Papier VS numérique : un match écologique en réalité serré
Eclairage signé Géraud Guibert, président de La Fabrique Ecologique et Emma Hisel, chargée de mission à La Fabrique Ecologique.
L’émergence du numérique il y a une vingtaine d’années a de fait constitué une concurrence d’importance majeure pour le papier et ses nombreux usages de la vie quotidienne. On pense bien sûr au courrier, en partie remplacé par l’email, ou à la presse écrite par la consultation de sites électroniques. Comme pour la plupart des innovations structurantes, le côté pratique du numérique permettant une démarche en temps réel et en tout lieu a été dans un premier temps déterminant pour en développer l’usage, sans grande préoccupation pour ses autres impacts².
L’internaute a pendant longtemps pensé que tant qu’il n’imprimait pas les mails qu’il recevait, il n’avait pas à se poser la question de l’impact environnemental de cette activité, considéré comme négligeable par rapport à celui du papier. La fameuse phrase portée au bas des mails : « Afin de contribuer à la sauvegarde de la planète, merci de n’’imprimer ce mail que si nécessaire » a souvent constitué le geste clé permettant à l’internaute soucieux de l’écologie de ne pas se poser la question.
Il n’en est plus de même aujourd’hui. Ces derniers temps, les études sur l’impact environnemental et climatique du numérique se sont multipliées et les initiatives sont nombreuses pour promouvoir une plus grande sobriété du secteur [1] . Compte tenu du retard pris en matière de transition écologique et de changement climatique, il est important de se poser de manière rigoureuse la question des mérites écologiques du papier et du numérique.
Il ne s’agit pas ici de nourrir des arguments sur un hypothétique retour en arrière dans la concurrence entre le papier et le digital. Une telle logique serait absurde compte tenu de l’intérêt évident du numérique pour certaines activités et du caractère le plus souvent mixte de l’utilisation de ces deux outils, par exemple pour les campagnes publicitaires et de communication.
Il est en revanche indispensable que chaque acteur économique, les ménages, les entreprises et les acteurs publics aient une idée claire et précise de l’impact environnemental et climatique de chaque dispositif afin de prendre en compte ce critère dans leurs choix.
Gaz à effet de serre (GES) : l’impact des deux filières est plus proche que prévu
Jusqu’à ces dernières semaines, l’étude la plus complète sur le plan international pour la comparaison papier/numérique était relativement ancienne (2010). Selon elle, sur la base d’une analyse du cycle de vie comprenant l’ensemble de la chaîne de fabrication et de distribution, l’empreinte carbone d’une facture papier est de 63% supérieure à celle d’une facture électronique[2] . D’autres études parues à cette période sont peu utilisables car ne précisent pas les hypothèses et les conditions de réalisation [3] . Certaines d’entre elles sont plus précises mais se limitent uniquement au numérique, sans faire de comparaison avec le papier.
Les études menées sur le numérique apportent de leur côté des indications importantes sur l’impact climatique de cette filière. Au niveau mondial[4] , le secteur est responsable aujourd’hui d’environ 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), mais cette empreinte est en constant accroissement et pourrait atteindre 16 % en 2025, à raison d’environ 9% d’augmentation par an [5] .
Les GES émis par le numérique se répartissent entre les data centers (25%), les infrastructures réseau (28%) et les équipements des consommateurs : ordinateurs portables, smartphones, tablettes, objets connectés (47%) [6] .
Ces émissions découlent des phases de production (l’extraction de minerais, la transformation des composants, la distribution des produits, l’alimentation en électricité, la fin de vie de l’appareil) et d’utilisation. L’impact en GES de cette dernière phase constitue la composante la moins importante, évaluée à 6% pour un smartphone, 11% pour un ordinateur portable et 33% pour un téléviseur, à partir de durées de conservation de respectivement 2, 4 et 5 ans [7] .
