Décryptage du maelström de la fiscalité énergétique

La fiscalité énergétique concerne toutes les entreprises, de la petite structure au grand groupe. Face au foisonnement et à la complexité des textes qui évoluent notamment avec la hausse des prix de l’énergie, on a voulu faire le point avec Sarah Espasa-Mattei, avocate chez Jeausserand-Audouard, cabinet spécialisé dans l’accompagnement des chefs d’entreprises. Interview.

 

Quelles sont les dernières évolutions en matière de législation fiscale sur l’énergie ?

Les taxes sur l’énergie ont fait l’objet d’un grand nombre de réformes depuis une dizaine d’années que ce soit en matière de taux, d’affectations budgétaires ou encore de régime d’imposition.

Cela s’explique notamment par le fait que le législateur doit ménager un grand nombre d’objectifs tels que les enjeux environnementaux, la conformité au droit européen, les rentrées budgétaires, le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité des entreprises.

Ces objectifs sont bien entendu difficiles à concilier, voire parfois antinomiques et c’est ce qui peut expliquer le manque de lisibilité des différentes taxes et des différentes réformes en la matière.

Les taxes sur l’électricité en sont certainement la meilleure illustration. La taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) également dénommée Contribution au Service Public de l’Électricité (CSPE), qui est désormais la principale taxe sur l’électricité a fait l’objet d’une réforme d’ampleur en 2016.

Cette réforme était notamment rendue nécessaire par la contrariété de la taxation de l’électricité avec le droit de l’Union européenne. Si cette modification a entrainé une augmentation du taux de la CSPE, la réforme a également modifié l’affectation de cette taxe. En effet, et comme son nom ne l’indique pas, la Contribution au Service Public de l’Électricité ne finance plus les charges du service public de l’électricité mais est dorénavant allouée au budget général de l’Etat.

Sa dénomination n’aidant pas, il est intéressant de constater que certains parlementaires continuent de penser dans le cadre de l’examen de projets de lois, que cette taxe finance toujours les charges du service public de l’électricité. Par ailleurs, cette réforme a donné lieu à un remaniement des dispositifs instaurés au profit des entreprises, en mettant en place des exonérations ou des taux réduits pour certains types d’utilisation de l’électricité.

Des mesures plus spécifiques ont également été prévues pour certains secteurs. Ainsi et à titre d’illustration, depuis le 1er janvier 2019, les data centers peuvent bénéficier, sous certaines conditions, d’un taux réduit de CSPE.

Les conditions d’octroi de ce dispositif vont d’ailleurs être durcies à compter de 2022. Le régime des taxes locales sur la consommation finale d’électricité (TLCFE) a également été amendé afin notamment de limiter le risque d’incompatibilité de ces taxes avec le droit de l’Union européenne, et alors même qu’elles avaient déjà fait l’objet d’une réforme conséquente en 2011 pour les mêmes raisons. Ces taxes sont à cet égard difficiles à réformer dans la mesure où elles touchent directement le budget des collectivités locales.

Des réformes assez similaires ont également eu lieu en matière de taxation du gaz naturel. La taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN), qui est la principale taxe en la matière, a fusionné avec la contribution au tarif spécial de solidarité (CTSSG) et la contribution au service public du gaz (CSPG) en 2016.

Aux enjeux budgétaires et communautaires s’ajoutent enfin les objectifs environnementaux. C’est ainsi que les taxes intérieures de consommation relatives aux énergies fossiles intègrent depuis 2014 une composante carbone, venant ainsi modifier les modalités de calcul des taxes pour tenir compte des émissions de CO2 desdites énergies.

C’est dans ce contexte de très grande hétérogénéité des dispositifs que la France a mis en place depuis l’année dernière un « Budget vert ». Objectif : classifier les dépenses budgétaires et fiscales selon leur impact sur l’environnement et identifier les ressources publiques à caractère environnemental.

Si le PLF 2022 prévoit en outre une cotation intégrale des dépenses du budget selon leur impact environnemental avec un méthode enrichie et fiabilisée, il est toutefois difficile d’en mesurer les effets concrets.

Comment la hausse des prix de l’énergie impacte-t-elle la fiscalité énergétique ?

Les hausses des prix de l’énergie ont en général un impact indirect sur la fiscalité énergétique. En effet, à l’exception de la TVA, les hausses des prix n’ont pas d’impact direct sur le montant des principales taxes sur l’énergie dès lors que ces dernières dépendent des niveaux de consommations des produits énergétiques et non pas du prix des produits.

Toutefois, les hausses du prix des produits de l’énergie ont nécessairement un effet sur la fiscalité dès lors que les taxes représentent une part importante du coût final des produits énergétiques. La fiscalité énergétique peut ainsi servir de variable d’ajustement au Gouvernement pour favoriser le pouvoir d’achat.

A titre d’illustration, le mouvement social de l’automne 2018 a conduit le gouvernement à reculer sur l’augmentation prévue de la composante carbone des énergies fossiles.

Introduite en 2014, cette composante carbone ou taxe carbone est une modalité de calcul de trois des quatre taxes intérieures de consommation (TIC) : la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), la taxe intérieure sur la consommation de gaz naturel (TICGN), et la taxe intérieure sur la consommation de charbon (TICC).

Son montant est proportionnel aux émissions de CO2 desdites énergies. Ainsi, et s’il était initialement prévu de fortement augmenter cette composante à compter de 2018, le Gouvernement a décidé de préserver le pouvoir d’achat des ménages en gelant, en 2019 puis en 2020 et 2021, les taux des TIC aux niveaux de 2018.

