L’énergie solaire au cœur de la transition énergétique africaine ?
On estime aujourd’hui à 1,3 milliard le nombre d’individus en situation de précarité énergétique dans le monde. La grande majorité de cette population se trouve sur le continent africain. L’Afrique sub-saharienne afficherait même le taux d’électrification le plus bas des régions en développement : 31% en moyenne, pour plus de 600 millions de personnes vivant sans électricité. Avec la croissance démographique que connait l’Afrique, ce phénomène devrait continuer d’augmenter, voire doubler d’ici 2030 si des choix énergétiques audacieux ne sont pas faits.
« De l’autre côté de la Méditerranée, à 14 kilomètres des côtes de l’Europe, se trouve un continent en plein bouillonnement, qui connaît un incroyable choc démographique et une croissance forte, mais mal distribuée. Cette situation pousse la jeunesse à migrer vers les points de lumière, promesse d’un avenir meilleur. Si l’on ne fait rien, le problème va s’amplifier », estime Jean-Louis Borloo, ancien ministre de Nicolas Sarkozy, aujourd’hui en croisade pour favoriser l’électrification du continent africain.
Un développement africain freiné
Cette situation est d’autant plus regrettable qu’elle freine significativement le développement de tout un continent en plein bouillonnement économique. Et malgré une croissance de plus de 5% ces dernières années, la vétusté du réseau électrique africain prive une majorité de pays de ce potentiel de croissance ainsi que du développement économique et social qui devrait l’accompagner. Cette situation est d’autant plus paradoxale que l’Afrique dispose de ressources énergétiques quasi-inépuisable grâce notamment à un taux d’ensoleillement exceptionnel.
Continent le plus ensoleillé du monde, le choix du solaire pour remédier au problème de l’électrification africaine semble évident. On estime que la consommation électrique moyenne d’un Africain (hors Afrique du Sud) se situe entre 150 et 170 kilowattheures par an. Un volume électrique que le rayonnement solaire moyen (entre 3 et 6 kilowattheures par mètre carré selon la position géographique) permettrait de couvrir de manière sûre et rentable.
« Il faut arrêter d’investir dans les énergies fossiles. L’Afrique doit s’engager immédiatement dans les énergies renouvelables (…). C’est déjà économiquement rentable, le coût de l’énergie solaire a été divisé par dix, le kilowatt solaire est aujourd’hui moins cher que celui à base de pétrole », explique à ce titre Vincent Kitio, expert spécialiste des villes africaines à l’ONU.
Le potentiel du solaire
Plusieurs gouvernements africains sont conscients du potentiel (énergétique et économique) de l’énergie photovoltaïque. Et si pour le moment le solaire ne pèse que 5% dans les réseaux électriques africains, il est au cœur de plus en plus de projets. Au Nord (Maroc) comme à l’Est (Kenya, Ouganda, Tanzanie) et à l’Ouest (Kenya), de nombreux projets de centrales solaires ont vu le jour ces dernières années. Et les États africains ne manquent pas d’ambition.
Depuis quelques années, le Maroc s’est lancé dans une course à l’énergie renouvelable : trop dépendant du pétrole, c’est donc vers les énergies renouvelables qu’a décidé de se tourner le Royaume pour assurer son indépendance énergétique. Et parmi ces sources d’énergie vertes, le solaire s’est taillé une place des plus respectables. Inaugurée en février dernier, la centrale solaire à concentration de Noor n’est rien de moins qu’un des plus grands complexes solaires du monde. En 2017, elle atteindra 350 MW de puissance, ce qui lui permettra de produire 2.000 gigawattheures d’électricité par an. « Soit à peu près la consommation électrique de deux millions de Marocains », estime Rachid Bayed, directeur du projet.
« Depuis quelques années, le Maroc s’est lancé dans une course à l’énergie renouvelable »
La folie des grandeurs marocaine se propagerait-elle aussi vite que la lumière ? Probable, car dans la course au renouvelable, l’énergie solaire semble également inspirer le Sénégal. Face à une demande en électricité toujours plus forte, ce pays d’Afrique de l’Ouest a décidé de miser sur la carte du renouvelable pour réduire le coût du kilowattheure. Le gouvernement ambitionne d’atteindre 30% de renouvelables dans son mix électrique d’ici 2030. Avec un premier palier de 20% dès l’année prochaine. L’objectif étant de « de fournir aux Sénégalais de l’énergie électrique en qualité et en quantité (…). Dans notre option, le solaire jouera un rôle important avec des coûts de production de plus en plus compétitifs », a expliqué le président Macky Sall.