Du côté de la filière papier, les émissions de GES se concentrent principalement sur l’exploitation des forêts et l’arrivée en usine pour transformation. Elles varient fortement selon la gestion des forêts et la provenance du papier. Celui consommé dans notre pays est principalement d’origine européenne, bien qu’une partie de la pâte à papier (nécessaire à sa fabrication) soit dans le secteur public issue d’autres continents et zones à risques, tel que le Brésil [8] . Grâce à la cogénération (production de chaleur et d’électricité) et à l’utilisation des déchets liés à la fabrication de la pâte à papier (copeaux de bois ou écorces), la filière a fortement diminué ses émissions de gaz à effet de serre : entre 2005 et 2015, l’énergie nécessaire à la production d’une tonne de papier a été divisée par deux [9] .
Dans la période plus récente, des études comparatives entre les deux filières ont été menées dans le cas de pays étrangers, par exemple en Italie [10] ou en Suède [11] . Pour notre pays, l’étude que vient de réaliser le cabinet Quantis pour le compte de La Poste [12] représente ainsi une initiative inédite et utile. Elle effectue, pour cinq scénarios, un diagnostic sur les mérites comparés du numérique et du papier [13] . En matière d’émissions de gaz à effet de serre mesurées à partir du mix énergétique européen, elle montre les très grandes différences entre les produits et leur utilisation.
La comparaison catalogue papier vs emailing montre un avantage net du numérique (2,5 fois plus d’émissions pour la solution papier). Les impacts climatiques des factures ou prospectus papier vs mail et site web sont proches. Mais le papier, sur la base du seul critère climatique, sort largement gagnant quand on compare les flyers par rapport aux vidéos (avec un impact plus de trois fois plus grand du numérique) ou les catalogues par rapport aux vidéos (2,5 fois plus grand).
Ces deux derniers résultats sont principalement dus, au-delà de l’impact en énergie des équipements de transmission et de stockage utilisé pour le numérique, à celui des vidéos diffusées par voie numérique. Pour l’ensemble des scenarii, l’hébergement des sites internet domine de l’ordre de 65% dans l’impact du numérique, avant les phases de transmission de l’information et d’utilisation.
La portée de ces résultats concerne les entreprises, mais aussi potentiellement toute la société. Sur la base des hypothèses étudiées, la publicité papier a ainsi tendance à émettre moins de GES qu’une vidéo sur internet, mais le simple site internet avec une campagne d’emailing va être nettement moins impactant qu’un catalogue publicitaire diffusé par courrier.
La comparaison de l’envoi d’une facture papier par rapport au même document envoyé par mail est en outre emblématique : contrairement à ce qu’on pourrait anticiper, les factures papier et internet ont des impacts proches dès lors qu’un stockage de la version numérique est intégré dans le calcul. La règlementation pour ce type de document impose un stockage pendant cinq ans.
Les sauvegardes opérées de leur côté par les consommateurs doublent celles effectuées sur le site du prestataire, ce qui démultiplie les besoins de stockage et leurs impacts en matière de GES.
Pour le numérique, la variable qui pèse le plus dans ces résultats est sans surprise la composition du mix électrique. L’étude du Shift Project avait déjà illustré cette caractéristique : si l’utilisation des smartphones et des télévisions connectées représentent respectivement 2,6% et 8,9% du mix énergétique en Europe, elle constitue en France respectivement 0,3% et 1,1% du mix énergétique national. Dans l’étude Quantis, un mix énergétique 50% français/50% européen est utilisé, ce qui se justifie compte tenu des interconnections et de la localisation des capacités de stockage en Europe. Le passage du mix électrique européen au mix électrique français, moins carboné, a un impact de 60% sur les émissions de GES.
S’agissant de la filière papier, les technologies utilisées pour la production de papier jouent un rôle important, comme le montre une variante où la récupération de chaleur permet de faire diminuer sa consommation énergétique pour chauffer les usines voire à produire de l’électricité. Il en va de même quand le papier est produit dans des pays au mix énergétique faiblement carboné.
L’impact différencié sur les différents paramètres environnementaux
L’analyse des impacts écologiques du numérique se limite trop souvent aux émissions de GES, et non aux autres paramètres environnementaux. Or les différentes crises environnementales sont liées (climatique, de la biodiversité, des conséquences des pollutions sur la santé). Mesurer l’impact sur un seul critère, tel que les émissions de gaz à effet de serre, peut aboutir à dégrader d’autres paramètres et à accentuer la crise écologique globale.
