Planification de la transition énergétique : « les leviers sont cohérents »

Le Monde de l’Énergie ouvre ses colonnes à Pierre Maillard, PDG de Hellio, pour analyser avec lui le rapport de RTE sur la transition énergétique française, et les objectifs fixés pour 2035 en la matière.

(https://www.rte-france.com/actualites/bilan-previsionnel-transformation-systeme-electrique-2023-2035)

 

Le Monde de l’Énergie —RTE a publié le 20 septembre 2023 son bilan prévisionnel « 2023-2035 : première étape vers la neutralité carbone ». Il s’appuie sur trois scénarios, pouvez-vous nous les présenter ?

Pierre Maillard —RTE a présenté trois scénarios déclinés sous 7 sous-scénarios

  • Le scénario A concerne l’accélération réussie, comprenant 3 sous-scénarios (bas/réf/haut)
  • Le scénario B concerne l’atteinte partielle, comprenant 2 sous-scénarios (haut/bas)
  • Et le scénario C sur la mondialisation contrariée avec 2 sous-scénarios (défaut de réaction/résilience industrielle)

Ces sous-scénarios correspondent à des combinaisons d’atteintes d’objectifs d’électrification, d’efficacité énergétique et de sobriété énergétique. Les scénarios A et B sont des scénarios avec un cadre macroéconomique favorable contrairement au C avec un cadre dégradé. Les scénarios B et C ont fait appel à des exercices d’analyse de risques sur les potentielles conséquences de non atteinte des objectifs, contrairement aux scénarios A qui sont des exercices d’ordre prospectif.

Les différents scénarios croisent des trajectoires de la consommation d’énergie avec des projections sur l’électrification, l’efficacité énergétique et la sobriété énergétique (consommation d’électricité prévisionnelle entre 525 TWh et 640 TWh) vis à vis d’une production d’électricité bas carbone (580 TWh et 700 TWh). Tous ces chiffres sont ensuite détaillés par secteur de consommation et de production.

Le Monde de l’Énergie —Quels défis la France doit relever pour se replacer dans une trajectoire cohérente avec la neutralité carbone en 2050 ?

Pierre Maillard —La neutralité carbone est définie par la loi énergie-climat comme « un équilibre, sur le territoire national, entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre ». En France, atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 implique une division par 6 des émissions de gaz à effet de serre sur son territoire par rapport à 1990.

La valeur absolue visée est de 80 MtCO2eq. Soit Émissions = Absorptions = 80MtCO2eq. Donc baisser les émissions de GES par 5 (par rapport à 2022), et multiplier les absorptions par 6.

La baisse d’émissions passe par la décarbonation des secteurs du transport, de l’industrie, du bâtiment, de l’agriculture, de l’énergie etc… il faut dans ce cadre là maîtriser notre demande en énergie (efficacité et sobriété énergétiques) mais également privilégier les énergies bas carbone (nucléaire et renouvelables) vis à vis des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz). Cela passe par la baisse de consommations d’énergie, mais également par l’électrification des usages comme le mentionnent les scénarios de RTE.

Par ailleurs pour l’absorption, plusieurs solutions existent (plantation d’arbres et lutte contre la déforestation, captation et stockage de carbone, réduction de l’artificialisation des terres etc…).

Le Monde de l’Énergie —Le gouvernement Français a récemment rehaussé ses ambitions de baisses d’émission pour 2030, en se focalisant sur les transports, les bâtiments et l’industrie : les leviers présentés vous semblent-ils cohérents et, surtout, réalistes ?

Pierre Maillard —Oui, il y a eu un gros travail réalisé par le Secrétariat général à la Planification écologique, très bon diagnostic et beaucoup de recommandations d’actions. L’année 2023 est très dense en législation et en réglementation (PPE, SNBC, SFEC, LPEC, loi Aper, loi nucléaire, plans de sobriété etc…). Les leviers sont cohérents. Désormais c’est aux filières de prendre le sujet à leur compte pour le rendre réaliste. Une telle baisse des émissions implique un changement de consommation, et un changement des comportements. Il faut imaginer un monde sans ou avec peu de voitures thermiques, avec des maisons isolées et au système de chauffage performant, des industries sobres et efficaces en énergie. Cela dépendra évidemment de beaucoup de facteurs, notamment l’offre disponible hautement liée aux réglementations et la demande liée à l’acceptation et la volonté des consommateurs.

Le Monde de l’Énergie —Quelles solutions existent pour réduire, à court, moyen et long terme la part des énergies fossiles dans le mix énergétique français ?

Pierre Maillard —Il existe trois solutions : baisser les consommations d’énergie (efficacité et sobriété) ; consommer des énergies renouvelables et bas carbone ; produire d’énergie bas carbone (nucléaire et ENR).

Le Monde de l’Énergie —La rénovation thermique des bâtiments doit-elle être la priorité des plans de sobriété énergétique ?

