manquement devoir vigilance pourrait engager responsabilite civile groupe auteur - Le Monde de l'Energie

« Un manquement au devoir de vigilance pourrait engager la responsabilité civile du groupe auteur »

Dans cet entretien au Monde de l’Énergie, Hassan Ben Hamadi, Avocat associé chez Adlane Avocats, revient sur la décision de la Cour d’Appel de Paris du 18 juin 2024, jugeant recevables des actions intentées par des ONG contre TotalEnergies et EDF au nom du devoir de vigilance des grandes entreprises.

Le Monde de l’Énergie —Quelle est la portée de ces deux décisions concernant TotalEnergies et EDF ?

Hassan Ben Hamadi —Il convient de noter que ces décisions ont surtout un impact procédural à ce stade : il ne s’agit pas de décisions de « fond », jugeant du respect ou non du devoir de vigilance par les sociétés TotalEnergies et EDF, mais de décisions de « procédure », concernant uniquement la recevabilité des actions engagées à leur encontre.

En effet, les décisions du 18 juin 2024, sont des arrêts rendus par suite d’appels interjetés à l’encontre d’ordonnances du juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Paris, qui avait déclaré irrecevables les actions en injonction engagées à l’encontre des sociétés précitées.

Dans ses arrêts, la cour a retenu que la mise en demeure exigée par la loi constituait un préalable prescrit à peine d’irrecevabilité de l’action, et que cette mise en demeure devait identifier de façon claire les manquements reprochés aux sociétés et comporter une interpellation suffisante afin que chaque société puisse le cas échéant se mettre en conformité dans le délai de trois mois prescrit légalement, ce qui a été le cas en l’espèce.

La cour d’appel a ensuite jugé que, si les assignations en justice devaient concerner en substance les mêmes obligations que celles ayant fait l’objet de la mise en demeure, il n’était en revanche pas exigé que l’assignation en justice et la mise en demeure visent le même plan de vigilance en termes de dates.

La juridiction d’appel a par ailleurs reconnu le droit de saisir le juge à toute personne justifiant d’un intérêt à agir, après qu’une mise en demeure a été délivrée, peu important qu’elle ne soit pas l’auteur de la mise en demeure (ou qu’elle n’en soit pas signataire).

S’agissant spécifiquement des actions engagées par les collectivités territoriales, la cour d’appel, rappelant que leur compétence était circonscrite aux territoires qu’elles administrent, a jugé que seule la démonstration d’un intérêt public local et non d’un intérêt public global leur conférerait le droit d’agir. Il en résulte qu’en présence d’une atteinte affectant l’ensemble de la planète, les collectivités territoriales doivent caractériser une atteinte spécifique ou un retentissement particulier du risque sur leur territoire ; la circonstance que leur territoire subit indistinctement les effets néfastes du phénomène ne suffit pas à caractériser leur intérêt à agir.

Dans les affaires concernant les sociétés TotalEnergies et EDF, la cour a ainsi déclaré certains demandeurs recevables à agir, de sorte que, sous réserve d’un éventuel pourvoi en cassation, le débat sur le bien-fondé des mesures sollicitées va pouvoir se tenir devant le tribunal judiciaire de Paris. Ces affaires ne sont donc pas encore terminées.

Le Monde de l’Énergie —Quelles sont les sanctions envisagées pour les groupes français ?

Hassan Ben Hamadi —Nous identifions d’abord une sanction au stade de l’injonction judiciaire. A ce stade, les groupes français subissent effectivement le coût de l’éventuelle astreinte judiciaire qui serait prononcée à leur encontre.

Cette sanction n’est cependant, à notre sens, pas la plus importante, dès lors qu’on pourrait raisonnablement considérer que le groupe ciblé par une action en injonction fondée sur le devoir de vigilance, s’empresserait de se mettre en conformité avant que soit prononcée à son encontre une injonction sous astreinte.

Les sanctions les plus importantes à notre sens sont celles relatives à l’image du groupe, qui se trouverait inévitablement atteinte par la publicité de l’action qui le cible (et qui se trouve en réalité en quelques sortes déjà « condamné » par l’opinion publique, quelle que soit la teneur du manquement commis et avant qu’une juridiction ne se soit prononcée sur la réalité et le bien-fondé, ou non, de ce manquement) et une éventuelle reconnaissance de sa responsabilité pour faute dans le cadre d’une action en responsabilité civile.