Parmi les études récentes, celle du Shift Project [14] , outre la consommation énergétique et les émissions de gaz à effet de serre, intègre la consommation de métaux critiques et le volume de terre déplacé pour l’extraction des matières premières. Une autre étude sur l’empreinte environnementale du numérique mondial [15] s’appuie de son côté sur quatre indicateurs environnementaux (épuisement des ressources, réchauffement global, bilan énergétique, tension sur l’eau douce). Pour le papier, les études sont plus nombreuses sur l’impact environnemental de la filière [16] .
L’étude Quantis procède de son côté, c’est un de ses intérêts, à une analyse comparative de l’impact sur seize indicateurs [17] . Sur cette base (voir annexe), l’envoi d’une facture par courrier ou par mail a, comme pour les GES, des impacts environnementaux différentiés mais qui globalement se valent, avec un léger avantage à la solution papier (neuf critères sur seize).
Dans d’autres cas [18] , le papier est la filière qui a nettement le moins d’impact. Le numérique est généralement performant par rapport au papier pour trois indicateurs : l’utilisation des sols, l’usage de l’eau et les particules atmosphériques.
Un scénario est enfin défavorable au papier, celui qui compare le catalogue à l’emailing. Outre ses effets sur les GES (supra), la solution papier présente un impact plus fort pour douze indicateurs, avec une différence supérieure à 50% pour six d’entre eux : changement climatique pour lequel le numérique représente 59% de l’impact du papier, particules fines (50% de l’impact du papier).
Comparativement aux autres scénariis, davantage de papier est utilisé pour la confection du catalogue et la surface totale imprimée est largement supérieure. L’étude ne prend pas en compte cependant l’éventuelle réutilisation dans le temps du catalogue, pratique qui n’a alors aucun impact environnemental direct contrairement à la consultation numérique.
Entre les deux filières, les impacts les plus forts ne se situent pas au même endroit. Pour la filière papier, ils se concentrent au tout début de la production (carbonate de calcium) et durant la phase d’impression (encre). Pour le numérique, où le nombre de serveurs devant être utilisés représente une variable importante, ils concernent principalement l’hébergement et le stockage sur les serveurs du site du fournisseur.
Quelles méthodes pour accélérer la transition écologique
Ces résultats ne doivent surtout pas conduire à une règle générale simplifiant le débat entre les impacts du papier et du numérique. Beaucoup dépend des caractéristiques précises des actions à mener et des paramètres de production et d’utilisation. Le mail non-suivi d’un stockage reste moins impactant que le document papier, mais, dans certaines configurations de supports et d’utilisation, ce dernier peut être plus performant qu’une solution numérique. Pour accélérer la transition écologique, trois éléments méritent en revanche d’être retenus de ce panorama.
Le premier est la nécessité de continuer d’approfondir les connaissances dans ces domaines, afin qu’elles puissent être utilisées par les acteurs économiques sans hypothèse approximative. Il s’agit en particulier de données sur l’utilisation réelle des vecteurs analysés, celles-ci ayant des conséquences non-négligeables sur les résultats. L’ampleur des impacts dépend beaucoup des taux d’adressage, d’ouverture de mail ou de catalogues et de lecture. Il existe de ce point de vue une dissymétrie des informations disponibles pour les deux filières.
Pour la filière papier, les taux de mauvais adressage des courriers sont bien répertoriés. Les taux de consultation et de lecture d’un document adressé ou non adressé doivent en revanche être évalués[19] , mais ils peuvent l’être sur la base d’une référence crédible, une enquête sur le nombre de personnes ayant consulté au moins un exemplaire d’une certaine catégorie de publication [20] .
Pour le numérique, les données d’utilisation sont en revanche très mal connues. Les études disponibles sur le taux d’adressage de mail donnent des résultats très variables [21] . Il en va de même pour les taux de lecture de mail [22] . Ces données doivent donc faire l’objet d’hypothèses, par exemple sur la proportion des factures envoyées par mail mais finalement imprimées [23] . Compte tenu de leur importance sur le résultat final, il est indispensable de collecter davantage de données sur ces aspects, de manière cohérente et systématique.