Par ailleurs, l’augmentation significative du prix des produits qui frappe actuellement le marché de l’énergie conduit le gouvernement à modifier le niveau des taxes pour limiter l’augmentation des prix payés in fine par les consommateurs.

C’est ainsi que le Gouvernement souhaite mettre en place un « Bouclier tarifaire et fiscal » pour l’électricité et le gaz naturel. S’agissant de l’électricité, il est envisagé une minoration de TICFE destinée à contenir la hausse moyenne des tarifs réglementés de vente d’électricité à 4 % en février 2022.

Pour le gaz, un dispositif similaire est prévu pour permettre au Gouvernement de baisser la TICGN tout au long de l’année 2022.

Quels sont les dispositifs existants ?

En plus de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA), chaque produit énergétique va faire l’objet d’une fiscalité qui lui est propre. La TVA s’applique d’ailleurs sur le montant des consommations des produits énergétiques et sur les taxes y afférentes.

L’électricité est le produit énergétique sur lequel s’applique le plus de taxes : la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE), également dénommée Contribution au Service Public de l’Électricité (CSPE). Il s’agit de la principale taxe sur l’électricité et peut représenter entre 15 % et 20 % de la totalité de la facture TTC.

Il est toutefois prévu un grand nombre de dispositifs d’exonération ou de taux réduits pour les entreprises. Il est important de préciser que le taux de la CSPE a été multiplié par 5 en un peu plus de 10 ans passant de 4,5 € / MWh en 2004 à 22,5 € / MWh depuis 2016.

Les taxes locales sur la consommation finale d’électricité (TLCFE) sont composées d’une taxe départementale et d’une taxe communale. Ces taxes ne visent que les points de livraisons de faible puissance et s’appliquent notamment à la consommation des ménages. La contribution tarifaire d’acheminement (CTA) qui s’applique sur le gaz et l’électricité. Là encore et contrairement à ce que son nom pourrait laisser entendre, elle ne finance en rien les prestations de transport ou d’acheminement de l’électricité. Il s’agit d’une taxe qui finance le régime spécial de retraite des employés des industries électriques et gazières.

La fiscalité du gaz naturel comprend, elle, la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN), qui est la principale taxe sur le gaz. Comme la TICFE, le taux de la TICGN a fortement augmenté ces dernières années passant de 1,27 € / MWh en 2014 à 8,44 € / MWh en 2021. Elle représente environ 13 % de la facture de gaz. Et encore, l’augmentation de cette taxe a été fortement ralentie par les revendications des gilets jaunes.

En effet, le gouvernement a décidé de geler la taxe en 2019 à un taux stable. La CTA déjà évoquée qui s’applique également au gaz. La principale taxe portant sur les produits pétroliers est la Taxe Intérieure de Consommation sur les Produits Energétiques (TICPE). Elle représente entre 30 et 45 % du prix de l’essence et du gazole. Il existe également une Taxe incitative relative à l’incorporation de biocarburants (TIRIB).

Les entreprises connaissent-elles bien les dispositifs dont elles peuvent bénéficier ?

Ces taxes ne sont pas toujours bien connues des entreprises. En effet, les taxes sur les produits énergétiques sont nombreuses et ont fait l’objet de nombreuses réformes.

Les entreprises n’ont pas nécessairement connaissance des nombreux dispositifs propres à chaque taxe, qui peuvent être par ailleurs complexes à mettre en application.

En effet, chaque taxe fait l’objet de régimes d’exonération et/ou de dispositifs de taux réduit qui peuvent dépendre de l’activité des entreprises, de l’utilisation des produits énergétiques, de leur niveau de consommation…

Par exemple, les 4 taxes sur l’électricité (hors TVA) prévoient des dispositifs avec des conditions d’application qui leurs sont propres relevant d’administrations différentes (fiscale, douanière, CNIEG, etc…).

Il y a une dizaine de dispositifs d’exonération ou de taux réduits en matière de CSPE. Par ailleurs, cette dernière qui relevait de la compétence des douanes depuis 2016 va désormais relever de la compétence des impôts à partir de l’année prochaine.

Ce changement de compétence va ainsi conduire les entreprises à devoir s’adapter en matière de démarches administratives.

Par ailleurs, et même lorsque les dispositifs sont identifiés par les entreprises, certaines peuvent être réticentes à les mettre en œuvre en raison de leur complexité ou de la charge de travail que peut générer la collecte des données de consommation. C’est dans ce constat de grande complexité, et dans un contexte où l’achat d’énergie et les taxes y afférentes constituent une charge de plus en plus importante pour les entreprises, que, au cabinet Jeausserand-Audouard, nous assistons nos clients pour tenter d’en limiter le coût en identifiant les différents dispositifs d’atténuation dont ils peuvent se prévaloir.

Par ailleurs, des démarches plus contentieuses, visant notamment à contester le paiement de certaines de ces taxes en raison de leur contrariété au droit de l’UE, sont également envisageables.

En effet, la taxation des produits énergétiques est encadrée par le droit européen et leur compatibilité avec les Directives européennes peuvent parfois faire débat.

 

 

 

commentaires

COMMENTAIRES

  • Bercy excelle dans l’art d’égarer les citoyens désireux de suivre les flux qu’il brasse.

    Logique, quand on veut faire croire que l’on peut subventionner tout le monde sans jamais taxer personne !!
    Logique quand on veut faire croire que tout ce qui est « gratuit » ne coûte rien !!

    Tout ce bric-à-brac fiscal alimente malheureusement une économie zombie et parasitaire

    Répondre
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