Pierre Maillard —La rénovation thermique vise à réduire une consommation, l’énergie la moins chère/polluante est celle que l’on ne consomme pas. D’ailleurs cette rénovation thermique et les mesures d’efficacité énergétique mises en place sont pertinentes pour l’ensemble des secteurs que ce soit le transport, l’agriculture, l’industrie ou le bâtiment.. Consommer moins tout d’abord, en se concentrant sur l’efficacité énergétique. Ensuite consommer mieux sur les autres leviers.

Plusieurs aides existent, aides publiques nationales, aides publiques locales, aides privées. Pour les particuliers, les deux aides principales sont MaPrimeRénov’ et les CEE. Il y a également les aides locales versées par les régions, départements, communes. Il est également mis en place une TVA 5,5 %, l’Eco-ptz, Loc’Avantages, etc.. Pour les entreprises, des dispositifs spécifiques comme les CEE mais aussi les subventions françaises (France 2030 et Ademe) et européennes ainsi que le Fonds vert, sont des leviers d’actions de la transition énergétique du secteur du bâtiment.

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COMMENTAIRES

  • Pour l’absorption du carbone, la forêt est bien placée depuis plus d’un siècle. En effet, celle-ci est en expansion sur le territoire métropolitain, passant de 10 millions d’hectares en 1908 à 14,1 Mha en 1985, à 16,2 Mha en 2010 et 17,1 Mha en 2021.

    Chaque année depuis 40 ans, la superficie de la forêt française (métropole) augmente de 80.000 hectares et son volume de 25 millions de m3. Le volume est aujourd’hui de 2,8 Gm3, pour la seule partie « forte tige » (tronc et grosses branches).

    Le stock de carbone de la forêt est estimé à 2.600 millions de tonnes (9.500 Mt CO2), dont environ la moitié dans la partie aérienne des arbres et l’autre moitié dans le carbone biogénique des sols. Chaque année, environ 13,5 millions de tonnes de carbone (50 Mt CO2) sont stockés dans la forêt française (métropole). Le tout, sans compter le bois hors forêt et les haies.

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    • @ Canado ns ne vivons ds la même France !
      Suite des éléments repris à propos des puits carbone dont beaucoup s’y intéresse peu
      Enfin, ces résultats écologiques sur les émissions de CO2 doivent être analysés avec ceux beaucoup plus inquiétants des puits de carbone. Depuis 10 ans, nos forêts absorbent deux fois moins de CO2. Certaines sont même devenues émettrices de carbone, comme dans le Grand Est.
      C’est ce que démontrent les dernières données officielles publiées par l’Académie des sciences dans son rapport de juin 2023 sur « Les forêts françaises face au changement climatique ».
      En 2021, la forêt française avait en effet absorbé 31,2 millions de tonnes équivalent CO2, soit environ 7,5 % des émissions du pays. Un chiffre en nette diminution, puisqu’en 2011, elle avait absorbé 57,7 millions de tonnes de CO2.
      Une perte qui alerte, alors que ces écosystèmes restent aujourd’hui le principal puits naturel de carbone dans le pays, devant les prairies. Si les sécheresses à répétition couplées au dérèglement climatique sont évidemment les premiers coupables pour ces mauvais résultats, on peut tout de même regretter que le gouvernement n’ait pas mieux contrôlé le taux de prélèvement de bois dans nos forêts, celui-ci passant de 55 à 65 % en dix ans, accentuant ainsi la mauvaise dynamique.
      Plus que jamais, une action écologique déterminée devra être mise en place afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050.
      Celle-ci ne pourra toutefois pas se faire sous l’égide d’une planification politique mal calibrée qui passe son temps à défaire ce qu’elle faisait l’année précédente. Le sujet est effectivement bien trop sérieux pour être laissé à un gouvernement qui improvise à la petite semaine les actions qu’il compte mener.
      Non, seule une action politique activant des leviers tels que le marché, l’innovation et l’investissement capitalistique seront à même transformer notre appareil productif pour faire face aux enjeux climatiques. Il y a urgence.

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  • Je ne suis pas certain que certaines des procédures imposées, notamment pour le calcul du DPE concernant les logements, soient de nature à améliorer la situation ! En effet, l’application d’un coefficient multiplicateur de 2,3 pour déterminer le volume des consommations énergétique au seul « vecteur » du chauffage électrique, conduit à créer, artificiellement de fausses « passoires thermiques », en pénalisant injustement les seuls logements « tout électriques », bas carbone, souvent beaucoup mieux isolés que la plupart des immeubles chauffés au charbon ou au gaz, en privilégiant ces derniers, pourtant grands émetteurs de GES.
    Il faut noter par ailleurs, que les consommations énergétiques des logements « tout électriques » sont, en général, individualisées, ce qui a pour effet de responsabiliser les utilisateurs…
    Cette disposition « règlementaire » ne semble pas aller dans le sens de l’histoire, et risque, en outre, de provoquer une montée de boucliers des propriétaires concernés qui seront injustement impactés par la confiscation de leur propriété…
    Je crains que certains « gilets jaunes » ne reprennent du service !…

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  • On peut tirer tous les plans sur la comète que l’on veut, quand il n’y a pas de volonté pour aller vers le renouvelable tout cela a la même efficacité qu’un cierge à Lourde

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    • Et oui, Serge !…. Quand, grâce à vous et vos « complices », nous ne disposerons plus que des sources renouvelables (éolien, PV, Hydraulique, pour l’essentiel), et si une période dépressionnaire très froide durait plusieurs jours, (ou plusieurs semaines !) sans vent, ce qui n’est pas exceptionnel, nous n’aurions plus, en effet, que le seul recours d’un hypothétique dépôt de cierge à Lourdes (avec un « S » !), et nos vaines prières !..
      Mais, heureusement, il reste encore, « aux manettes » quelques scientifiques sérieux qui ne se laissent pas impressionner par les mirages… des « chasseurs d’étoiles », fussent-ils religieux !…
      Gardez votre cierge pour une autre occasion !

