« La politique européenne du gaz fossile est guidée par une vision technophile de la question climatique »
Le Monde de l’Énergie ouvre ses colonnes à Alexandre Joly, responsable du pôle Energie de Carbone 4, pour évoquer avec lui la place du gaz fossile et du GNL dans la stratégie énergique à court et moyen terme de l’Union européenne.
Le Monde de l’Énergie —L’Union européenne a répondu à la rupture d’approvisionnement en gaz russe en se tournant vers les marchés internationaux de GNL, et notamment vers les États-Unis. Pourquoi n’est-ce pas une bonne nouvelle pour la lutte contre le changement climatique ?
Alexandre Joly —Pour deux raisons. La première, c’est que le gaz américain est 20% à 45% plus carboné que le gaz russe. En effet, c’est principalement du gaz de schiste beaucoup plus polluant, et qui doit être liquéfié pour être transporté sur de longues distances maritimes. Tout ceci nécessite beaucoup plus d’énergie que l’approvisionnement en gaz conventionnel transporté par canalisation. La seconde raison est que les nouveaux investissements dans les terminaux méthaniers européens vous nous emprisonner dans une dépendance aux énergies fossiles. Ces infrastructures sont là pour des décennies, et la tentation sera grande de les rentabiliser le plus longtemps possible au détriment du climat.
Le Monde de l’Énergie —Plusieurs analystes craignent pour les approvisionnements gaziers européens d’ici 2025 (date à laquelle de nombreux nouveaux projets de GNL devraient entrer en service). Quel est l’ampleur de ces risques ? Une situation similaire à l’été 2022, où les pays européens achetaient du gaz sur les marchés mondiaux à n’importe quel prix, provoquant une pénurie mondiale, forçant plusieurs pays à se tourner vers le charbon ou le fioul pour compenser, pourrait-elle se reproduire ?
Alexandre Joly —Personne ne peut le prédire exactement. Ce qui est sûr, c’est que l’hiver 2022-2023 a été très particulier. L’Europe a stocké du gaz russe tout le premier semestre 2022 avant les mesures de rétorsion. Et en même temps, à l’autre bout du monde, l’économie chinoise tournait au ralenti à cause de son confinement, et nécessitait donc moins d’importations de gaz. Autrement dit, les dynamiques vont être complètement différentes dans les années à venir. Par exemple, le Shift Project estime que la consommation européenne en gaz n’est couverte contractuellement qu’à hauteur de 60% d’ici 2025. Sans contrat pour les 40% restants, il faudra s’approvisionner sur des marchés très probablement volatils car en tension offre-demande.
Le Monde de l’Énergie —Face à cette double problématique, les efforts européens pour réduire leur consommation de gaz fossile vous semblent-ils suffisants ?
Alexandre Joly —La stratégie européenne se concentre principalement sur la substitution du gaz fossile par d’autres énergies bas-carbone : solaire photovoltaïque, éolien, pompes à chaleur, biogaz par exemple. C’est une très bonne chose mais cela ne va pas assez loin. Il faut aussi massivement réduire nos consommations d’énergie. Par exemple, il n’y a pas de plan Marshall pour accélérer l’isolation thermique des bâtiments. En France, chaque année, on n’atteint pas encore 100 000 rénovations performantes de logements alors qu’il nous en faudrait plus de 500 000. Et pourtant, ce sont des emplois locaux, et des économies générées et donc du pouvoir d’achat pour les ménages. Plus largement, consommer moins d’énergie passe aussi par le déploiement d’une sobriété structurelle. Acheter moins de produits mais de meilleure qualité, et seulement quand c’est utile devrait devenir l’ADN de notre économie. Deux tiers des vêtements qu’on produit dans le monde ne sont pas portés plus d’un an, c’est un gâchis d’énergie monumental.
Le Monde de l’Énergie —Dans ce contexte, le choix du Royaume-Uni de valoriser ses propres réserves gazières offshore vous semble-t-il justifiable d’un point de vue climatique, puisque ce gaz émet moins de CO2 sur son cycle de vie que le GNL américain ?
Alexandre Joly —Non. Respecter l’Accord de Paris, c’est réduire drastiquement notre consommation d’énergies fossiles dès à présent. Il faut donc inverser la logique. Le nouveau paradigme politique et économique à mettre en place doit systématiquement viser la réduction de la consommation d’énergie. Continuer à parler d’énergies fossiles, c’est préserver le statu quo alors qu’il y a urgence économique, géopolitique et climatique à agir.
