une politique énergétique absurde et décidée depuis une dizaine d’années sous la pression de militants antinucléaires se disant écologistes.
Moi je regarde le secteur de l’énergie, car depuis le Grenelle de l’Environnement nous payons très cher une politique suicidaire et comme l’Etat est impécunieux, il est allé chercher l’argent d’abord chez les producteurs d’électricité (EDF et ENGIE avec des ventes d’actifs) puis chez les consommateurs d’électricité (15% de CSP+15% de TVA) ) et enfin chez les automobilistes (la TIPP devenue la TICPE 60% des pleins de carburants) .
Fermer pour des raisons idéologiques des installations (parmi les 58 réacteurs nucléaires) qui marchent et qui sont amorties est stupide et supposeraient que nous soyons riches, très riches et que nous ayons envie de gaspiller l’argent des Français.
Certains irresponsables ont commencé par Fessenheim et veulent continuer les prochaines années, il me semble que les Français s’expriment en disant qu’ils ne veulent plus payer. On ne peut que les approuver.
Si les centrales nucléaires, après carénage, sont aptes à poursuivre leur fonctionnement, il est scandaleux de vouloir les arrêter en oubliant de dire que les consommateurs vont devoir payer le double ou le triple leur électricité, accepter des ruptures de courant, et des augmentations des dépenses de carburants.
Qui paie l’addition ?
Ensuite, on a orienté le pays vers les énergies renouvelables en déclarant « le soleil et le vent nous donnent de l’énergie gratuite ».
Où est la gratuité ? Les énergies renouvelables nous coûtent 8 milliards d’euros par an, en attendant beaucoup plus si les éoliennes en mer voient le jour !
Et ce sont désormais les automobilistes qui paient l’addition en plus de toutes les autres. On peut décider d’une politique , encore faut-il avoir le courage de la présenter au peuple. Qui sait aujourd’hui en faisant son plein d’essence qu’il paie les éoliennes réalisées avec du matériel importé ?
Enfin, on entend depuis des semaines que la complémentarité de l’énergie nucléaire et des énergies renouvelables est désormais assurée !
Et ainsi on oublie la nécessité de l’énergie thermique (les affreux fossiles) pour assurer les pics de production rendus nécessaires par le caractère intermittent du climat, du soleil et du vent.
De qui se moque-t-on ? La France est-elle assez riche au point de pouvoir faire fonctionner en flexibilité une énergie bâtie comme une base ! N’importe quel élève de sciences physiques sait que ce qui est dit là est absurde, non pas techniquement mais économiquement.
Les réacteurs nucléaires sont faits pour fonctionner en base, en continu, au maximum de leurs possibilités, c’est ainsi que l’on peut les rentabiliser et assurer leur longévité.
Je pense, à cet égard, avoir eu de bons professeurs, ce sont ceux qui ont construit notre potentiel électrique.
Découvrir aujourd’hui pour satisfaire des démagogues voulant plaire aux anti nucléaires que l’on va « flexibiliser » le fonctionnement des centrales nucléaires jusqu’à 80% et ceci deux fois par jour est dément, l’électricité nucléaire sera ainsi plus chère et les centrales se fragiliseront.
Pourquoi dit-on cette énormité ? Pour faire passer une augmentation des éoliennes et autres jusqu’à 40% de la production ! La production à base de vent est intermittente, mais comme il n’y a pas de stockage, elle est prioritaire sur le réseau et on juge que la complémentarité est thermique, gaz ou charbon, comme nous l’ont montré les allemands.
En diminuant le nucléaire et en augmentant le renouvelable intermittent, on demande au flexible évident de prendre le relais des « pics » de consommation, c’est-à-dire aux énergies fossiles.
Diminuer le nucléaire revient donc à augmenter les fossiles et donc les émissions de CO2, le carbone considéré comme un crime contre le climat.
Il faut savoir ce que l’on veut
Si le climat est prioritaire, les centrales nucléaires doivent toutes être conservées et produire au maximum de leurs possibilités.
Il ne faut pas mettre sur le réseau trop d’énergies intermittentes pour ne pas entamer la rentabilité de ces réacteurs. La situation actuelle est largement suffisante, arrêtons le programme de multiplication des éoliennes !
En ce qui concerne le solaire, l’utilisation des toits peut être un bon moyen d’équilibrer le réseau, mais les fermes solaires conduisent aux mêmes problèmes que les éoliennes.