Alors que 45% des Sénégalais n’ont toujours pas accès à l’électricité, le gouvernement affiche une appétence non dissimulée pour les technologies de production solaires. En à peine 12 jours, le Sénégal a en effet lancé deux centrales solaires : la première, Senergy 2, affiche une puissance de 20 MW grâce à ses 75.000 panneaux photovoltaïques, alors que la seconde aligne 11.000 panneaux pour une puissance de 22 MW. Et ce ne sont pas moins de 113,5 MW qui, dans le courant de l’année prochaine, viendront s’ajouter aux 821 déjà existants.
« Nous avons une réserve de production de 100 MW (…) mais nous avons un problème de transport et de distribution de cette énergie. Une bonne partie de notre territoire, notamment le Sud et l’Est, sont dans des réseaux non interconnectés et les villes et les villages sont alimentés à partir des centrales autonomes », reconnait cependant Mouhamadou Makhtar Cissé, directeur de la Senelec, compagnie nationale d’électricité sénégalaise.
Une production d’énergie décentralisée
Aux quatre coins de l’Afrique, les communautés rurales ou vivant dans des zones isolées n’ont d’autres choix que de produire leur énergie de manière décentralisée, en marge de tout réseau électrique. Là encore, le solaire apparaît comme une solution bon marché respectueuse de l’environnement (contrairement aux lampes au kérosène ou autres groupes électrogènes émetteurs de CO2).
C’est à la croisée de ces enjeux que s’est par exemple positionnée Zeci, coentreprise née de l’union entre l’électricien français EDF et la start-up spécialisée dans la distribution d’énergie solaire Off Grid Electric. L’objectif de cette initiative est de proposer des kits solaires hors réseaux à différents pays africains afin de contribuer à l’électrification des zones rurales. Ces kits, dont l’installation et la maintenance seront assurées par Zeci, sont constitués de panneaux solaires simples à installer et de batteries assurant le stockage de l’électricité non consommée au moment de la production. De quoi alimenter des appareils basse-consommation type télévision, radio, ventilateur ou chargeur de portable.
« Le solaire apparaît comme une solution bon marché respectueuse de l’environnement »
Ce sont les membres du fonds d’investissement corporate d’EDF, Electronova Capital, qui ont repéré ce produit de la start-up américaine Off Grid, déjà adopté par 120.000 clients en Tanzanie. Zeci a ainsi décidé d’étendre son offre en Côte d’Ivoire dans un premier temps avec un objectif précis : alimenter 2 millions de personnes à l’horizon 2020. Avant de s’étendre à d’autres pays.
« L’éloignement du réseau entraîne des dépenses qui sont principalement le kérosène pour faire brûler des lampes, les piles électriques pour les radios, l’essence pour aller acheter les piles électriques. Les gens font parfois des kilomètres de piste pour aller faire recharger leur portable et ils payent très cher le petit commerçant qui a le chargeur de téléphone. Notre offre vient se substituer à l’éclairage, mais aussi à ces dépenses liées à l’électricité », explique Valérie Levkov, directrice Afrique–Moyen-Orient d’EDF.
Les initiatives de ce genre vont elles se multiplier à l’avenir ? C’est ce que souhaite la Banque Africaine de Développement. La promotion de l’énergie solaire en Afrique a été un des sujets centraux de la conférence qui s’est tenue au « Pavillon Afrique » lors de la deuxième journée des négociations de la COP22 au Maroc. Et si les spécialistes ont souligné l’énorme potentiel solaire africain (estimé à 1.000 gigawatt de puissance), ils n’ont pas manqué de préciser le montant des investissements nécessaires pour le développer (33 milliards d’euros par an pendant 20 ans).
« Sur les prochaines décennies, il y aura un grand besoin. Il faut maintenant rassurer les investisseurs pour qu’ils se lancent dans le secteur », a plaidé Charles Cormier, directeur de l’énergie pour la région du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord à la Banque mondiale. Et à ce titre, la baisse de 60 % du prix du solaire sur les cinq dernières années devrait être un argument de poids.