Le Monde de l’Énergie —Plus globalement, la politique de l’Union européenne vis-à-vis du gaz fossile vous semble-t-elle toujours aussi guidée par l’urgence ? Quelles mesures devraient être prises pour concilier le besoin d’assurer l’approvisionnement énergétique et réduire l’impact carbone de la société ?
Alexandre Joly —La politique de l’Union européenne vis-à-vis du gaz fossile a été définie en partie dans l’urgence mais elle est principalement guidée par une vision assez technophile de la question climatique. Il suffirait d’avoir des énergies bas-carbone pour sortir de la crise énergétique et répondre à l’impératif climatique. Or, toute énergie a un impact environnemental. Même bas-carbone, fabriquer un panneau solaire ou brûler du bois continuent de générer des émissions de gaz à effet de serre, d’occuper des sols et de consommer des matériaux que l’Europe ne possède pas. Et dans une Europe qui se réchauffe, les surfaces forestières et agricoles vont être soumises à rudes épreuves alors qu’elles devront continuer à alimenter notre économie (nourriture, vêtement, chauffage, etc.). Ouvrir une mine ou un champ de panneaux solaires, c’est donc réduire notre capital naturel.
Pour le préserver, la solution réside dans la sobriété structurelle que j’évoquais précédemment. L’énergie est précieuse, nous devrions apprendre à la consommer avec modération. C’est ce socle culturel qu’il faut bâtir car les solutions techniques sont connues : se déplacer prioritairement à vélo ou en train, réduire la place de la voiture à des petits véhicules électriques partagés, rénover nos bâtiments, fabriquer localement des produits robustes, réparables et avec des matériaux naturels, etc. Et bonne nouvelle, être économe en énergie, c’est une balance commerciale plus équilibrée, plus d’indépendance géopolitique, plus d’emplois locaux et une facture mieux maîtrisée.
COMMENTAIRES
Et construire des reacteurs nucléaire pour minimum 15 ans pour la seule durée de construction et ensuite au moins 50 ans pour justifier de les rentabiliser …. ce n’est pas s’enfermer pour des décennies ?
Bonjour,
Enfin quelqu’un qui explique vraiment ce qu’il faut faire.
Malheureusement une majorité de nos concitoyens n’est pas prête pour ça !
Cerise sur le gâteau, on apprend ce matin que les Allemands démontent des éoliennes pour laisser place à une mine de charbon lignite, la pire des solutions… Ils ne sont pas à une contradiction près.
Paradoxe en Allemagne. Quelques explications ici : https://www.europe1.fr/emissions/chronique-en-absurdie/transition-energetique-lallemagne-remet-du-charbon-dans-la-machine-4201122
Bonjour à tous, Merci à Stoclin d’avoir commencé son message de cette même façon.
Enorme satisfaction globale à lire ces propos intelligents et cette analyse des risques (économiques de premier degré) qui attendent la France en continuant à privilégier le gaz (pseudo naturel) pour sauver le soldat ENGIE et sa stratégie plus ou moins aventureuse à la fois dans le bio-méthane et l’Hydrogène (avec de l’argent public). Si l’on en croit les rapports du GIEC, et ceux qui le combattent ne sont pas des scientifiques, mais des idéologues dangereux, ce n’est probablement pas la solution à privilégier même s’il faut bien continuer à faire bouillir la marmite.
Pour faire court, on voit bien que les Allemands sont placés en face de grosses difficultés: c’est en partie en raison de leur choix de développer les ENRi et pire redévelopper le charbon, tout ça pour la recherche du fameux consensus à l’allemande dont on voit bien aujourd’hui les limites. Le bon choix, passe par un mix énergétique avec un nucléaire dominant, qu’on l’aime ou pas n’est pas le problème. J’aurais bien volontiers sacrifié quelques EPR pour des SMR utilisés en cogénération (il faut préciser que je suis un inconditionnel de la cogénération et d’une façon générale de la production d’électricité décentralisée en back-up du réseau quand c’est opportun). Rien de plus, mais rien de moins. Seule façon d’affronter un monde de l’électricité qui va devenir de plus en plus volatil grâce à l’idéologie ultra-libérale de Bruxelles pour ne pas dire de Berlin. Et surtout, arrêter de raisonner uniquement en terme d’économie mais en terme de réduction drastique des émissions polluantes, et de sécurité d’approvisionnement. Je suis bien conscient qu’il y a dans mes propos des aspects contradictoires, il ne faut donc pas éliminer le gaz naturel, mais il faut avoir des objectifs précis de réduction de sa consommation. Et pour revenir aux ENR, privilégier les ENRp aux ENRi. Ce qui ne signifie pas éradiquer les ENRi.
