Europe

L’Europe de l’énergie a-t-elle encore son mot à dire ?

Face à la hausse du prix du pétrole, à la concurrence internationale sur les technologies bas carbone, et à la nouvelle politique énergétique américaine que redessine Donald Trump, le Vieux continent a-t-il une vision claire et surtout commune en matière de stratégie énergétique ? Eléments de réponse avec Patrice Geoffron, professeur d’économie à l’Université Paris-Dauphine.

L’Europe communautaire est née par l’énergie avec la CECA. Peut-on encore parler aujourd’hui d’une Europe de l’énergie ?

La relation que l’Union Européenne entretient avec l’énergie est ambiguë. Certes, avec la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) et à différentes étapes (notamment avec le paquet énergie-climat de la fin des années 2000), l’énergie a été structurante dans le processus de construction. Mais, derrière cette vision ou ces objectifs communs, la réalité est que chaque État reste largement maître (et cela depuis le Traité de Rome en fait) dans la définition de son propre mix énergétique. Autrement dit, chacun est fondé à déterminer ses choix sans nécessité de coordination avec ses voisins. On a pu observer, dans le prolongement de Fukushima, que cette autonomie aboutit à des décisions importantes et non concertées, du côté allemand avec l’Energiewende et du côté français avec la Loi de Transition Énergétique (LTE). Cela conduit à déployer les stratégies de transition énergétique « bas carbone » sur une base essentiellement nationale, c’est-à-dire avec beaucoup de fragmentation dans les efforts industriels (tout comme en matière de télécommunications, d’ailleurs). Cela pourrait être préjudiciable aux Européens engagés dans la concurrence internationale sur les technologies bas carbone et confrontés, en particulier, à la capacité de développement en masse de la Chine : nous risquons d’observer, à l’avenir, dans le stockage ou le véhicule électrique ce que nous avons déjà constaté dans le domaine du photovoltaïque. Du côté américain, la puissance des GAFA, et leur capacité à valoriser les big data, constitue également un sujet de grande attention.

Existe-t-il une politique énergétique européenne cohérente ?

Définir les principes d’une telle politique est certes loin d’être évident, notamment parce que les intérêts sont très hétérogènes. Par exemple, la dépendance aux importations de gaz russe est une préoccupation majeure à l’Est de l’Europe, mais plus marginale à l’Ouest (ou plus lointaine dans le temps). Mais, il faudrait acter que 27 (ou 28) transitions énergétiques essentiellement nationales constituent un modèle probablement porteur de surcoûts et cela alors même que la précarité énergétique est un problème qui traverse l’Union et qu’une partie de notre industrie est sensible aux variations de prix de l’énergie. Il est illusoire d’imaginer un mode de coordination centralisée, évidemment, mais des coopérations bilatérales (ou plurilatérales) pourraient être explorées. Il s’agit d’un des enjeux des élections de 2017 en France et en Allemagne.

L’Union européenne importe plus de la moitié de l’énergie consommée dans ses frontières. Les 28, bientôt 27, sont conscients que le premier fournisseur des trois grands combustibles fossiles (pétrole, charbon et gaz naturel) reste la Russie. Est-ce que le rapprochement sur la question de la politique énergétique entre Donald Trump et Vladimir Poutine pourrait avoir une incidence sur l’approvisionnement russe en Europe ?

Je doute qu’Américains et Russes puissent converger en matière énergétique. La stratégie de Donald Trump, pour autant qu’on puisse la discerner clairement, consiste à encourager la production d’énergies fossiles aux États-Unis. Très concrètement, chaque baril supplémentaire produit outre-Atlantique viendra saper les efforts de l’OPEP et la Russie pour faire remonter le prix du pétrole. Par ailleurs, les exportations de gaz naturel liquéfié à partir des États-Unis, notamment à destination de l’Europe, entreront directement en concurrence avec les débouchés de Gazprom et exerceront mécaniquement une pression sur les prix du gaz russe. Paradoxalement, si l’on retient le discours de nationalisme économique du nouveau président américain, sa stratégie énergétique bénéficiera avant tout aux pays importateurs, pour l’Europe et la Chine, bien plus sûrement qu’aux États-Unis eux-mêmes (car l’intérêt des producteurs US et se bénéficier d’une rente pétrolière en présence de prix internationaux élevés, et non pas de saper les efforts pour contrarier cette élévations des cours du baril).

Face au développement du pétrole et gaz de schiste aux Etats-Unis, l’Europe peut-elle se priver de cette ressource potentielle sur son propre sol ?

Les conditions de développement du pétrole et du gaz de schiste aux États-Unis correspondent à un environnement très spécifique : faible densité de population, propriétaires terriens disposant de droits de propriété sur le sous-sol, forte présence de l’industrie pétrolière et pétrolière, réseaux de transport maillés (tout du moins pour le gaz), … Cela a eu pour conséquence de pouvoir extraire du gaz à des coûts très faibles et du pétrole à des coûts raisonnables (mais supposant toutefois des cours internationaux supérieurs à 50 $/baril). Il sera très difficile de réunir toutes ces conditions en Europe, surtout si la concurrence internationale maintient les prix du baril et les cours du M3 de gaz à des niveaux faibles (par rapport à ce qui a été observé à la fin de la dernière décennie). En revanche, il me paraît important de procéder à un « audit » géologique pour évaluer ces ressources. L’Europe est une puissance mineure dans les énergies fossiles et la géopolitique des prochaines décennies pourrait faire peser de menaces sur notre sécurité d’approvisionnement. Même si les efforts de transition énergétique réduiront progressivement notre dépendance, cette perspective est celle de la deuxième partie du siècle d’ici là nous resterons très sensibles à la complexité du mondes énergies fossiles.

Les échanges d’énergie semblent être essentiels dans les politiques à mener en Europe. Le grand réseau électrique à l’échelle du continent en est-il la clé principale ?

A défaut de coordination dans les décisions d’investissement, il est important que l’énergie puisse circuler, pour gérer en commun la variabilité de la production matière électrique (et, par ailleurs, pour faire face aux problématiques de sécurité d’approvisionnement en matière gazière). Mais, en même temps que se développent de grandes interconnexions dans une logique de super-grid, les efforts d’investissement au niveau des collectivités conduiront à développer des systèmes locaux, associant des moyens de production et de stockage dans des logiques de smart-grid. Façon de dire que la flexibilité requise pour gérer les nouveaux systèmes électriques dépendra se jouera certes dans les grands réseaux de transport, mais également dans les petits réseaux de distribution.

Le gaz est-il selon vous primordial à la réussite de la transition énergétique et ainsi l’assurance d’un équilibre du système électrique combiné aux renouvelables ?

Oui, le gaz naturel est essentiel pour concourir à la flexibilité et, en cela, cette ressource est évidemment préférable au charbon et au fioul. D’autant que l’Europe détient un potentiel important de biogaz (via la méthanisation, et plus tard, via la méthanation). Cela ne suffira pas à assurer une autonomie totale en gaz dans l’Union mais, par exemple, le potentiel pour la France pourrait représenter jusqu’à 50% de nos besoins en 2050. Ce qui est évidemment loin d’être négligeable en termes énergétiques, et important sans doute en matière économique (notamment pour les emplois et la valeur ajoutée agricoles).

Crédit photo : Institut Delors

 

 

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