Rappelons effectivement qu’un manquement au devoir de vigilance pourrait conduire à engager la responsabilité civile du groupe auteur de ce manquement et qu’il devrait donc verser des dommages et intérêts, en réparation de la faute commise.

Plus précisément, la maison-mère ou donneuse d’ordre pourra engager sa responsabilité lorsqu’un dommage causé par une filiale ou un sous-traitant a été constaté et qu’elle aurait raisonnablement pu éviter celui-ci avec un plan de vigilance effectif, c’est-à-dire comportant des mesures de vigilance raisonnables propres à identifier et prévenir les risques, et effectivement mises en œuvre.

Le Monde de l’Énergie —Quels sont les fondements invoqués par la toute nouvelle chambre de la Cour d’appel de Paris ?

Hassan Ben Hamadi —Le fondement textuel visé par la Cour d’appel dans ses décisions est l’article L.225-102-4 du code de commerce, à savoir la disposition du Code de commerce qui instaure un devoir de vigilance en droit français et qui prévoit en son paragraphe « II », une procédure visant à permettre à toute personne ayant intérêt à agir de saisir le juge compétent, afin qu’il enjoigne, au besoin sous astreinte, à la société de respecter ses obligations légales, dans les termes suivants :

« (…) lorsqu’une société mise en demeure de respecter les obligations prévues au I n’y satisfait pas dans un délai de trois mois à compter de la mise en demeure, la juridiction compétente peut, à la demande de toute personne justifiant d’un intérêt à agir, lui enjoindre, le cas échéant sous astreinte, de les respecter ».

Le Monde de l’Énergie —Quelles sont les entreprises concernées par le devoir de vigilance en France ?

Hassan Ben Hamadi —Sont visées par cette obligation toutes les sociétés qui emploient, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en leur sein et dans leurs filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en leurs sein et dans leurs filiales directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l’étranger. Ces sociétés sont tenues d’établir et de mettre en œuvre de manière effective un plan de vigilance.

Les filiales ou sociétés contrôlées qui dépassent les seuils précités sont réputées satisfaire auxdites obligations dès lors que la société qui les contrôle établit et met en œuvre un plan de vigilance relatif à l’activité de la société et de l’ensemble des filiales ou sociétés qu’elle contrôle.

Le Monde de l’Énergie —Est-ce que la condamnation partielle de la Poste en décembre dernier a accéléré les actions en justice pour manquement au devoir de vigilance ?

Hassan Ben Hamadi —Indéniablement. Les actions en justice pour manquement au devoir de vigilance ont été sérieusement mises en lumière depuis cette décision, et les décisions rendues par la Cour d’appel de Paris le 18 juin 2024, vont participer à les rendre plus « accessibles » pour les personnes susceptibles de les introduire.

Le Monde de l’Énergie —Quel est l’état de la législation à l’échelle européenne ?

Hassan Ben Hamadi —Le 24 avril 2024, le Parlement européen a approuvé la nouvelle directive sur le « devoir de diligence », convenue avec le Conseil de l’UE, qui exige des entreprises et de leurs partenaires en amont et en aval de prévenir, de stopper ou d’atténuer leur impact négatif sur les droits humains et l’environnement, y compris aux niveaux de l’approvisionnement, de la production et de la distribution.

Les règles prévues dans cette directive s’appliqueront aux entreprises et aux sociétés mères européennes employant plus de 1 000 personnes et réalisant un chiffre d’affaires mondial supérieur à 450 millions d’euros, ainsi qu’aux franchises dans l’UE réalisant un chiffre d’affaires mondial supérieur à 80 millions d’euros si au moins 22,5 millions d’euros ont été générés par des redevances.

Elles s’appliqueront également aux entreprises non européennes, aux sociétés mères et aux franchises de pays tiers qui atteignent les mêmes seuils de chiffre d’affaires dans l’UE. Ces entreprises devront intégrer le devoir de vigilance dans leurs politiques, réaliser les investissements nécessaires, obtenir des garanties contractuelles de la part de leurs partenaires, améliorer leur plan de gestion ou apporter leur soutien aux petites et moyennes entreprises partenaires afin de s’assurer qu’elles se conforment aux nouvelles obligations.

