Nucléaire à 50% en 2025 : « une mauvaise idée pour la transition énergétique »
Pour Michel Cranga, ex ingénieur-physicien au CEA puis à l’IRSN, la réduction du nucléaire à 50% de la production électrique totale en 2025 est un slogan vendeur mais une mauvaise idée pour réussir la transition énergétique.
Des candidats à la présidentielle proposent de réduire la part du nucléaire à 50% d’ici 2025. Pour Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon et Emmanuel Macron (s’il le confirme), la faisabilité de la réduction du nucléaire à 50% semble acquise : en effet on remplace la part du nucléaire supprimée par un accroissement des capacités de production électrique de type renouvelable, éolien, solaire photovoltaïque et biomasse plus un peu d’économies d’énergie et le tour est joué. Mais est-ce si simple ?
Quelles données prendre en compte?
Par souci de simplification, la production actuelle d’électricité issue d’énergie carbonée émettrice de CO2 (gaz, fuel, charbon) n’est pas prise en compte car elle devrait être éliminée en priorité dans les prochaines années. Le déficit de production correspondant aux énergies carbonées, entre 3 et 8% suivant les années, est supposé compensé d’ici 2025 par des économies d’énergie de 5 à 10% pour les usages courants. La situation actuelle des niveaux approximatifs de productions électriques en France est résumée ici :
Répartition production électrique par source d’énergie
Pour évaluer la production totale nécessaire à l’horizon 2025, on ajoute la consommation électrique correspondant à un parc de véhicules électriques représentant 10% du parc de véhicules thermiques actuels consommant 570 Twh. En raison du rendement double des moteurs électriques, cela conduit à ajouter 28Twh et l’on parvient à une production totale visée en 2025 de 546 Twh.
Quelles conséquences en cas de réduction du nucléaire à 50% ?
La réduction du nucléaire, de 75% à 50% de la production totale, revient à diminuer d’un tiers la production nucléaire et donc l’abaisser à un niveau de production de 416×2/3= 277Twh. Evidemment la question est de compenser le manque de production du nucléaire par les énergies renouvelables, essentiellement l’éolien et le photovoltaïque car la contribution de la biomasse restera faible. Mais est-ce possible d’ici 2025 sachant que ces énergies demandent des investissements lourds et coûteux et sont intermittentes alors que le stockage à grande échelle n’est pas au point ?
L’intermittence de l’éolien et du photovoltaïque est pris en compte en supposant que 20% de l’énergie est, en cas de pic de production, soit perdue, soit exportée et 10% perdu dans le stockage de batteries, conduisant à un facteur de disponibilité d’environ 70%. Le facteur de disponibilité est maintenu à 100% pour la production actuelle en admettant que celle-ci reste suffisamment faible pour être utilisée sans pertes. Cette évaluation certes approchée est probablement trop optimiste. Nous la conservons pour ne pas être taxé de dénigrement vis-à-vis des ENR, ce qui irait à l’encontre de l’objectif de cet article. La limite de cette approche est de ne pas prendre en compte la nécessité de répondre à tout instant en puissance à la demande, ce qui risque d’accroître encore plus le risque de recourir aux énergies carbonées dans les périodes de chute drastique de la production électrique éolienne ou photovoltaïque, tant que les techniques de stockage resteront insuffisantes.
Cas des propositions Macron
Les accroissements prévus de productions électrique éolienne et photovoltaïque correspondent à peu près à ceux de la loi pluriannuelle de programmation énergétique (PPE) de 2016. Les productions annuelles de l’éolien et du photovoltaïque atteindront en 2025 environ respectivement 60 Twh et 20 Twh, correspondant à un rythme d’accroissement de capacité de 5Twh/an chaque année et à un accroissement global de 48 Twh/an. Il apparaît alors de façon évidente que les ENR ne pourront combler le déficit et qu’il faudra produire de l’électricité avec des énergies fossiles, la moins pire sur le plan écologique étant le gaz. Les résultats sont indiqués dans le tableau suivant :
Répartition production électrique par source d’énergie dans le scénario type ‘Macron’
La fraction d’ENR électriques représente 25% du total et la fraction d’énergie carbonée produite par les centrales thermiques à gaz atteint également la même valeur, ce qui est pour le moins décevant sur le plan de la transition énergétique : il s’agit même d’un retour en arrière avec un accroissement d’émissions de CO2 d’environ 0.91 t/habitant et par an, soit 20% de plus que les émissions actuelles de CO2 dues aux secteurs de l’énergie (production électrique, résidentiel, transport)
Cas des propositions Hamon
Les accroissements de production d’ENR sont évalués approximativement à partir du programme de Hamon mentionnant le passage à 50 % d’ENR dans la production électrique. Nous arrondissons cet objectif à 50% d’une production totale de 500Twh soit 250 Twh d’ENR électriques (pertes incluses), soit un accroissement de 148Twh.
