Vers la neutralité carbone : quelle stratégie énergétique pour la France ?
Après la déclaration de politique générale d’Edouard Philippe à l’Assemblée nationale le 4 juillet, au cours de laquelle il avait annoncé des mesures pour soutenir la « transition écologique », Nicolas Hulot, a présenté, le 6 juillet, le « Plan Climat » du gouvernement. Celui-ci a pour objectif « d’accélérer la lutte contre le changement climatique en France et à l’international… il fixe un nouveau cap pour tous, celui de la neutralité carbone à l’horizon 2050 ».
Cet objectif est très ambitieux car il va au-delà de l’engagement de la France de diviser par un facteur 4 ses émissions de CO2 d’ici 2050 et des engagements de la COP 21. Si ce plan ne définit pas une politique énergétique, il n’en fixe pas moins un objectif majeur : en finir avec les énergies fossiles. Une nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie sera publiée d’ici la fin 2018 afin de définir une nouvelle stratégie bas-carbone. Huit de ses axes concernent directement l’énergie, nous nous contenterons de les résumer.
« Décarboner » la production d’énergie…
en particulier en arrêtant les 4 dernières centrales au charbon d’ici 2022. La France procédera à une augmentation accélérée du prix du carbone et soutiendra la révision du mécanisme européen d’échange de quotas de CO2. Elle amorcera sa sortie progressive de la production d’hydrocarbures sur le territoire français, effective à l’horizon 2040, et elle n’attribuera plus de permis d’exploration d’hydrocarbures.
Ce plan propose le développement de la mobilité électrique: « Nous visons la fin de la vente des voitures à essence et diesel d’ici 2040 » avait déclaré le ministre.
Cet objectif ne peut être atteint qu’en remplaçant les véhicules à moteur thermique par des véhicules totalement électriques (les voitures hybrides semblant exclues dès lors que l’on ne vendrait plus de moteurs thermiques). Un objectif ambitieux (la Ville de Paris envisage d’interdire les voitures à essence en 2030). La mobilité propre sera accessible à tous par une prime à la transition pour aider les ménages aux revenus modestes à acquérir des véhicules moins polluants.
Enfin la rénovation thermique des logements et des bâtiments sera une priorité nationale qui bénéficiera de moyens importants, l’élimination de la précarité énergétique des ménages (un foyer sur cinq en France) devant être réalisée en dix ans. Une réflexion sur les métiers de l’énergie sera lancée.
Comment passer aux travaux pratiques ?
C’est la question à laquelle est censé répondre le rapport sur le « Grand Plan d’Investissement 2008-2022 » remis au Premier ministre, fin septembre, par Jean Pisani-Ferry (ancien Commissaire général de France –Stratégie).
Le plan qu’il propose, 57,1 milliards d’euros d’investissements, a été approuvé par le gouvernement. Il poursuit, en quelque sorte, la logique de relance des investissements pour préparer l’avenir mise en oeuvre depuis quelques années avec le « Grand emprunt » puis reprise par le Commissariat général aux investissements.
L’un des quatre défis que veut relever ce plan est celui de la « transition écologique » et, de fait, la transition énergétique, pour laquelle il mobilisera 20,1 milliards d’euros de crédits via différents mécanismes et dont l’impact devra être durable. Le rapport Pisani-Ferry constate qu’un retard a été pris dans « le virage vers une économie décarbonée » et il reprend trois objectifs du Plan climat : la neutralité carbone en 2050 – l’élimination des « passoirs énergétiques » dans les logements en 10 ans – la rénovation thermique de l’ensemble des bâtiments publics d’ici 2040.
Les objectifs et les mesures proposés
La rénovation thermique des bâtiments et des logements est un cheval de bataille du Plan (20% des émissions de gaz à effet de serre, avec 30 millions de logements en France), 9 milliards d’euros lui seront consacrés, dont 6,7 milliards pour les logements en aidant notamment les ménages à faibles revenus afin d’éliminer en dix ans leur précarité énergétique (la Caisse des dépôts et Consignations sera mobilisée ainsi que l’Agence nationale de l’habitat, l’actuel crédit d’impôt pour la transition énergétique sera transformé en subvention).
Les transports dits durables seront dotés d’une enveloppe de 4,1 milliards d’euros : – prime de conversion pour aider les ménages modestes à échanger un véhicule polluant contre un véhicule propre (10 millions de véhicules polluants, il faudrait accompagner la transition de 100 000 véhicules par an) – renouvellement du réseau routier et ferroviaire – nouvelles formes de mobilité.
Sept milliards d’euros seront consacrés à la transformation des usages de l’énergie et au développement de la ville de demain, dont 4,9 à l’augmentation de la production d’énergies renouvelables (70% sur sa durée).
Il s’agirait notamment de construire trois parcs éolien off-shore et près de 10 000 mâts d’éoliennes en plus que prévu dans la loi.
On notera que le Plan prévoit de « catalyser » la recherche de pointe sur les mobilités de demain à hauteur de 0,1 milliard d’euros (action modeste mais les catalyseurs fonctionnent souvent à dose homéopathique…) et de soutenir les projets très innovants dans la transition énergétique à hauteur de 0,7 milliard d’euros via les investissements d’avenir.
