ITER : au cœur de la cryogénie extrême
Depuis 2012, Air Liquide a signé plusieurs contrats pour la conception et la fabrication de lignes cryogéniques pour le projet ITER. Pour Suzanne Roy, directrice du programme ITER chez Air liquide, le leadership de son groupe dans la cryogénie extrême est au service des projets scientifiques majeurs. Interview.
Pouvez-vous nous rappeler rapidement ce qu’est le projet ITER ?
ITER, qui signifie Le chemin en latin, est un projet expérimental international très ambitieux regroupant la Russie, l’Inde, la Chine, le Japon, la Corée du Sud, les États-Unis et l’Union européenne. C’est le chemin vers une solution énergétique avec la construction d’un Tokamak qui doit démontrer la faisabilité de la fusion nucléaire. Concrètement, ITER est un réacteur en cours de construction à Saint-Paul-Lez-Durance dans le sud de la France. Cette machine doit démontrer que la fusion peut être une source d’énergie à grande échelle non émettrice de CO2 dont l’objectif est de produire de l’électricité. Cette technologie est la clé d’une énergie quasi-illimitée, sûre et peu polluante. L’usine cryogénique conçue par Air Liquide est un élément clé du dispositif dont elle assure le refroidissement.
C’est donc un énorme pari scientifique et technique…
Effectivement ! À travers ITER, l’objectif est de faire évoluer la science et la physique. L’ambition d’ITER et de son réacteur de fusion expérimental est d’exploiter une source d’énergie comparable à celle du noyau solaire pour répondre aux besoins énergétiques des générations futures. Le projet fait le pari scientifique et technique de démontrer qu’une centrale à fusion peut produire 10 fois plus d’énergie qu’elle n’en consomme. Pour recréer des réactions de fusion, les atomes doivent être chauffés à une température extrêmement élevée (150M°C). Sous l’effet de la chaleur, le mouvement des atomes s’intensifie, les électrons se détachent des noyaux qui entrent alors en collision et fusionnent, libérant une énergie cinétique d’une puissance exceptionnelle. Récupérée sous forme de chaleur, cette énergie sera utilisée pour produire de l’électricité. Des champs magnétiques extrêmement puissants sont alors nécessaires pour confiner les réactions de fusion dans l’enceinte du Tokamak, afin de les stabiliser et d’en maîtriser les effets.
Comment alors obtenir ces champs électromagnétiques nécessaires au confinement de la fusion ?
Pour cela, il faut utiliser des aimants supraconducteurs qui ne fonctionnent qu’à une température extrêmement basse, proche du zéro absolu (-269° C). La résistance électrique des aimants devient alors nulle, leur permettant de transporter des densités de courant très élevées. Le système magnétique d’ITER, constitué de gigantesques bobines et de 10 000 tonnes d’aimants, sera ainsi refroidi grâce aux équipements cryogéniques fournis par Air Liquide.
Pouvez-nous vous décrire plus précisément la plus grande unité de réfrigération d’hélium au monde que vous mettez au point ?
Le système est composé d’unités de réfrigération à l’hélium et à l’azote et de larges capacités de stockage d’hélium et d’azote, fournies par Air Liquide. Les boîtes d’hélium sont constituées de trois réfrigérateurs de 21 mètres de long et de 135 tonnes chacune. L’hélium liquide est ensuite distribué par des lignes cryogéniques longues de 2 km jusqu’au Tokamak pour assurer le refroidissement des aimants, des pompes à vide et de certains systèmes de diagnostic. Les Unités azote, ensuite, sont constituées de deux réfrigérateurs qui prérefroidiront entre autres l’usine de réfrigération hélium à -269 °C et les boucles d’hélium à -193 °C. Les stockages d’hélium et d’azote gazeux et liquides permettront d’optimiser la récupération des fluides dans les différentes phases d’opération.
Le projet une fois terminé, allez-vous réutiliser le savoir-faire acquis sur ce chantier pour investir d’autres marchés ?
ITER confirme l’expertise d’Air Liquide sur le marché de la très grosse réfrigération hélium. L’expérience de maîtrise du froid absolu d’ITER nous permet de contribuer à d’autres projets de fusions qui se développent dans le monde et de livrer d’autres usines cryogéniques. Nous mettons également notre expertise de cryogénie extrême au service de nos activités dans le domaine spatial. Le projet ITER est un défi scientifique et technique qui présente un très grand potentiel pour la production d’énergie propre, en ligne avec l’objectif d’Air Liquide de développer des solutions énergétiques durables et décarbonées.
Crédit photo : AL_L.Lelong