Les entreprises devront également adopter un plan de transition pour rendre leur modèle économique compatible avec la limite de 1,5 °C de réchauffement climatique fixée par l’Accord de Paris.

Le régime européen s’inspire de toute évidence fortement des dispositions légales françaises en matière de devoir de vigilance.

Il est également prévu que les États membres fournissent aux entreprises des informations détaillées en ligne sur leurs obligations en matière de devoir de vigilance via des portails pratiques contenant les orientations de la Commission. Ils devront également créer ou désigner une autorité de surveillance chargée d’enquêter et d’imposer des sanctions aux entreprises qui ne respectent pas leurs obligations. Il s’agira notamment de dénoncer ces entreprises et de leur infliger des amendes pouvant aller jusqu’à 5 % de leur chiffre d’affaires net mondial. La Commission mettra en place un réseau européen des autorités de surveillance pour soutenir la coopération et permettre l’échange de bonnes pratiques. Les entreprises seront responsables des dommages causés par le non-respect de leurs obligations en matière de devoir de vigilance et devront indemniser intégralement leurs victimes.

La directive a été publiée au Journal officiel de l’Union Européenne, le 5 juillet 2024. Il est prévu qu’elle entre en vigueur vingt jours plus tard et que les États membres auront deux ans pour la transposer dans leur législation nationale.

Les nouvelles règles (hormis les obligations en matière de communication) s’appliqueront progressivement aux entreprises européennes (et aux entreprises non européennes atteignant les mêmes seuils de chiffre d’affaires dans l’UE) :

  • à partir de 2027 pour les entreprises de plus de 5 000 employés et réalisant un chiffre d’affaires mondial de plus de 1 500 millions d’euros ;
  • à partir de 2028 pour les entreprises de plus de 3 000 employés et réalisant un chiffre d’affaires mondial de plus de 900 millions d’euros ; et
  • à partir de 2029 pour toutes les autres entreprises relevant du champ d’application de la directive (y compris celles de plus de 1 000 salariés et un chiffre d’affaires mondial supérieur à 450 millions d’euros).

 

commentaires

COMMENTAIRES

  • Total, Oui d’un certain point de vue ! (mais il faut rappeler qu’ils alimentent un marché, lui même dépendant de nombreux autres acteurs !!!)

    EDF, Pourquoi !?

    Quid de ENGIE !!! C’est le plus grand marchand de Gaz Fossile au détail en France et en façade un fervent supporter des ENRi – sachant très bien que les ENRi imposeront de grosses quantités de Gaz et une continuation de son utilisation si le Nucléaire est arrêté rapidement !

    Enfin QUID des marques de grosses Bagnoles dont les Allemandes avec leurs grosses Teutonmobiles totalement à contre courant de toute responsabilité environnementale !!! (et celles-là il faut bien les approvisionner en carburant avec en prime que certains de leurs propriétaires n’auraient que foutre d’un prix du carburant nettement plus élevé…)

    Quid de nos pratiques alimentaires et de ceux qui encouragent et font du business sur les pratiques les plus destructrices et émettrices (McDo and Co…) ???

    Quid de Air France et de certaines lignes aériennes aberrantes !?

    Quid des compagnies Low-Cost aériennes !?

    Nota : Si Total arrête d’approvisionner la France pendant plus de 90 jours en pétrole, il y aurait des millions de morts rapidement passé ce délai si on ne change pas nos vies actuelles (Faut-il le pouvoir réellement du reste !).
    Par contre si on interdit les grosses bagnoles neuves et des prix dérisoires pour les billets d’avion ainsi que certaines lignes aériennes, l’impact dans 90 jours et après serait négligeable…Idem pour la malbouffe à la Mc Do … Etc… Etc… et tant d’autres mesures de « bon sens » !
    Et pour le coup les émissions diminueraient, et Total importerait moins de pétrole en France mais avec une réduction régulière, anticipable et sans désordre massif…

    Ce sont nos modes de vie « moyens » qui émettent, pas Total qui ne fournit qu’un bien avec des contreparties polluantes mais aussi des usages aberrants (pas du fait de Total d’ailleurs…)

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