Répartition production électrique par source d’énergie dans le scénario type ‘Hamon’
L’accroissement de production d’électricité ENR est considérable, de l’ordre de 16Twh/an chaque année pendant 9ans, soit 3 fois plus rapide que dans le programme Macron. Malgré cela, la fraction d’énergie carbonée en raison des centrales thermiques à gaz nécessaires est encore d’environ 12% du total et conduit à accroitre les émissions de CO2 d’environ 0.3t/hab./an.
Quelle alternative ?
Il s’agit bien sûr dans le cadre de la transition énergétique d’accroître la part des énergies renouvelables dans la production électrique. Un objectif incontournable est aussi de minimiser les émissions de CO2 y compris durant cette transition énergétique. Pour y parvenir il n’y a que 2 alternatives :
- Scénario 1 :revoir à la baisse la réduction du nucléaire tout en assurant un niveau de sûreté suffisant et prévoir des investissements accrus dans les ENR électriques pour éviter quasiment tout usage d’énergie fossile carbonée dans la production électrique.
- Scénario 2 : accroitre les investissements dans les ENR électriques à un niveau encore plus élevé en maintenant la réduction du nucléaire à environ 50% de la production électrique totale.
Dans le cadre du scénario 1 (cf. tableau suivant), on suppose une réduction du nucléaire de seulement environ 10% (environ 6 réacteurs) correspondant aux 6 réacteurs, parmi les 27 réacteurs à prolonger d’ici 2025, qui ne pourraient être prolongés pour des raisons de sûreté ou seraient le moins susceptibles de l’être. Ceci conduit à une réduction de la production nucléaire à 374 Twh. Pour compenser la baisse du nucléaire de 42 Twh et alimenter les 10% de véhicules électriques(28Twh) sans recours aux énergies fossiles carbonées il faut accroitre la production effective d’électricité d’ENR de 70 Twh, soit au total 100Twh en prenant en compte le facteur de disponibilité à 70%. L’accroissement de production d’électricité d’ENR est double de celui du programme Macron, soit environ 11 Twh/an chaque année, mais nettement inférieur à celui du programme Hamon. Les émissions de CO2 ne sont pas accrues mais au contraire légèrement réduites de 0.18t/hab./an en raison du passage à 10% de véhicules électriques.
Répartition production électrique par source d’énergie dans le scénario alternatif 1
Dans le cadre du scénario 2 (cf. tableau suivant), on doit augmenter la production d’électricité ENR à 238 Twh (167 Twh effectifs en tenant compte du facteur de disponibilité de 70%), soit 26 Twh/an chaque année, 5 fois le rythme prévu par le programme Macron ou la PPE de 2016, ce qui est totalement irréaliste.
Répartition production électrique par source d’énergie dans le scénario alternatif 2
Chiffrage des propositions des candidats et des solutions alternatives
On a supposé un mix d’accroissement d’électricité renouvelable de 75% en éolien et 25% en photovoltaïque. Il serait souhaitable d’inverser les proportions pour limiter la densité de parcs éoliens terrestres et de privilégier les parcs de panneaux photovoltaïques (PV) et l’équipement en PV des toitures. Cependant le coût d’installation d’1 Twh d’éolien étant nettement moins cher encore actuellement en raison du nombre d’heures de fonctionnement d’environ 2000 h pour l’éolien comparé à environ 1100h pour le photovoltaïque en France, le coût de l’éolien est retenu pour miniser les coûts. Ces hypothèses nous conduisent à un coût d’investissement pour des installations produisant 1 Twh d’environ 0.88 milliards d’Euros (1500 Euros par unité de kW installé). Les importations de gaz supplémentaires nécessaires ont été évaluées sur la base de 5 centimes de gaz par kwh produit en centrale thermique pendant 8ans en admettant un accroissement régulier des importations d’ici 2025.