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    • @Rochain … Les Allemands ont démontré que le tout ENR est très coûteux et inefficace … Poutine a finalisé la démonstration . Il n’y a plus que vous qui n’ait pas compris . Quelle tristesse.
      Cependant l’étude RTE n’est pas cohérente : dans son scénario de référence, il est prévu 100 TWh / an pour les transports , dans un autre scénario au maxi 125 TWh /an. Le calcul en fonction des quantités carburant consommées par le parc, confirmé par le calcul en TWh / 100 Km des VP,VUL, Poids lourds, Bus – Cars aboutit à 225 TWh / an pour passer seulement le transport routier en électrique batterie et 20 % des PL en hydrogène. Il faut ajouter le ferroviaire, le maritime et l’aérien à base de-fuel hydrogène à très mauvais rendement ( 23 % en comprimé). RTE se trompe grave … Les calculs sont simples pour le prouver !

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  • Pour l’électrification du chauffage, dans le résidentiel et le tertiaire, un gros problème se pose avec les pointes de consommation hivernale.

    Par exemple, selon RTE, la puissance appelée pour le chauffage électrique a été autour de 18 à 20 GW en janvier 2020 (selon les heures et les jours). La température moyenne du mois était de 6,7 °C au niveau métropolitain (pondérée selon RTE). Cependant, selon RTE toujours, cette puissance a pu atteindre 27 GW un jour où cette température était de 4,0°C.

    En 2021, sur un total de 337 TWh consommés pour le chauffage du résidentiel, 55 TWh l’on été en électricité, 128 TWh en gaz naturel et 34 TWh en fioul domestique.

    Si le chauffage fossile (162 TWh) était brusquement remplacé par du chauffage électrique, cela multiplierait par quatre la quantité d’électricité consacrée au seul chauffage résidentiel, en particulier lors des pointes de consommation. Celles-ci représentent déjà jusqu’à 30% et plus de la consommation d’électricité lors de pointes au dessus de 80 GW.

    Mutatis mutandis, on atteindrait jusqu’à 105 GW pour le seul chauffage électrique et 160 GW au total. Situation réelle encore aggravée si l’on ajoute le secteur tertiaire.

    D’autres solutions sont à trouver.

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    • @Canado
      Sauf si les PAC se développent massivement. Auquel cas, il faudrait revoir vos calculs.
      @Dubus
      Encore que, en Allemagne, la situation ne serait pas non plus meilleure que nous si tous les chauffages – gaz, anthracite et lignite – passaient à l’électrique !

      Répondre
  • @ Canado
    On voit bien qu’en hiver si tout est électrifié, les appels au niveau puissance élec en pointe seront astronomiques et peuvent aussi durer plusieurs jours voire semaines en période anticyclonique ceci étant valable pour toute l’UE. On ne peut pas dire même en étant écolo que cela n’arrivera jamais et que fontaine je ne boirait pas de ton eau. Donc pour éviter tout black out, le back-up gaz charbon pour l’Allemagne, malgré ces 140 GW de renouvelables installés, a encore de « beau » jour et ceci pour plusieurs décennies avec une intensité carbone 10 fois supérieure à la notre.
    Cela devrait faire réfléchir les potiches de la transition énergétique mises en place par macron, mais cela n’est pas possible surtout avec les risques actuels de guerre civile qui vont accentuer les errances de ce gouvernement à la dérive !
    ..

    Répondre
  • Le coefficient de performance d’une pompe à chaleur dépend à la fois de la température de la source froide et de la température du fluide en sortie. Celui-ci est de 45 °C ou de 65 °C pour une PAC air-eau ou eau-eau.

    Le COP réel est bien différent des annonces publicitaires lorsque la température est basse. Pour une température de départ chaude à 35 °C, le COP est de 3,4 à 16 °C de source froide, de 2,5 à 4 °C et de 2,0 à 0 °C. Pour un départ à 65 °C (radiateurs classiques) le COP est seulement de 2,25 pour une source froide à 16 °C, de 1,7 à 4 °C et de 1,4 à 0 °C.

    Non seulement la chaleur « gratuite » est plus faible, mais il faut la compléter par l’équivalent d’un vulgaire radiateur électrique, d’autant plus que la déperdition thermique du bâtiment est plus importante.

    Ainsi, à supposer que tous le chauffage thermique puisse être remplacé par des PAC air-x, on atteindrait 75 GW pour le seul chauffage électrique et 130 GW au total, sans prendre en compte le tertiaire.

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