Une tribune signée par Ivan Saillard.

Les énergies en réseau (gaz, électricité, chaleur) sont nées dans les capitales avec la révolution industrielle. Aujourd’hui s’y jouent en grande partie les enjeux planétaires de la lutte contre le dérèglement climatique. La parution de la 2ème édition du Panorama Energétique des Territoires Urbains contribue à mesurer les avancées des plus grandes collectivités locales françaises en matière de transition énergétique.

Le 28 décembre 1891 le journal nantais Le Populaire relatait l’inauguration de l’éclairage électrique du Théâtre Graslin :

« … Quand on pénètre dans la salle un cri d’admiration s’échappe de toutes les poitrines : les « poires » à l’électricité et le lustre baignent l’immense vaisseau d’une lumière extrêmement vive et limpide. C’est véritablement éblouissant : cette vive clarté donne aux diamants que portent quelques spectatrices des reflets rouge, or et flamme.

On ne se lasse pas d’admirer le lustre qui est de toute beauté et est composé de 12 candélabres circulaires à 12 lampes…

… Dans les loges de premières où les spectateurs étaient autrefois dans une semi-obscurité, on y est maintenant en pleine lumière. Désormais, point n’est besoin de jumelles pour chercher une figure de connaissance dans la salle. La lumière est si claire qu’on distingue des traits connus d’une extrémité à l’autre de la salle.

M. Morvand (le directeur du Théâtre) tient exactement la pièce à sensation de la saison : ce ne sera ni Sigurd – qu’on a, du reste, fort bien joué hier soir – ni Lohengrid, mais l’éclairage électrique.

Tout Nantes voudra voir ça. » (*)

Les énergies de réseaux sont nées dans les capitales

Faut-il le rappeler, les tous débuts de l’énergie contemporaine se jouèrent dans les grandes villes européennes et américaines. A la charnière du XIXème et du XXème siècle, il s’agissait principalement de satisfaire les besoins nouveaux d’éclairage et de force motrice (ascenseurs, treuils par exemple) par le gaz et l’électricité, le charbon et le bois restant à l’époque les modes de chauffage usuels même dans les grandes villes.

Les électriciens se posaient en « game changers » de l’époque et ils pouvaient compter sur l’émerveillement suscité par le joyau de l’exposition universelle de Paris de 1900 que fût le « Palais de l’électricité », majestueusement situé face à la Tour Eiffel. Progressivement, la silencieuse, incolore et inodore énergie électrique gagnait le coeur des citadins aisés.

Cependant cette percée des nouvelles énergies en réseau dans les villes n’était pas sans susciter des débats animés et nombreux : prix et qualité du gaz et de l’électricité, nuisances, dangers, etc… Des débats aiguillonnés notamment par la concurrence féroce entre les gaziers (acteurs en place générant du gaz à partir de charbon essentiellement) et les électriciens. Le lobbying des deux grandes filières faisait rage auprès des grandes municipalités, activant inlassablement leurs relais parmi les grands élus, la presse ou l’opinion publique.

Les données énergétiques les plus récentes des 69 plus grandes intercommunalités françaises

Plus d’un siècle plus tard, la parution au mois de mars 2023 du 2éme « Panorama Energétique des Territoires Urbains », édité par France urbaine en partenariat avec Enedis et GrDF, renoue avec le fil de cette histoire peu connue et éclaire les enjeux rencontrés aujourd’hui par les grandes collectivités locales françaises en matière d’énergie.

Rassemblant les données des 69 plus grands intercommunalités françaises (22 métropoles, 14 Communautés Urbaines et 33 communautés d’agglomération) abritant 45% de la population française, ce panorama nous livre les données les plus récentes en matière de consommations et productions de gaz, électricité, chaleur ainsi que de mobilité décarbonée.

On y apprend par exemple que les consommations d’électricité (-2,2%) et de gaz (-4,4%) ont légèrement décru entre 2017 et 2021, sans doute sous l’effet des efforts d’efficacité et de sobriété énergétique engagés par l’Etat et les municipalités mais aussi certainement par le départ des dernières grandes activités industrielles énergivores de ces territoires.

La transition énergétique accélère dans les territoires urbains

Ce panorama permet surtout de mesurer les progrès spécifiques de la transition énergétique dans les territoires urbains entre 2017 et 2021  :

• Progression de la production d’électricité renouvelable de +22%
• Multiplication par 5 des installations injectant du gaz renouvelable
• Multiplication par 5 des bornes publiques de recharge des véhicules électriques

Et si, comme on s’y attend, les grandes villes restent fortement dépendantes des territoires environnants pour les besoins en énergie de leur habitants, cette dépendance va en s’amenuisant : en 2017 on relevait un rapport de 1 à 34 entre électricité produite et consommée par les territoires urbains, un ratio passé à 20,3 en 2021, notamment sous l’effet de l’important effort d’équipement en panneaux photovoltaïques de ces collectivités.

Au-delà de ces tendances globales qui confirment leur entrée progressive dans le « monde d’après énergétique » ces grandes villes ont pu illustrer leur vécu de la crise énergétique de 2022 lors d’une conférence-débat organisée par Le Monde le 20 avril en détaillant les leviers modernes de leur action (quelques exemples) :

• Modulation « intelligente » de l’éclairage public
• Baisse du chauffage des bureaux et des équipements municipaux
• Recours au télétravail les jours les plus froids
• Contrats d’énergie innovants (autoconsommation collective ou Power Purchase Agreement)

Les données publiques : une brique essentielles pour bâtir les plans climats territoriaux

Enfin, et ce n’est pas le moindre de ses intérêts, ce panorama nous renseigne sur les sources les plus récentes de données publiques et de statistiques énergétiques à toutes les échelles géographiques françaises (France, régions départements, EPCI, communes, IRIS), un domaine en perpétuel progrès et qui intéresse au premier chef les exécutifs locaux à la manœuvre pour mener à bien les plans climat de leurs collectivités.

(*) : Le Populaire, du 28 décembre 1891, cité par R.Sauban « Des ateliers de lumière » édité par l’Université de Nantes.