Nucléaire : le rose et le noir (Tribune)
Tribune de Bertrand Barré
Les perspectives de l’énergie nucléaire varient beaucoup de pays à pays. Le noir concerne surtout l’Europe de l’Ouest. Noir de charbon pour l’Allemagne, gris très foncé pour la Belgique, la Suisse et l’Espagne qui n’ont ni construction ni projet, et gris un peu moins sombre pour la Suède et la France.
Chez nous, le gouvernement n’a pas le courage de modifier ou d’abolir la désastreuse loi de Transition Énergétique de 2015.
Comme on le voit ci-dessous, à cause de l’intermittence du solaire et de l’éolien, l’abandon partiel du nucléaire ne pourra être compensé que par le gaz importé et émetteur de gaz à effet de serre.
La réalité en face
Cette loi vient d’être traduite dans la PPE, Programmation Pluriannuelle de l’Énergie dont je reproduis ci-dessous la critique par mon ancien collège Jean Yves Guézennec.
“Il faut quand même voir la réalité en face. On peut sérieusement douter que la politique qui va découler de la PPE conduise à redresser la situation côté émissions de CO2 (et de maîtrise des coûts).
– Poursuite de l’éolien terrestre (objectif multiplication par 3) et du photovoltaïque (multiplication par 5 soutenue par EDF qui prévoit 30 milliards d’investissement).
121 milliards de gâchis. Et côté éolien offshore carambouille pour faire diminuer les coûts apparents.
– Poursuite de l’objectif du 50 % de nucléaire (orientation répétée du président), valeur issue d’une profonde réflexion de F. Hollande en 2011 pour faire comme les Allemands qui passeront de 25 à 0 et nous de 75 à 50.
– Aucune certitude pour la construction d’un EPR nouveau modèle en France… On verra plus tard. Alors que pour l’éolien terrestre et offshore, le photovoltaïque, c’est du sûr.
– Abandon d’Astrid qui a une signification gravissime d’abandon à terme de la fission. Pour soutien à l’avenir lointain du nucléaire, nous n’aurons plus que le financement de la fusion…
– Ineptie de l’arrêt de Fessenheim alors que les moyens décarbonés pilotables vont s’écrouler en Europe ouvrant la voie au gaz russe ou américain et qui n’est qu’une piètre solution pour diminuer les émissions de CO2. 10 milliards de gâchis. On pourrait réclamer au moins la mise sous cocon.
– Le rôle détestable que joue l’ADEME
– La CSPE qui continue une taxe sur une énergie décarbonée… »
La France en gris clair
Si je laisse la France en gris clair, c’est que nous avons un gros réacteur en construction et que le Président de la République a évoqué publiquement la possibilité de nouvelles constructions pour lisser les arrêts futurs.
Pour compléter le gris, il faudrait ajouter Taiwan et la Corée du Sud.
Mais dans le reste du monde, le rose domine : la Chine et la Russie ont des programmes domestiques très importants et se concurrencent activement à l’exportation. Elles ont aussi d’importants programmes Recherche et Développement.
L’Inde également affiche des ambitions très sérieuses.
D’ailleurs, le rose colore fortement l’Asie : Pakistan, Bangladesh, Vietnam, Turquie et j’en passe. Même l’Europe a ses tâches roses : Royaume Uni, Finlande, Hongrie et même Pologne.
Plus récemment, c’est au tour du Moyen Orient et, progressivement, de l’Afrique de s’intéresser au nucléaire. Je ne sais pas trop quelle couleur attribuer aux États-Unis…
Ce contraste noir-rose se retrouve dans les projections de l’Agence Internationale de l’énergie (World Energy Outlook de fin 2018) et de British Petroleum (Outlook 2019).
On y voit qu’en 2040 le nucléaire devrait tenir une place analogue à celle d’aujourd’hui. Wait and see…
COMMENTAIRES
Cher Bertrand, tu vas nous manquer, ainsi que ton talent et ta simplicité pour mieux faire connaitre cette couleur rose du nucléaire bien plus réelle que la grisaille de la désinformation que tu as toujours combattue.
Jean-Luc Salanave