La place de l’atome dans le mix électrique suisse
Invité à se prononcer sur une sortie accélérée du nucléaire lors d’un référendum le 27 novembre dernier, le peuple suisse a dit « non ». Lancé par les Verts et soutenu par la majorité des partis de gauche, cette initiative de retrait nucléaire n’a donc pas trouvé d’écho auprès des électeurs helvétiques, probablement trop soucieux du rôle de l’atome dans la sécurité d’approvisionnement énergétique du pays.
Décryptage de ce référendum et analyse de la place qu’occupe le nucléaire dans le mix énergétique suisse.
La Suisse et l’énergie nucléaire
En Suisse, l’utilisation du nucléaire comme source d’énergie remonte au début des années 60. C’est à cette date que le gouvernement helvétique décide d’introduire l’énergie nucléaire dans son mix électrique. Signataire du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, la Suisse lance ses quatre centrales nucléaires entre 1969 et 1984. Aujourd’hui, plus d’un tiers de l’électricité du pays est d’origine nucléaire, 60% provient de l’énergie hydraulique, plus de 4% des énergies renouvelables et 2% d’énergies fossiles. Ces choix énergétiques bas carbone font du pays un très faible émetteur de gaz à effet de serre.
Toutefois, malgré le rôle prépondérant qu’il joue dans le faible bilan carbone du pays, l’atome est depuis de nombreuses années au cœur d’intenses débats. Rejetée par l’aile gauche de l’échiquier politique, l’énergie nucléaire ne doit sa survie en Suisse qu’au soutien que lui accordent une large majorité de citoyens. En mai 2003, alors qu’une votation interrogeait déjà la population sur l’abandon de l’énergie nucléaire, 66% des votants s’étaient exprimés contre.
Tendance confirmée 14 ans plus tard.
Fin novembre, les électeurs suisses ont en effet une fois de plus été appelés aux urnes afin de s’exprimer à nouveau sur une possible sortie accélérée du nucléaire : proposition rejetée par plus de 54% des votants et par 20 cantons sur 26. Il est toutefois important de mentionner que ce référendum ne portait pas sur l’avenir de l’atome en Suisse en lui-même mais sur l’établissement d’un calendrier prévisionnel de fermeture de plusieurs réacteurs nucléaires. « L’initiative de retrait nucléaire », portée par les écologistes suisses, visait en effet à limiter à 45 ans la durée de vie des réacteurs. « La sortie programmée du nucléaire que nous proposons (…) définit les modalités de l’arrêt progressif des centrales nucléaires suisses, qui s’étalera jusqu’en 2029. Ce calendrier complète la Stratégie énergétique de la Confédération et permettra aux entreprises et aux compagnies d’électricité de mieux planifier leur activité », expliquait le comité d’initiative avant la tenue du référendum.
Les jours de l’atome comptés en Suisse?
Initiative écartée donc, mais ce refus ne signifie cependant pas que les jours de l’atome en Suisse ne sont pas comptés. En effet, quelques mois après l’incident de Fukushima, en mars 2011, le gouvernement suisse avait déjà proposé et le Parlement adopté un texte prévoyant une sortie progressive du nucléaire. Il avait même été décidé que les 5 centrales suisses cesseraient leur activité au fur et à mesure qu’elles approcheraient de leur fin de vie. Dans ce contexte, c’était l’absence de calendrier précisant les échéances et le mode de gestion des équipements électronucléaires (les centrales suisses fonctionnent sous licences, ce qui leur permet de produire tant qu’elles répondent aux critères de sureté) qui avait poussé une opposition verte désireuse d’accélérer la fermeture des centrales à tenter de recueillir les 100.000 signatures nécessaires à l’organisation du référendum organisé fin novembre dernier.
« Il serait en effet impossible de compenser à temps l’abandon de l’électricité nucléaire au moyen d’une électricité issue d’énergies renouvelables et produite en Suisse. Nous serions donc contraints d’importer de grandes quantités d’électricité au cours des prochaines années, ce qui non seulement affaiblirait la sécurité de notre approvisionnement mais constituerait en outre un non-sens écologique, puisque l’électricité produite à l’étranger provient souvent de centrales à charbon », ont estimé le Conseil fédéral et le Parlement.
Le paradoxe du recours au nucléaire
Saluée par le Parlement et les partis de droite qui considéraient qu’une réponse positive à ce référendum donnerait lieu à des fermetures prématurées, la victoire du non suisse intervient au moment où aux quatre coins d’Europe, l’énergie nucléaire est au cœur d’un véritable paradoxe énergétique. En effet, nombreux sont les États qui poursuivent le développement de leur secteur nucléaire civil, dont la production énergétique dépend en grande partie de l’atome, et qui parallèlement émettent le souhait d’en sortir.
En France, c’est la loi relative à la transition énergétique et pour la croissance verte, promulguée en août 2015, qui est sensée décider de l’avenir de l’atome dans notre mix énergétique. L’objectif fixé étant de ramener la part du nucléaire dans la production d’énergie à 50% d’ici 2025. En février dernier, la Cour des comptes estimait qu’à « hypothèses constantes de consommation et d’exportation » cet objectif induirait l’arrêt de la production moyenne de 17 à 20 réacteurs. Un objectif qui plongerait le pays dans une situation similaire à celle de la Suisse ; délicate à l’heure où le nucléaire est à l’origine de 77% de la production d’énergie totale du pays.
Quelques semaines après la fin de la COP22 et après la confirmation des objectifs fixés lors de l’accord de Paris sur le climat, la place de l’atome dans les mix énergétiques des États est toujours aussi sujette à débats. En effet, comme le résume Laurence Daziano, maître de conférences en économie à Sciences Po, « Son empreinte carbone quasi inexistante en comparaison du charbon ou du gaz [fait] du nucléaire un instrument majeur de politique climatique. La question nucléaire sera centrale dans les prochaines années car des dizaines de milliards d’investissements devront être engagés d’ici à 2030, y compris en France, pour maintenir le parc actuel à niveau ».