Les mesures climatiques de l’Union européenne sont « une opportunité qu’il faut transformer »
Le Monde de l’Energie ouvre ses colonnes à Hélène Gelas, avocate associée au cabinet Jeantet, spécialisée dans l’installation d’énergies renouvelables, pour obtenir son éclairage sur les quatre projets du Green Deal de l’Union européenne adoptés fin avril 2023.
Le Monde de l’Énergie —Fin avril 2023, l’Union européenne a adopté quatre projets-clés du Green Deal européen. Le premier est l’adoption d’une taxe carbone aux frontières : quels seront ces principes, et comment doit-elle aider l’Union européenne à décarboner son économie ?
Hélène Gelas —Effectivement, le 25 avril 2023, le Conseil a adopté différents actes législatifs mettant une nouvelle pierre à l’édifice du parquet « Fit for 55 ». l’un d’entre eux est un règlement établissant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, communément appelé une taxe carbone.
Ce mécanisme concerne les importations de produits dans certaines industries à forte intensité carbone. Mis en place progressivement, d’un mécanisme de déclaration des émissions de carbone des produits importés sans payer les émissions jusqu’à fin 2025, il procèdera à la suppression de différents quotas gratuits selon les secteurs couverts par le mécanisme entre 2026 et 2034.
Il doit pousser l’Union européenne à décarboner l’industrie en rééquilibrant la concurrence entre les industriels européens et les régimes applicables hors de l’Europe. Il a donc fallu trouver une voie tout en demeurant compatible avec les principes de l’Organisation Mondiale du Commerce. Cela doit aboutir à éviter que des produits importés soient plus compétitifs que les produits européens en raison de distorsions de standards applicables entre l’Union européenne et le reste du monde. Les standards environnementaux peuvent demeurer différents dans le reste du monde mais un rééquilibrage sera opéré aux frontières européennes à travers le paiement des émissions de carbone.
Le Monde de l’Énergie —Le second projet est une révision du marché carbone de l’UE (ETS). Quels secteurs seront particulièrement concernés par ces transformations ?
Hélène Gelas —C’est principalement le secteur aérien qui va être touché par l’extension de l’ETS. Le secteur du transport maritime verra aussi une introduction progressive d’obligations de restitution de quotas. Là encore, un mécanisme transitoire est prévu, jusqu’à 2027.
Ce sont ensuite les incinérateurs qui seront concernés, entre 2028 et 2030.
On voit que petit à petit, on commence à atteindre les secteurs, parmi les plus émetteurs, mais parmi les plus difficiles à transformer. C’est nécessaire, même si cela peut paraître lent et que des dérogations sont possibles à plus ou moins court terme. C’est un élément important, en tout cas, de la décarbonation de l’industrie.
Le Monde de l’Énergie —L’Union européenne a également adopté le principe d’un second marché du carbone pour les émissions des transports routiers et des bâtiments (ETS2). Quels différences avec le marché principal, et quel impact aura-t-il sur les particuliers ?
Hélène Gelas —Le second marché ETS II sera établi à partir de 2027, en principe parce qu’il est possible de le repousser à 2028 en fonction du contexte économique. Il prévoit surtout un prix plafond de la tonne de carbone jusqu’en 2030. Le sujet de ce second marché est qu’il touchera plus directement les ménages et donc les citoyens avec des éventuelles hausses du prix de l’essence ou encore du chauffage. C’est la problématique de la lutte contre le réchauffement climatique confrontée à un contexte social particulier et compliqué par la crise économique. Mais cette crise est surtout climatique. Il faut donc poursuivre les efforts tout en les adaptant aux plus modestes, comme est sensé le faire le fonds social pour le climat dans un équilibre délicat mais nécessaire.
Le Monde de l’Énergie —Le quatrième projet est le « fond social pour le climat » : vous semble-t-il à la hauteur de la nécessité de concilier justice sociale et transition énergétique ?
Hélène Gelas —Le problème des fonds de ce type est évidemment le degré d’ambition. Il ne doit pas y avoir un simple effet d’annonce, il faut être à la hauteur des enjeux et cette conciliation en est un essentiel puisqu’il est un élément clé dans l’acceptabilité locale.
Il ne faut pas anticiper l’inutilité mais plutôt donner sa chance et soutenir le projet. La mise en œuvre ne sera pas simple, puisqu’elle passera nécessairement par les Etats qui doivent soumettre un plan social pour le climat avec des mesures à financer. Par ailleurs, le fonds ne devrait intervenir que pour partie et donc il restera à financer la part restante de la mesure portée. Il reste, enfin, un enjeu de définition, au plan européen et au plan national, par exemple de ce qu’est la précarité, les citoyens ou ménages vulnérables.
Le Monde de l’Énergie —Le paquet législatif acte également la fin des quotas d’émissions gratuit pour plusieurs secteurs : comment les entreprises concernées vont-elles réagir à cette nouvelle donne ?
Hélène Gelas —Ce n’est pas une surprise pour les entreprises concernées qui se sont déjà préparées aux échéances à venir. Il y a, de plus, des phases transitoires. Le contexte actuel est, en toute hypothèse, plutôt favorable aux relocalisations. La réindustrialisation, par exemple en France, est le sujet central des prochaines semaines avec notamment le projet de loi Industrie verte. Ces actes législatifs sont une opportunité qu’il faut transformer, le changement climatique et la crise actuelle ne laissent pas d’autre choix.