Environ 27 réacteurs devraient être prolongés d’ici 2025 car ils atteindront la durée de vie admise de 40 ans. La prolongation de seulement 8 réacteurs est nécessaire d’ici 2025 si le nucléaire est réduit d’un tiers, soit 19 réacteurs, et la prolongation de 21 réacteurs est nécessaire d’ici 2025 si le parc est réduit de seulement 10% (6 réacteurs) dans le cadre du scénario alternatif 1. Le coût de prolongation par réacteur est d’environ 1.7 milliards d’euros.
Comparaison des coûts en milliards d‘Euros entre les différents scenarii Macron, Hamon, alternatives 1 et 2 d’ici 2025
A la lecture du tableau ci-dessus, il apparaît clairement que le scénario Macron est le moins coûteux mais au détriment de l’environnement (accroissement d’émissions de CO2 notable) et de l’avenir car le rythme lent d’investissement dans les ENR exigera d’accélérer au-delà de 2025 pour rattraper le retard en termes de capacité de production d’électricité renouvelable, ce qui n’est pas acquis. En effet, le déficit de production électrique dû à la décroissance trop rapide du nucléaire ne pourra être compensé par l’accroissement du renouvelable pendant très longtemps au-delà de 2025 et ceci induira des coûts d’importations avoisinant la centaine de milliards d’Euros.
Le scénario Hamon est quasiment 2 fois plus cher que celui de son concurrent mais avec un accroissement conséquent de la capacité de production électrique renouvelable et une faible augmentation des émissions de CO2. Cependant en raison du ratio élevé énergies renouvelables intermittentes sur énergies pilotables, ce scénario présente un risque de déficit d’électricité ponctuel mais important, notamment l’hiver, qui ne pourra être comblé que par l’utilisation d’énergie fossile carbonée.
Le scénario alternatif 1, qui nous semble a priori le meilleur, a un coût intermédiaire tout en permettant d’accroitre notablement la capacité de production d’électricité renouvelable tout en assurant une légère réduction des émissions de CO2.
Le scénario alternatif 2 est le plus vertueux sur le plan du développement des énergies renouvelables mais a un coût prohibitif et exige un rythme démentiel d’équipement en capacités de production d’électricité renouvelable irréalisable dans les prochaines années.
Il apparaît donc clairement que la réduction du nucléaire à 50% de la production électrique totale d’ici 2025 sera très difficile à réaliser sans importations massives de gaz, ou pire de pétrole voire charbon. A l’opposé, un mix avec d’une part une légère décroissance du nucléaire, consistant à arrêter les seuls réacteurs qui doivent l’être pour des raisons de sûreté, et d’autre part une montée en puissance des énergies renouvelables productrices d’électricité, éolien mais encore plus solaire photovoltaïque, car de moindre impact sur les paysages, à un rythme environ double du rythme proposé dans la loi pluriannuelle de programmation énergétique PPE, serait de loin préférable sur les plans économique et écologique.
Crédit photo : @edf Valéry Joncheray
COMMENTAIRES
Euh … c’est un sujet trop complexe pour être traité sérieusement avec des calculs de coin de table bourrés d’approximations.
Toutes vos hypothèses sont éminemment discutables et, surtout, les simplifications outrancières que vous êtes amené à faire faussent complètement le résultat.
Il faut plus qu’une page pour calculer soi-même la différence de coût entre les ENR et le nucléaire.
D’autres l’ont fait beaucoup plus sérieusement, et si on combine les travaux de la cour des comptes sur le nucléaire « rénové », ceux de l’Ademe sur le coût de l’intermittence, et si on se base sur les résultats d’appels d’offre pour déterminer les coûts bruts de production ENR, alors on s’aperçoit que le coût du remplacement progressif du nucléaire par l’éolien et le solaire est la solution la moins chère, de loin. Il faut aussi lire les rapports des grandes banques d’investissement internationales pour qui PV et éolien sont désormais deux fois moins cher que le nucléaire nouveau.
