Le pétrole vert fait son chemin
La société Global Bioenergies produit de l’hydrocarbure biologique. Son secret ? Elle modifie l’ADN de certains micro-organismes de telle sorte qu’ils transforment le sucre, dont on les nourrit, en isobutène, une molécule clé de la pétrochimie à partir de laquelle sont fabriqués matériaux et essence.
Interview de son Directeur Général, Marc Delcourt.
Comment transformez-vous le sucre en essence ?
Global Bioenergies a été créé en 2008 sur une idée : développer un procédé qui permet de convertir les ressources renouvelables en hydrocarbures. Notre procédé permet de produire de l’isobutène, une molécule plateforme dérivée du pétrole qui possède quatre carbones. Cet isobutène peut être facilement converti en essence, kérosène, plastique ou caoutchouc. Par exemple, la fusion des molécules deux à deux aboutit à l’iso-octane, composé de huit carbones. Il s’agit du meilleur carburant pour les voitures à essence. Nous produisons l’isobutène à partir du sucre présent dans des ressources renouvelables : mélasse de betterave en Europe, mélasse de canne à sucre en Amérique du Sud, céréales … Ce sucre est donné à bactéries présentes dans la nature dont nous avons réécrit l’ADN afin qu’elles le convertissent en hydrocarbures.
A quelle échelle produisez-vous ce pétrole vert ?
Nous avons commencé tout petit avec un laboratoire pilote qui a produit quelques kilos d’isobutène. Depuis 2015, nous avons un pilote industriel situé près de Reims qui nous permet de sortir des centaines de kilos de pétrole vert. Nous venons de démarrer un démonstrateur industriel, près de Leipzig, en Allemagne, qui a une capacité de production de 100 tonnes par an. Et avec l’appui du groupe coopératif sucrier européen Cristal Union (sucre Daddy), nous prévoyons d’installer dans les prochaines années une usine qui produirait 50 000 tonnes par an.
Quels sont ses avantages ?
L’essence que nous produisons peut être mélangée sans limite de proportion à celle issue du pétrole. C’est l’un des grands avantages par rapport aux autres biocarburants. Le bioéthanol, par exemple, ne peut être mélangé avec de l’essence classique qu’à hauteur de 10 %. Nous, nous n’avons pas cette contrainte.
Avez-vous déjà des clients ?
Le constructeur automobile Audi, qui veut diminuer son empreinte carbone, s’intéresse de très près à notre produit. La société Aspen, spécialisée dans l’essence des hors bord et des tondeuses à gazon, s’est également manifestée pour obtenir des lots.
Votre essence coûte-t-elle plus cher que celle de l’industrie pétrochimique ?
Oui. Tous les biocarburants coûtent aujourd’hui plus cher que les carburants fossiles. Tout cela est bien sûr fonction des prix du sucre et du pétrole. En 2017, l’environnement économique semble plus favorable que l’an passé, avec un prix du baril en hausse et la fin des quotas européens sur le sucre. Le prix du sucre devrait donc baisser en Europe dans les prochains mois. Pour diminuer encore le prix de production de notre biocarburant, nous considérons des produits de moins en moins nobles comme les déchets agricoles et les déchets forestiers (copeaux de bois) qui ont une grande proportion de sucre. Il s’agira d’un biocarburant dit de deuxième génération. A plus long terme, nous développons un procédé de 3e génération qui utilise cette fois les effluents gazeux des aciéries contenant du CO2, de l’hydrogène et du monoxyde de carbone.
Quels sont les gains environnementaux par rapport à l’essence issue du pétrole ?
Le biocarburant permet de réduire les émissions de CO2, le principal gaz à effet de serre. Il réduit d’un facteur deux à un facteur cinq la production de CO2 pour une quantité fixe d’hydrocarbure.
Pourrait-on imaginer un monde roulant uniquement à partir d’essence végétale ?
Pour l’heure, cela me paraît difficile. Aujourd’hui, les biocarburants représentent 2% des carburants à l’échelle mondiale. Passer à 10%, voire à 20%, donc avoir un impact significatif sur le monde des carburants, est un objectif réalisable à moyen terme. Une chose est sûre, nous avons une place à prendre parmi les grands acteurs de la transition énergétique et environnementale.