La diplomatie française en quête d’uranium

Alors qu’Emmanuel Macron et la diplomatie française souhaitent renforcer les liens entre l’Hexagone et la Mongolie, pays riche en matières premières stratégiques, les autorités mongoles pourraient adopter une loi contrariant fortement les ambitions d’Orano, l’un des géants français de la filière nucléaire, dans la région. Et ce alors que d’inédites tensions apparaissent sur un marché de l’uranium longtemps réputé atone.

La « dette écologique » est une « épée de Damoclès » pour les futures générations, a déclaré Michel Barnier lors de son discours de politique générale prononcé le 1er octobre. Et le nouveau premier ministre d’appeler, devant les députés, la France à « poursuivre résolument le développement des nouveaux réacteurs » nucléaires. Or, pas de nucléaire sans uranium. Une évidence qu’avait déjà en tête Emmanuel Macron quand, il y a un an et demi de cela, le président de la République s’est rendu… en Mongolie. Un déplacement officiel inédit pour un chef d’État français, à la mesure des enjeux nouveaux qui se dessinent dans la complexe géopolitique nucléaire mondiale.

La Mongolie au cœur des préoccupations stratégiques de la France

 L’intérêt des puissances occidentales pour la Mongolie est croissant. Enclavé entre la Chine et la Russie, ce vaste pays semi-désertique et peu peuplé s’illustre, depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, par sa neutralité, Oulan-Bator – la capitale mongole – refusant de choisir explicitement un parti. Une politique assumée de « troisième voie » qui ouvre, de fait, un espace à la diplomatie européenne et, notamment, française, pour avancer ses pions. Les relations franco-mongoles apparaissent, à ce titre, comme « un enjeu très important sur le plan géostratégique », affirmait l’Elysée en mai 2023, Paris souhaitant « desserrer la contrainte qui s’exerce sur les voisins et leur ouvrir le choix de leurs options ».

Si la Mongolie est si courtisée par Paris et les chancelleries occidentales, c’est aussi parce que ce pays, riche en métaux critiques et terres rares, tient une place de choix dans la « stratégie de diversification des approvisionnements européens afin de garantir notre souveraineté énergétique », commentait la présidence française à l’occasion du voyage d’Emmanuel Macron. Orano (ex-Areva), le groupe français spécialisé dans la valorisation et la transformation des matières nucléaires, a en effet signé, en octobre 2023, un accord en vue d’exploiter une mine d’uranium en Mongolie. Le projet, estimé à plus d’un milliard d’euros et co-développé par Orano et l’entreprise publique mongole MonAtomest, doit donner naissance à l’un des plus importants sites d’extraction d’uranium au monde.

De nouvelles tensions en vue sur l’approvisionnement en uranium ?

 Pourquoi la Mongolie aiguise-t-elle soudain les appétits des diplomates français ? La réponse est simple : la France ne produisant plus du tout d’uranium sur son territoire, notre pays est contraint, pour trouver les quelque 8 000 tonnes d’uranium nécessaires annuellement à ses cinquante-six réacteurs, d’acheter 100 % du précieux minerai à des fournisseurs étrangers. Au cours des dix dernières années, l’uranium naturel importé en France provenait ainsi essentiellement du Kazakhstan (27%), du Niger (20%) et de l’Ouzbékistan (19%). Autant de régions potentiellement instables, ou dont les autorités peuvent agir sous l’influence de puissances hostiles aux intérêts français et européens – comme la Russie, pour ne pas la nommer.

Longtemps réputé morose, le marché de l’uranium a connu, au début de l’année 2024, une spectaculaire envolée, le prix de la livre dépassant, pour la première fois, le seuil symbolique des 100 dollars. Plusieurs facteurs expliquent ces tensions : le coup d’État au Niger, une junte militaire favorable au Kremlin ayant, en juillet 2023, pris le pouvoir à Niamey et chassé du pays les militaires, diplomates et industriels de l’ancienne puissance colonisatrice française ; la forte hausse de la demande chinoise et russe en uranium ; le maintien du contrôle partiel de Moscou sur les mines du Kazakhstan, qui fournissent 40 % de la production mondiale d’uranium ; le contrôle, par la Chine, des mines et réserves de Namibie ; et les ambitions chinoises et russes, toujours, sur les gisements de Tanzanie et du Botswana.

Sur un tout autre plan, les avancées scientifiques et technologiques nucléaires contribuent également à ce regain de tensions sur l’approvisionnement en uranium : avec le retour en grâce du nucléaire dans les politiques publiques, le développement des Small Modular Reactor (SMR), Advanced Modular Reactor (AMR) et autre Small Nuclear Power Reactor (SNPR) laisse, en effet, entrevoir un paysage nucléaire mondial plus complexe, mais aussi plus coûteux en uranium. Si aucune crise ni pénurie mondiale ne sont à redouter à court et moyen termes, les pays comme la France disposant de plusieurs années de réserves de combustibles sur leur territoire, la prudence s’impose donc.