Observons, toutefois, que si l’électromobilité, les véhicules électriques, est bien prise en compte, elle est le parent pauvre du Plan qui ne reprend d’ailleurs pas l’objectif d’interdire la vente des véhicules à moteur thermique en 2040.
Le Plan souligne, enfin, que deux réformes devraient être lancées : le relèvement de la fiscalité carbone et le rattrapage de celle sur le diesel, le doublement de l’effort sur la recherche sur la transition énergétique (un engagement de la France et d’autres pays à l’occasion de la COP 21).
Une avancée sur la voie de la transition énergétique
On doit faire un premier constat : les Plans climat et pour l’investissement représentent une réelle avancée sur la voie de la transition énergétique avec des mesures concrètes (la rénovation thermique avec une ingénierie financière par exemple), ils confortent la loi de 2015 et les engagements de la France sur le climat.
Cela étant, on doit s’interroger sur la possibilité de « forcer la vapeur » sur la voie de la transition énergétique et de la neutralité carbone en 2050, c’est-à-dire d’éliminer les émissions nettes de CO2 par les systèmes énergétiques.
Le rapport Pisani-Ferry constate d’ailleurs des retards sur le développement des énergies renouvelables (l’objectif fixé en 2015 d’un mix énergétique avec 32% d’énergies renouvelables en 2030 et une électricité produite à 40% par des filières renouvelables alors qu’en 2016 cette proportion n’était que de 18%).
Détail, partiellement anecdotique, l’Assemblée nationale a voté, le 5 octobre, le projet de loi interdisant l’exploitation d’hydrocarbures sur le territoire national à partir de 2040 et d’accorder des permis d’exploration sur le territoire national (la production de pétrole ne couvre qu’à peine 1% des besoins) .
Cette mesure interdirait la possibilité d’exploration des zones off-shore dans la ZEE française où des découvertes ne sont pas à exclure, par exemple dans le canal du Mozambique au large des Iles Eparses (la concession attribuée à Total pour la Guyane a été renouvelée…).
Politique de Gribouille
C’est une politique de Gribouille car la France continuera à importer du gaz, dont elle aura encore besoin pendant une période transitoire, du Moyen-Orient et d’ailleurs, ainsi que du pétrole pour les voitures hybrides et l’industrie chimique (par exemple pour fabriquer des matériaux composites allégeant les structures des avions et économisant de l’énergie…).
Faire ce constat n’est pas céder aux sirène de notre forte addiction aux hydrocarbures, mais c’est tenir compte de la réalité économique et technique et de la nécessité de procéder par étapes. Constatons également que bien que la France soit un pays agricole, ni le Plan climat ni le Plan d’investissement ne font allusion aux possibilités des biocarburants de deuxième et de troisième générations (aidés il est vrai par les programmes d’investissement d’avenir).
Le rapport Pisani-Ferry souligne dans son introduction que « la transition écologique impose un changement de modèle de développement » et qu’elle est aussi un « défi social » (ce que montre l’Histoire de l’énergie). Nous avons souligné à maintes reprises dans notre blog, qu’une telle transition se prépare par un effort de formation et de recherche.
La recherche sur l’énergie n’est pas une priorité des plans même si la France s’est engagée à doubler son effort de R&D public pour la transition énergétique (« ancrer la compétitivité sur l’innovation » est, il est vrai un autre défi du plan d’investissement qui prévoit des moyens pour soutenir la recherche et l’innovation).
Les verrous à faire sauter
Force est de constater qu’ils ne font pas référence aux verrous techniques qu’il faut faire sauter pour promouvoir les énergies renouvelables et la mobilité électrique. L’amélioration des performances des batteries n’étant pas le moindre.
La transition énergétique requiert une stratégie de recherche avec des priorités mais aussi des moyens pour « ratisser large », c’est-à-dire explorer des voies prometteuses à long terme, de ce point de vue la « Stratégie nationale de la recherche énergétique » adoptée en décembre 2016 est un document très général sans véritables priorités.
Dans un récent rapport, le Conseil économique, social et environnemental plaide pour un meilleur dialogue entre les scientifiques et la société sur tous les enjeux du changement climatique et qui intègre les questions de recherche.
Cette transition suppose aussi une politique industrielle globale intégrant à la fois les impératifs de la production d’énergie (notamment l’électricité avec les filières renouvelables et le nucléaire dont il n’est pas question dans le Plan climat) mais aussi les industries du transport (l’automobile notamment).
Les objectifs du gouvernement seront, probablement, difficiles à atteindre à l’horizon 2040 alors que le Plan climat appellerait la mise en oeuvre d’un véritable « Plan bas-carbone » prévoyant des étapes jusqu’à l’objectif de la neutralité carbone. Le volontarisme politique est certes nécessaire, et bienvenu, pour assurer la transition énergétique mais il ne suffit pas car on ne peut se passer de la technique et d’un effort d’éducation. Il est indispensable de faire des choix mais, comme Cervantès le faisait dire à Don Quichotte, il faut aussi savoir « donner du temps au temps »….