Je ne connais pas ce Joly, mais il est typiquement écolo.
Son propose est de la pure idéologie.
Il n’évoque que des scenario impossibles, qui ne se réaliseront jamais, à moins que l’être humain disparaisse de cette terre, ce qu’il souhaite probablement comme ses confrères.
Tout bêtement le développement à marche forcée de l’éolien et du solaire, qui sont intermittents par nature, oblige à construire des centrales à gaz. Point.
ET bien je salue Alexandre Joly pour ses explications auxquelles je ne trouve rien à redire et qui démontre clairement la contradiction et le paradoxe auxquels nous devons faire face: continuer à augmenter notre niveau de vie pour satisfaire nos désirs, que l’on soient riches ou (et surtout) pauvres, alors qu’il faut impérativement se passer des fossiles dont sont issues l’essentielle de nos consommations.
Ce qui dépasse de très loin nos polémiques sur la production d’électricité !
Arrêtez de pleurer avec vos pauvres.
Les français ont encore du pognon.
70% sont partis en vacances, cet été.
Des bouchons comme jamais!
Aides sociales, travail au black, ils trouvent les moyens de s’en sortir, même si officiellement, ils sont pauvres. Ils ont tout compris. Notre système se rapproche du système espagnol.
Le marché parallèle se développe.
Mais les media de gauche aiment bien nous faire pleurer.
Monsieur Peluchon.
Il ne s’agit pas de tomber dans le misérabilisme. Mais je vous invite à vous pencher sur les conséquences de la financiarisation de l’économie française ou dit autrement le capitalisme financiarisé.
10 points de PIB soit 150 Md€ par an (le point de PIB étant à 15Md€) depuis les années 80 ont été transférés du Travail vers le Capital tous les an ! Ce qui me permet de vous dire toute la pertinence d’une des théories de K. Marx qui est « la baisse tendancielle du taux de profit ». Elle aide à comprendre le passage à un capitalisme financiarisé pour maintenir les profits: (poids et pouvoirs accrus des actionnaires et des financiers. Indépendance de la Banque centrale. La théorie de D. Ricardo qui a justifié délocalisations et désindustrialisation. Rôle des banques et la politique du crédit. Etc… ) Je vous invite à découvrir cette théorie si vous ne la connaissez pas.
Cordialement
Merci de m’instruire, Régis, je regarderai.
Mais comme on dit souvent, le capitalisme est la moins mauvaise, et finalement la seule solution.
Un des gros problèmes en France, et même en Europe est l’aversion au risque de + en + grande des citoyens.
Stéphane Bancel en a très bien parlé.
La technologie moderne, l’innovation ont besoin de capitaux énormes et ces investissements sont extrêmement risqués (exemple des pharmas).
Un investissement très risqué demande une rétribution très haute.
Ca ne se trouve plus en Europe.
Quand je vois les syndicats socialistes demander une plus grande participation aux profits, sont-ils prêts à partager les pertes en cas de coup dur?
D’accord avec lui, sauf que comparer une mine de charbon avec un champ solaire sans faire détails, c’est une généralisation abusive.
un champ solaire mis sur une friche industrielle polluée n’est pas une perte de capital naturel.
De plus, de très nombreuses toitures industrielles, parking ..etc..ne sont pas équipés et doivent l’être prioritairement
Je mets ds le texte en MAJUSCULE ce qui fâche nos idéologues patentés et pourtant c’est bien la réalité
La politique de l’Union européenne vis-à-vis du gaz fossile a été définie en partie dans l’URGENCE mais elle est principalement guidée par une vision assez technophile de la question climatique. Or, toute énergie a un impact environnemental. Même bas-carbone, FABRIQUER un panneau SOLAIRE ou brûler du bois continuent de GENERER des émissions de GES, d’occuper des sols et de consommer des MATERIAUX que l’UE NE POSEDE PAS Et dans une Europe qui se réchauffe, les SURFACES forestières et agricoles vont être soumises à rudes épreuves alors qu’elles devront continuer à alimenter notre économie (NOURRITURE, vêtement, chauffage, etc.). Ouvrir une MINE ou un champ de PV, c’est donc réduire notre capital naturel. (j’ajouterai en occupant les sols comme on le fait à grande échelle ds les Landes par exemple)
A propos de l’UE et de l’urgence :
Urgence vous avez dit urgence, est-ce qu’on a une tête à se gargariser de l’urgence (toujours mauvaise conseillère comme la précipitation)
L’Allemagne (et l’UE par ricochet) se sont précipités dans les renouvelables intermittents avec un back-up gaz naturel…
Ils se sont pris les pieds ds le tapis du haut de l’escalier pour le dévaler ! Explication…
Ce gaz devenant rare suite à la guerre en Ukraine Les Allemands se sont rabattus sur le GNL (encore plus carboné de 20 à 45%) et comme cela ne suffit pas au niveau back-up ils n’ont rien trouvé de mieux que le charbon ou pire le lignite. Leur intensité carbone est restée 5 à 10 fois supérieures à la notre et tout cet imbroglio a fait exploser le prix des énergies ds les mêmes proportions. Et le climat dans tout ça ? Pour le moment, Il est passé à la trappe sur l’hôtel de l’urgence et de la religion des renouvelables !