Signaux inquiétants en provenance du Niger et de Mongolie

 A fortiori au regard des nouvelles parvenant de Mongolie. Récemment adopté, un « amendement à la loi sur les minéraux » pourrait conduire à l’expropriation partielle des actifs miniers mongols. Le projet de loi interdirait spécifiquement à toute entité de détenir plus de 34 % des actions d’une opération d’extraction de minerai « stratégique » ; de plus, tout bénéficiaire d’une licence d’exploitation minière se verrait dans l’obligation de s’acquitter d’une taxe de 30 % en cas de transfert de droits liés à ces mêmes gisements de minéraux. De quoi donner des sueurs froides aux industriels français sur place, notamment après les engagements annoncés

Concrètement, ces changements obligeraient les entreprises minières opérant en Mongolie à partager leurs bénéfices avec l’État mongol – une forme d’expropriation dissimulée, donc. Parallèlement, la junte au pouvoir au Niger a annoncé, en juin dernier, avoir retiré à Orano le permis d’exploitation du gisement d’Imouraren, franchissant un nouveau palier dans l’envenimement de ses relations avec la France. Autant de signaux qui, sans poser de menace immédiate sur l’approvisionnement en uranium, n’en sont pas moins inquiétants.

commentaires

COMMENTAIRES

  • Nous y voilà……. un marché de l’uranium sur lequel il ne devait jamais, au grand jamais, y avoir le moindre problème d’approvisionnement et qui nous garantissait notre indépendance énergétqique pour l(éternité avec le métal le plus rare de la planète !!!
    Le nucléair la filiere la plus sûe pour se retrouver à cort d’énergie du joour au lendemain

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  • A moyen terme, l’avenir du nucléaire se jouera sur la quatrième génération qui nécessite très peu d’uranium. Les problèmes sur l’uranium pourraient booster l’expérimentation de ces filières qui ne motivent pas suffisamment les européens, ce serait une bonne chose.

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  • Tout à fait d’accord avec vous JP Moulard sur la 4 G et ses réserves potentielles pour des siècles,, SR se réjouit bien vite mais c'(est normal pour un antinuc patenté !
    Les terre rares de Mongolie polluent ce pays de manière effarante mais ce n’est rien c’est pas cheu nous comme disent les tourangeots

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    • Tout à fait, on se relancera sur la quatrième génération lorsque l’augmentation du prix de l’uranium rendra cette 4G rentable.
      On a su faire en France (et abandonné connement pour de sombres histoires d’accords électoraux avec les soi disant verts).
      Il suffit juste de vouloir s’y remettre.
      L’emmerde est que Russes et Chinois prennent de l’avance.

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  • Pas de problème particulier sur l’uranium.
    Si le prix spot a augmenté jusqu’à 100 $ en janvier 2024, il était retombé à 82$ en septembre.

    Avec des cours très bas pendant plusieurs années, certaines mines perdaient de l’argent et ont été mise à l’arrêt. De nouveaux sites dont l’exploitation était envisagée ont vu les projets d’exploitation retardés dans l’attente de jours meilleurs.

    Actuellement, quelques mines ont repris leur activité. D’autres sont en phase de préparation et reprendront dans quelques mois. Les projets abandonnés sont repris et donneront lieu à la mise en exploitation dans deux à trois ans.

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  • Le consortium du nucléaire parle de « tripler la capacité de production d’énergie nucléaire entre 2020 et 2050 ».

    En 2020, la capacité mondiale du nucléaire était de 392,6 GW. La consommation d’uranium a été de 60.100 tonnes pour une production de 2.689 TWh en brut (2.553 TWh en net).

    Tripler la capacité nucléaire d’ici 2050 (dans 26 ans) est très improbable, et même impossible.

    En 2015, une association nucléaire prétendait possible de mettre en service 10 GW par an de 2016 à 2020 + 25 GW/an de 2021 à 2025 + 33 GW/an de 2026 à 2050.

    Résultat des courses : 34 GW ajouté pour 2016-2020 (et 26 GW retirés) + 18 GW ajoutés pour 2021-2023 (et 18 GW retirés). Bilan : 52 GW ajoutés au lieu de 125 GW annoncés.

    Avec les réacteurs qui seront inexorablement retirés du service, il n’y aura pas trois fois plus de nucléaire en 2050.

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  • Le nombre de construction de nouveaux réacteurs n’est pas à la hauteur des attentes et a pour cause principale le désengagement financier des Etats du domaine nucléaire au profit des ENR.

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  • Récemment, l’agence mondiale du nucléaire a estimé que la capacité nucléaire serait de 950 GW en 2050 selon l’hypothèse la plus haute (ou seulement 514 GW au contraire).

    En augmentant chaque année la capacité installée jusqu’en 2050, la consommation d’uranium naturel augmenterait aussi chaque année, pour arriver à un cumul de 2.810.000 tonnes d’Unat entre 2023 et 2050 (les deux années incluses), dans l’hypothèse haute.

    En supposant ensuite la capacité des réacteurs à uranium stabilisée jusqu’en 2080, et donc la consommation d’Unat, le cumul serait de 7.370.000 t Unat à fin 2080.

    En supposant un triplement (très improbable) de la capacité d’ici 2050, cela donnerait une capacité de 1.180 GW en 2050. Dans les mêmes conditions, le cumul de consommation serait de 3.318.000 tonnes Unat fin 2050 et 8.982 t Unat fin 2080.

    À un coût inférieur à 260 $/kg, les réserves raisonnablement assurées sont de 4,70 Mt Unat et les réserves identifiées de 7,90 Mt Unat.

    Les réserves identifiées d’uranium ont augmenté de 821.000 tonnes (dont
    310.000 tonnes certaines) entre 2011 et 2021, malgré une production de 564.000 tonnes sur la période.

    Cette augmentation des réserves d’uranium malgré tout l’uranium extrait, alors que les prospections sont faibles, montre qu’il n’y a aucun problème d’approvisionnement en uranium pour un lointain futur.

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