D’ici 15 ans les coûts de l’éolien et du PV auront encore baissé drastiquement et plus personne n’installera plus aucune centrale nucléaire. Je conçois que cela puisse être difficile pour qui a passé sa vie dans l’industrie nucléaire mais c’est comme ça.
vous me lisez de travers si vous en déduisez que je défends le nucléaire au détriment des ENR : ce n’est pas mon propos ; je défends les investissements massifs dans les ENR électriques ou pas mais je suis réaliste et physicien, donc je suis persuadé que vu les coûts des investissements massifs à faire dans les ENR électriques et les problèmes d’intermittence et donc de stockage non encore résolus, il faudra du temps; par conséquent la meilleurs chose à faire dans la période de transition est de décroître très lentement le nucléaire en respectant les impératifs de sûreté pour se donner le temps de progresser sur le stockage à toutes échelles (de la batterie, supercondensateurs, volants d’inertie aux STEP et surtout powertogas). Par ailleurs et c’était l’objet essentiel de mon article, il me paraît nécessaire d’éviter les importations massives de gaz, pétrole, charbon pour alimenter les centrales thermiques qui pallieront au manque de production si le nucléaire décroît trop vite et bien sûr d’éviter le surplus d’émissions de GES
hypothèses simplificatrices: oui mais vu la complexité des questions énergétiques et l’évolution rapide des coûts, rien de sert de donner des chiffrages très précis ; il faut respecter les ordres de grandeur et identifier les points clés pour obtenir des tendances correctes
J’ai pris en compte le chiffrage de la cour des comptes pour évaluer le coût de la prolongation des réacteurs ; donc il n’a rien de fantaisiste
Différence de coût entre nucléaire et ENR: je suis d’accord que les coûts de production se rapprochent et ceux des ENR passeront assez vite au-dessous du nucléaire, mais si l’on prend en compte l’intermittence, qui nécessite de surdimensionner les capacités de production et les infrastructures de stockage (stations service d’alimentation en électricité,STEP et surtout unités de conversion électricité =>gaz, stockage gaz à grande échelle et centrales thermiques performantes) les investissements nécessaires sont énormes et se chiffrent en plusieurs milliers de milliards d’Euros pour atteindre le « tout ENR » (transports inclus). L’hypothèse de coût du kW installé à environ 1500 Euros me paraît raisonnable car elle conduit à un coût de production (mais sans inclure les coûts de l’intermittence et du stockage) du kwh photovoltaîque d’environ 6c et du kwh éolien de 4c: cette hypothèse ne pénalise pas vraiment les ENR!
Vous citez le travail de l’Ademe, qui me paraît de piètre qualité: l’Ademe s’est limitée au mix électrique alors que l’électricité ne représente qu’à peine 30% de notre consommation énergétique.Or le passage au renouvelable dans les transports nécessitera de passer à des véhicules électriques pour la quasi-totalité des usages: ce n’est pas abordé par le rapport de l’Ademe ; l’Ademe n’évalue pas sérieusement les difficultés du stockage d’électricité et sous-estime très largement les investissements nécessaires ; l’Ademe propose une production en éolien gigantesque qui nécessite de transformer la France en forêt d’éoliennes alors que l’implantation d’éoliennes en mer le long du littoral est quais-ignorée et le potentiel photovoltaïque, notamment sur les toitures, est grossièrement sous-estimé d’un facteur 10 environ; cette agence nationale payée par nos impôts fait preuve d’amateurisme et de manque de sérieux; cela me paraît scandaleux ; après cela vous pouvez me reprocher d’avoir un chiffrage approximatif mais qui a le mérite de la pertinence physique et du réalisme
Intéressant, ce genre de calculs d’ordres de grandeur. Du bon travail d’ingénieur tel qu’on les aime.
Mais on bute toujours sur le problème de l’intermittence des renouvelables … intermittents, justement, éolien et, pire solaire.
Taux de charge de 25% pour les éoliennes en terre, moins de 40% en mer, 15% pour le solaire.
Et le pari fait est qu’on trouvera des solutions écologiques, de bon rendement, de l’électricité.
Ce qui, comme le reconnaît l’ADEME, est un sacré pari sur l’avenir.
Si on se refuse à un pari sur l’avenir pour le stockage de l’électricité, restent le nucléaire de quatrième génération, surgénérateur, et l’hydraulique.
ET C’EST TOUT.
Ce qui donne le plan suivant :
– Lancer un plan de construction de 40 réacteurs pour commencer, et aussi tôt que possible en surgénérateurs.
– Lancer un plan de pack « centrales à gaz plus éoliennes » en parallèle, car nous n’aurons pas le temps pour installer suffisamment de centrales nucléaires pour renouveler notre parc et suivre la croissance prévisible de notre consommation.
– Et, lorsque les éoliennes viendront en fin de vie, ne plus les renouveler au fur et à mesure de la disponibilité des nouvelles centrales nucléaires.
Pour le solaire, inutile dans ce projet, vu le faible taux de charge.
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