Fish & chips et Brexit
Tribune signée Alexander Temerko, investisseur dans le secteur mondial de l’énergie, membre du Conseil consultatif de l’AIE, et Président d’Aquind.
Alors qu’il reste à peine plus de deux mois d’ici la fin de la période de transition et l’entrée en vigueur de la séparation entre le Royaume-Uni et l’UE, plusieurs problèmes s’aggravent, ce qui complique encore davantage ce divorce déjà complexe.
La dispute sur la pêche est l’un des sujets sensibles, dont les termes se politisent étrangement. « Les pêcheurs ne sauraient être les sacrifiés du Brexit », a déclaré Emmanuel Macron. Au point de mettre dans la balance l’accord sur l’énergie conclu entre l’UE et le Royaume-Uni ?
Ayons une perspective économique sur cette question très politique : l’industrie de la pêche représente, en France comme en Grande-Bretagne, une part infiniment moindre que le secteur de l’énergie, tant en termes de PIB que d’emplois.
Le secteur de l’énergie en danger ?
Du côté de la Grande Bretagne elle représente à peine 0,08 % du produit intérieur brut et contribue à hauteur de 1,4 Md£ par an à l’économie, tandis que le commerce de l’énergie avec l’Europe dépasse 6 % de PIB et s’élève à 126 Md£ par an.
L’industrie de la pêche emploie 12 000 personnes, tandis que le secteur de l’énergie contribue à l’emploi de 768 000 personnes. Si la pêche revêt une importance capitale en termes de souveraineté, et qu’elle a beaucoup de sens pour la Grande-Bretagne à l’heure où le pays souhaite reprendre le contrôle de ses frontières, de sa législation, mais aussi de ses ressources, cela vaut-il la peine pour autant de mettre en danger le secteur stratégique de l’énergie et, plus largement, les chances de relations futures de bon voisinage ?
La réponse à cette question est évidente pour le milieu des affaires (de part et d’autre du Channel), ainsi que pour toutes les personnes de bon sens en Europe, qui espèrent vivre ensemble dans la prospérité et l’harmonie. Que la question de la pêche soit utilisée comme tactique de négociation pour faire pression et parvenir à un compromis des deux côtés est une chose, mais c’est une situation totalement différente lorsque les décideurs politiques et leurs conseillers considèrent la pêche comme le genre de question valant la peine de tout sacrifier en son nom.
Pourquoi la question de l’énergie est-elle bien plus stratégique ?
Si l’accord sur l’énergie est rompu, les deux parties remettront en cause un secteur décisif pour les objectifs de décarbonation et la transition verte. La Grande Bretagne verrait son vaste programme environnemental – qui présente des critères environnementaux très élevés et reconnus internationalement – gravement menacé.
L’Europe perdrait un accès à l’énergie décarbonée issue de l’éolien de la mer du Nord en particulier, et simultanément des possibilités immenses d’exportation de son énergie – notamment le nucléaire français.
L’échec dans l’atteinte de nos objectifs de décarbonation serait non seulement préjudiciable pour les poissons et les autres ressources naturelles, mais nuira aussi aux consommateurs.
Tenir mordicus à la pêche reviendrait à faire des économies de bouts de chandelle. Cela ne vaut pas la peine de risquer de remettre en question les ambitions de transition énergétique des deux côtés de la Manche, au nom de la souveraineté en matière de pêche.
Après tout, les poissons eux-mêmes ne sont ni citoyens de notre pays ni même conscients de l’existence du Brexit, ce sont plutôt des êtres et des ressources dont la migration dépend fortement de l’environnement et du réchauffement climatique. C’est précisément cet environnement que nous protégerions en veillant à ce que le secteur de l’énergie soit en bonne santé, solide et sécurisé.