@michel dubus
« Et le climat dans tout ça? »
Quand il y une annonce de baisse de l’énergie fossile dans la production électrique européenne, vous continuez a critiquer, le climat pour vous ne semble pas très important
La situation économique en Allemagne n’est pas brillante et la course aux renouvelables va-t-elle suffire ? https://www.topagrar.com/energie/news/energiewende-barometer-2023-unternehmen-bewerten-den-standort-deutschland-immer-kritischer-13464937.html
J’ai lu le lien en français de Cochelin avec attention et la réponse à son « inquiétude » est inscrite ds le texte du document : Baromètre de la transition énergétique 2023 : les entreprises évaluent de plus en plus d’un œil critique l’Allemagne
A savoir :
Les conséquences de la guerre d’agression russe contre l’Ukraine sur la politique énergétique constituent un élément central des évaluations négatives des entreprises. «Cette évolution rend la mise en œuvre de la transition énergétique nettement plus difficile»
Du point de vue des entreprises, le manque de fiabilité de la politique énergétique devient le principal obstacle à la transformation
Les trois quarts des entreprises réduisent leurs activités d’investissement. Dans le secteur à forte intensité énergétique, près de la moitié des entreprises limitent leurs investissements, même dans les domaines clés
Dans les grandes entreprises, on envisage de plus en plus souvent de tourner le dos à l’Allemagne en tant que site économique. Près d’un tiers des entreprises industrielles (32%) envisagent ou mettent en œuvre la délocalisation de capacités à l’étranger ou la réduction de leur production au niveau national, soit une augmentation de 16 points de pourcentage, soit un doublement par rapport à l’année précédente.
Cela rend plus explicite ce que j’écrivais hier :.Les Allemands se sont pris les pieds ds le tapis du haut de l’escalier pour le dévaler ! .
En complément du post précédent et en relisant le lien de Cochelin je transmets un petit couplet de morceaux choisis sur les retombées des ENR intermittents sur les réseaux électriques :
L’expansion des réseaux électriques progresse lentement : dans le cadre de la transition énergétique, 12 000 km de nouvelles lignes électriques sont nécessaires. Environ 9 000 km, soit les trois quarts, ne sont même pas encore homologués et encore moins en construction. Les réseaux manquants entraînent des arrêts coûteux, en particulier des éoliennes, et des interventions visant à STABILISER LE RESEAU, ce qui augmente encore les redevances de réseau déjà élevées. Cela met en danger l’approvisionnement en énergie et le rend nettement plus coûteux pour les entreprises. Selon les prévisions actuelles, des investissements d’environ 250 MILLIARDS D’€ seront nécessaires pour un réseau électrique durable d’ici 2045 (j’ajouterai sans garantie de résultat !). Ces coûts seront répercutés sur les entreprises et les consommateurs par le biais de nouvelles augmentations des frais de réseau. . Aujourd’hui, ils représentent déjà jusqu’à 20 % du prix de l’électricité.
Quand, sur d’autres posts, certains escrologistes se gargarisent avec le faible coûts de l’élec produite par leurs intermittents, ils oublient volontairement les coûts induits au niveau des réseaux… De plus ils occultent le besoin de pilotables en back-up de 80 à 90GW installés en gaz et charbon lignite pour éviter les black-out en particulier. Ce qui engendre une intensité carbone pour leur élec 5 à 10 fois supérieure à la France qui a la chance d’avoir encore du nucléaire tant décrier par les Verts d’outre Rhin qui l’on flingué !
Beaucoup font une fixette sur l’Allemagne, oubliant que la région qui fabrique et installe le plus d’énergies renouvelables, c’est l’Asie, c’est bon pour le climat !
C’est bon pour le climat quand les ENR se subsituent au charbon ou au gaz. Ce qui n’est pas le cas partout. Mais quand on ferme du nucléaire pour le remplacer par du charbon et du gaz, ce n’est pas bon pour le climat à venir.