« Le nucléaire est l’une des industries les plus sûres, justement parce qu’il y a un danger potentiel »
La commission d’enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires a rendu public son rapport le 5 juillet.
Eclairage de Francis Roy, PDG de SureDyna et expert en sûreté nucléaire en France et à l’international.
Le recours à la sous-traitance est aujourd’hui généralisé dans les installations nucléaires françaises. Le secrétaire général de FO Pascal Pavageau a qualifié « de connerie monumentale » cette sous-traitance, en soulignant le « risque gigantesque » en matière de sécurité. Quel est votre sentiment sur cette question ? Les sous-traitants sont-ils crédibles selon vous ?
La sûreté dépend des personnes qui sont sur le terrain, qu’elles soient des agents d’EDF ou issues de sociétés sous-traitantes.
La sûreté dépend donc de leur compétence, et la très grande majorité est compétente en la matière.
Seul le facteur humain n’est pas infaillible. Une personne choisie pour une mission précise est formée et qualifiée pour cette mission. 99 fois sur 100, cela se passe bien. Les sous-traitants sont choisis pour leur crédibilité et leur professionnalisme, notamment pour leur capacité de contrôle.
N’oublions pas qu’il y a des contrôles effectués d’un côté par l’exploitant, le donneur d’ordre, et de l’autre par l’ASN, l’Autorité de sûreté nucléaire, le tout appuyé par l’IRSN, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire.
Il ne faut pas oublier que lorsqu’un problème est détecté dans une centrale, c’est que le contrôle a bien fonctionné.
Le rapport des parlementaires indique qu’il y a une augmentation d’incidents. Il y a des milliers d’anomalies chaque année, comme par exemple un boulon mal serré…
Ces anomalies n’impactent pas forcément la sûreté. Le fait qu’elles soient détectées est rassurant.
Le plus inquiétant, c’est lorsqu’une anomalie passe inaperçue.
S’il n’y avait pas d’incident, cela serait plus inquiétant. Le nucléaire est l’une des industries les plus sûres, justement parce qu’il y a un danger potentiel.
Le rapport parlementaire pointe du doigt les conditions de travail des sous-traitants. Ces conditions de travail sont-elles mauvaises selon vous ?
D’après mon expérience, plus de 20 ans dans le nucléaire, les conditions de travail sont bonnes. Des problèmes, il peut y en avoir bien sûr, comme dans toute industrie qui fait appel à de la sous-traitance. Mais il ne faut pas généraliser.
La question de la sécurité et de la résistance des piscines de refroidissement, notamment en cas d’une chute d’avion ou d’attaque terroriste, est posée. Ces piscines sont-elles, selon vous, préparées à ce type d’événements ?
Premier élément, il faut rappeler que ces questions de sécurité sont classées secret défense.
Sur la résistance même des piscines, l’épaisseur des bâtiments est telle qu’il est quasi impossible d’atteindre le système de refroidissement en cas d’agression extérieure.
Dans tous les cas, même s’il y avait une brèche dans le bâtiment dûe à un missile ou un avion, il faudrait d’autres dégradations pour que l’eau des piscines se vide. Il faut noter par ailleurs que sur le site d’Orano la Hague, des missiles sont installés en cas d’une attaque d’avion.
Le rapport évoque ensuite la lenteur du démantèlement des réacteurs anciens. EDF est-elle compétente en la matière ?
La réponse est oui, on sait faire. Si cela prend du temps, c’est pour des raisons techniques, des études complémentaires et des questions de budget.
Au départ, l’idée était d’attendre les nouvelles technologies pour optimiser le démantèlement aussi bien sur les coûts que sur la faisabilité.
Ensuite, l’objectif était de ne pas trop attendre pour faire intervenir les ingénieurs qui ont connu l’installation et surtout avant qu’ils partent à la retraite.
Il ne faut pas laisser la mémoire se perdre. Le démantèlement de Chooz A (premier réacteur à eau pressurisée), qui a récemment débuté, se passe bien à ma connaissance.
Compte tenu de la particularité du réacteur, construit en partie dans une grotte, cela prendra du temps. Il faut savoir être patient.
La commission d’enquête s’est aussi intéressée aux transports de matières radioactives et s’est basée notamment sur un reportage d’Arte pour évoquer le sujet en pointant du doigt leur caractère routinier et prévisible…
Ces transports de matières radioactives font partie intégrante de la problématique de sûreté et de sécurité du nucléaire français.
Le transport et les déchets sont les domaines les plus réglementés.
Les règles sont très précises et intangibles pour le transport de déchets radioactifs, y compris dans les déplacements internes aux installations.
Certes, un reportage peut donner des indications mais pour avoir des informations précises, et lever les doutes sur la sûreté et la sécurité des transports, il faut contacter l’ASN, juge de paix qui a une direction qui s’occupe précisément du transport.
Il est écrit à la page 116 du rapport : « L’ensemble des mesures liées à la sécurité des installations nucléaires représentent un coût important, dont on peut se demander si les exploitants sont réellement en mesure de l’assumer ». Quel est votre sentiment ?
Ma raison d’être en tant qu’expert en sûreté nucléaire, c’est d’arriver à un maximum de sûreté avec un minimum de coûts.
Il y a parfois des coûts qui sont indispensables et très pesants.
Mais la sûreté nucléaire ne remet pas du tout en cause l’industrie nucléaire en étant hors de prix. C’est même le moteur de la filière nucléaire.
Si on veut donner de la qualité au meilleur prix, il faut savoir se donner du temps et ainsi on optimise les solutions pour des coûts raisonnables.