Hydraulique et méthanisation sont pilotables et ne sont donc pas en cause. Et, bien sûr, comme on l’a vu les hivers derniers, le maintien du thermique à 5000 MW installé est une nécessité, inutile de faire de la démagogie sur les centrales charbon qui sont 1% du fonctionnement et qui, en plus, sont en train de se transformer en mix biomasse-charbon.
Tout autre solution est techniquement stupide et économiquement mortifère. Dites le aux gilets jaunes !
Si l’on regarde le problème de la pollution des villes, il faut, soit limiter la concentration urbaine, soit réaliser des programmes de mobilité alternatifs, cela n’a rien à voir avec la production électrique.
Si l’on veut réduire la note des consommateurs et des contribuables il faut arrêter le programme dit de concurrence conduisant les producteurs à vendre leur production à leurs concurrents, EDF affronte 70 concurrents en France !
De qui se moque-t-on ? Des Français bien sur qui n’arrêtent pas de recevoir des offres alléchantes de compagnies qui leur promettent des tarifs exceptionnels et une électricité » verte » et « propre » sur le dos d’EDF et donc du contribuable et sur leur dos de consommateur.
Oui, il est clair pour l’énergie que l’idéologie antinucléaire (dite écologiste) et l’idéologie libérale (la concurrence dans un monopole naturel) envoient le pays dans le mur et les Français dans la rue, ayons, pour une fois, le courage d’affronter cette réalité.
COMMENTAIRES
Votre analyse comme toujours est un raisonnement à l’instant T sans anticipation de la suite. Le développement des véhicules électriques qui parait actuellement inéluctable (à votre grand désespoir je suppose) va nécessiter de mettre en place des stations de stockage stationnaire d’électricité. Cela afin de pouvoir faire face aux pics de consommation que vont occasionner les stations de recharges rapides (certains prévoient 150kW voir plus).
Comme vous dites : « La production à base de vent est intermittente, mais comme il n’y a pas de stockage, elle est prioritaire sur le réseau et on juge que la complémentarité est thermique, gaz ou charbon, comme nous l’ont montré les allemands. »
Mais justement le stockage va se développer et il permettra de donner une deuxième vie aux batteries commençant à perdre de leur autonomie après 7 ou 8 ans de fonctionnement dans un véhicule.
Contrairement à ce que vous dites la consommation de charbon en Allemagne, après une augmentation de 2010 à 2013 est actuellement en phase de décroissance continue voir https://lemde.fr/2D1zBMU
Vous n’auriez pas des actions chez EDF ???
Je ne crois pas que les batteries soient l’avenir de la planète.
Intéressé par renouveler ma voiture de ville par une voiture électrique, j’ai regardé le premier reportage venu à la télévision sur le sujet, qu’y ai-je découvert : que des constructeurs de voiture électrique n’ont plus le droit d’utiliser les termes « propre » et « écologique » dans leurs publicité sur ces véhicules. L’utilisation d’une batterie en est la raison principale.
Philippe Vesseron
J’avais publié en 2017 le texte que je reproduis en dessous. Le piège ne se limite pas au cas de la fermeture d’un réacteur: nous avons monté une mécanique folle qui aboutit à rendre non compétitifs des barrages suisses amortis qui ne sont plus compétitifs face au MWh allemand perfusé à l’EEG Umlage… Qu’est-ce qu’un « prix de marché » dans ces conditions?
En tout cas, il me paraît essentiel de veiller à indemniser loyalement tous ceux qui subissent un préjudice: une usine hydroélectrique de montagne présente depuis 70 ans a engendré le développement de richesses par la présence du plan d’eau, une centrale thermique présente depuis 50 ans a des retombées importantes par l’activité portuaire, une centrale nucléaire présente depuis 40 ans fait vivre bien plus que les familles de ses salariés et sous-traitants… Bref, indemniser au rabais est une tentation permanente …qui ne peut qu’alimenter les colères!
Arrêter un barrage, une centrale au charbon ou un réacteur nucléaire : est-ce «gratuit» pour l’État?
L’impératif de réduire les rejets de gaz à effet de serre va accélérer et réorienter partout les politiques de «transition énergétique», avec forcément des gagnants et des perdants. En France, l’urgence de maîtriser les dépenses publiques va imposer de clarifier vite une dimension nouvelle dans cette question : l’indemnisation par l’État des préjudices des collectivités et des acteurs privés.