La deuxième exigence est de faire en sorte que les acteurs économiques mesurent systématiquement leurs impacts environnementaux et climatiques et que ceux-ci soient pris en compte dans leurs choix d’investissements et d’actions. Cela vaut pour les activités publicitaires et de communication et les entreprises du secteur devraient systématiquement y procéder, comme cela a déjà été proposé dans le rapport « publicité et transition écologique » [24] . Le volume de la publicité en ligne, en pleine croissance, est passé de 4% du marché publicitaire mondial en 2004 à 43% aujourd’hui.
La répartition entre les deux vecteurs papier et numérique se pose quotidiennement dans la publicité, et les choix dans ces domaines doivent prendre en compte l’exigence de la transition écologique sur une base rationnelle, à partir d’une analyse sur l’ensemble du cycle de vie.
La troisième priorité est que chaque acteur économique – les ménages, les entreprises, les collectivités publiques – agisse pour réduire l’impact à la fois du papier et du numérique. Des marges de manœuvre importantes existent en effet dans les deux filières, y compris pour diminuer ou supprimer le gaspillage que constituent des vecteurs non lus ou non utilisés.
Chez les ménages, apposer l’autocollant « stop pub » lorsqu’on ne lit pas des documents publicitaires mis dans sa boîte aux lettres, éviter l’impression papier des mails et des factures, ou encore ne pas stocker les factures sur son disque dur alors qu’elles le sont déjà sur le site de l’entreprise prestataire constituent des éléments importants de la sobriété sur laquelle chacun d’entre nous peut agir.
Du côté des entreprises, beaucoup reste à faire dans ce domaine. Dans une enquête récente [25] , 69 % d’entre elles ne connaissent pas la valeur de consommation énergétique de leur data centers.
La proportion d’entreprises qui ont mené ou envisagent des actions d’optimisation de leurs data centers reste en moyenne inférieure à 50 %. Un tiers seulement des entreprises utilisent des ressources de refroidissement naturelles, 57 % indiquent utiliser du papier partiellement ou totalement recyclé et une majorité ne recycle pas malgré la règlementation en vigueur. Les marges de progression des entreprises sont donc importantes.
S’agissant de celles agissant dans chacune des filières papier et numérique, les initiatives peuvent et doivent être nombreuses à chaque étape, de l’amont à l’aval. Pour la filière papier, la diminution du grammage du papier, l’encre utilisée ou le ciblage de la population pour améliorer les taux de lecture sont prioritaires.
Pour le numérique, il s’agit notamment de rationaliser la ressource « serveur », d’optimiser les consommations d’énergie, de développer les matériels éco-conçus, de privilégier les fournisseurs de services se trouvant dans des territoires au mix énergétique peu carboné et enfin, de mieux cibler les formats publicitaires.
La question des vidéos publicitaires sur Internet est enfin une question qui, à l’évidence, doit être posée.
Conclusion
Faire le « bon choix écologique » [26] ne se résume pas à la quantification des émissions de GES mais également à l’analyse de cycle de vie ou encore aux effets rebonds produits par les deux matériaux et à leur usage. Il est primordial d’optimiser dans ce domaine les comportements individuels et des entreprises face à l’usage du numérique et/ou du papier.
Aujourd’hui, les choix entre les deux filières de chaque individu ou entité économique relèvent surtout de considérations pratiques prenant en compte des facteurs émotionnels, culturels et de rentabilité. Ceux effectués par le secteur de la communication sont principalement fonction de l’efficacité commerciale par rapport au public visé. Il est pourtant indispensable que les impacts environnementaux et climatiques constituent un des critères de leurs choix et qu’ils puissent les faire en pleine connaissance de cause.
COMMENTAIRES
L’article ne parlant à aucun moment des encres nécessaires pour donner à une page blanche le moyen d’être comparée à un e-mail par exemple, jusqu’à preuve du contraire je ne donne l’avantage au papier sur le mail que dans son utilisation comme papier/toilettes