La loi « Grenelle » puis la loi « Transition » ont bouleversé les multiples «règles du jeu» du monde de l’électricité, avant même le nouveau « paquet énergie climat » en préparation à Bruxelles. Tout cela a bien d’autres buts que la protection du climat et fourmille d’obligations de mise en concurrence, de corrections des défaillances de marché, de soutiens aux énergies renouvelables, d’objectifs souples mais avec de vrais transferts de pouvoir,… En France, en l’état, ces dispositifs pourraient conduire à mettre sous cocon ou à arrêter un certain nombre de moyens de production sans qu’on ait bien chiffré les budgets publics nécessaires pour les soutiens, indemnisations et compensations aux territoires : comment aider à clarifier ce maquis ?
En particulier depuis 1945, nous avons construit un vrai savoir-faire pour organiser le «débat public», déclarer l’utilité publique, aménager le territoire, planifier la réalisation d’infrastructures, organiser la formation, … Tout ceci visait à produire et répartir les fruits de la croissance et a contribué au consensus français autour du secteur énergétique, de l’électrification du pays, du maillage à haute tension de l’hexagone et des économies d’échelle des outils standardisés, hydraulique puis charbon, fuel, gaz et nucléaire. Mais avec quels instruments pilotera-t-on non pas des créations mais des fermetures si elles sont confirmées?
Les transitions engagées dans les pays européens partent de situations initiales contrastées et ajoutent à la protection du climat les enjeux des différents groupes d‘intérêt : sauver le charbon national, maîtriser les importations d’hydrocarbures, protéger soit le pouvoir d’achat des ménages soit la compétitivité des entreprises, sortir du nucléaire… Une spécificité française va être de devoir chercher des financements par des budgets de l’Etat ou des collectivités précisément au moment où ceux-ci devront tous être réduits! Un seul aspect budgétaire a été très commenté, en particulier parce que les autorités ont trop longtemps affirmé à tort que ce n’était pas un sujet fiscal : le financement des Charges du Service Public de l’Electricité. Mais ceci ne doit pas pour autant faire négliger la question des indemnisations , occultée elle aussi bien à tort.
Premièrement, il faudra clarifier l’indemnisation des entreprises qui arrêteront des barrages, centrales, réacteurs,…. La mauvaise image des « utilités électriques » en Europe a conduit certains segments des opinions à des réactions négatives contre le principe de telles indemnisations – on reproche même aux autorités de ne pas savoir dissuader les électriciens de les demander! Pourtant, la question est tranchée en droit et en équité : le Conseil Constitutionnel cite drôlement l’arrêt « Godet » mais aurait pu aussi utiliser le cas « Pariset » qui montre l’ancienneté de la tentation d’indemniser « au rabais » , même au risque du détournement de pouvoir ! Restera la redoutable difficulté de l’évaluation du « manque à gagner » à indemniser, compte tenu de la responsabilité des politiques publiques dans l’effondrement des « prix de marché de gros», l’irruption des énergies subventionnées étant accélérée nonobstant l’arrêt de la croissance de la consommation intérieure et des exportations.
Deuxièmement, sauf accroissement des débouchés, plusieurs causes vont faire monter les factures «toutes taxes et contributions incluses » : d’une part l’arrêt d’installations à prix de revient faibles, d’autre part les dérapages de coûts (EPR, réseaux,…) et enfin les subventions au solaire et à l’éolien qui resteront longtemps nécessaires. Répéter que ces augmentations induiront une réduction des gaspillages est très malencontreux : la hausse des coûts de l’électricité provoquera des tensions qu’il faut anticiper par des compensations dans des cas limités ( précarités par exemple) mais surtout par la création d’observatoires publiant loyalement, au profit des décideurs et de tous les acteurs, des références crédibles sur les impacts sur les ménages et les entreprises, sur le commerce extérieur et sur l’emploi.
Troisièmement, on sait bien que les infrastructures électriques ont largement soutenu depuis des décennies le développement des territoires , en termes d’attractivité, de localisation d’activités de différentes natures , de qualité des services publics,…La suppression d’un barrage ou d’une centrale résultant directement d’une politique de l’Etat, il faudra forcément mobiliser les finances publiques pour en anticiper ou compenser les conséquences négatives même indirectes, sans se borner à envoyer les collectivités et les acteurs privés plaider leur cause devant les tribunaux.
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Au moment où les budgets vont être tous sous revue, il serait dangereux de continuer à garder le silence sur ces trois besoins d’indemnisations, au risque de fausser les bilans coûts/bénéfices et de donner aux « perdants » la crainte de subir un traitement inéquitable.
Publié sur le cercle les échos