« Les ports sont activement impliqués dans l’effort collectif de décarbonation »
Le Monde de l’Énergie ouvre ses colonnes à Sébastien Dupray, directeur Risques, eaux et mer du Cerema et à Maurice Georges, président du directoire de Dunkerque-Port, à la veille des 14ème assises Port du Futur, qui se tiendront les 24 et 25 septembre 2024 à Dunkerque, pour évoquer avec eux la décarbonation des ports.
Le Monde de l’Énergie —Quelle est la place des ports dans les émissions de gaz à effet de serre en France ?
Sébastien Dupray —Le transport maritime représente environ 3 % des émissions mondiales de GES et 16% de celui du fret. La notion de bilan carbone d’un « port » peut prêter à confusion car elle peut couvrir le bilan des émissions de l’autorité portuaire, celui des navires en escale (6% des émissions des navigations) ou encore celui de la zone portuaire sur tout le périmètre logistique et industrielle. Les ports sont activement impliqués dans l’effort collectif de décarbonation.
Une étude publiée en 2022 [Revue Polytechnique Insights, sept 2022] , montre que les navires sont responsables de 60 % des émissions dans les ports (soit 10 fois plus que les activités portuaires elles-mêmes) suivis par le transport terrestre (30 %) et les terminaux (10 %). Le transport maritime, qui représente 80 % du commerce en France, constitue ainsi la clé de la décarbonation pour nombre de territoires de l’hexagone et des Outre-mer, tout en demeurant, plus que jamais, un maillon essentiel de la compétitivité économique de nos territoires.
Par ailleurs, près de 50 % du trafic des grands ports français est constitué d’hydrocarbures et de charbon, qui contribue aux émissions nationales. Les installations industrielles naturellement situées dans les ports les plus grands sont parmi les plus gros émetteurs de CO2 en France.
En ce sens l’édition 2024 des Assises des ports du futur à Dunkerque organisée par le Cerema se pose au cœur des ambitions françaises de réindustrialisation et des enjeux de décarbonation et permet de réfléchir avec la communauté portuaire aux questions actuelles.
Le Monde de l’Énergie —Comment évolue la décarbonation des ports et comment se développent les industries décarbonées dans les zones portuaires ?
Sébastien Dupray —Les ports regroupent en leur sein des activités diverses – industrie, transport, tourisme – en contact étroit avec la ville.
Les ports français se sont engagés dans plusieurs initiatives pour réduire leur empreinte carbone :
- Décarbonation des activités portuaires : les ports réduisent leurs émissions en améliorant les opérations de manutention, en utilisant des flottes domestiques plus propres. Ils s’adaptent aussi à de nouvelles formes de propulsion (véllique notamment) et pour avitailler en carburants alternatifs. Par exemple, le port de Marseille ou Haropa investissent dans des branchements électriques à quai pour réduire les émissions des navires à l’arrêt.
- Production d’énergies renouvelables : les ports jouent un rôle crucial dans l’industrie éolienne flottante, contribuant à l’installation, l’exploitation et au démantèlement des infrastructures. Des entreprises comme Siemens Gamesa et General Electric ont déjà établi des usines dans des ports français pour soutenir ce secteur. Le développement de l’éolien, dans la nécessaire adaptation des ports, est une de nos priorités.
- Report modal : le développement du transport ferroviaire et fluvial autour des ports est un levier important pour réduire les émissions associées au transport terrestre (le cabotage). Des stratégies nationales sont en cours pour favoriser ce report modal. Cette thématique fera l’objet de la table ronde n°5 des Assises Port du Futur 2024.
- Développement de l’écosystème industriel : les ports français investissent dans des énergies alternatives et encouragent les projets d’économie circulaire, avec des initiatives phares comme celles du port de Dunkerque dans l’économie circulaire ou le port de Marseille-Fos qui se distingue par des projets innovants.
Le Monde de l’Énergie —Quel est le principe des corridors verts et comment un port s’en empare-t-il ?
Sébastien Dupray —Les leviers de transition écologiques des ports sont variés et dépendent de la situation de chaque port comme l’a montré notre benchmark européen de la transition écologique des ports. La notion de corridor vert a été définie dans la Déclaration de Clydebank, adoptée lors de la COP26 à Glasgow en 2021. L’objectif est d’encourager le développement de routes maritimes à zéro émission entre deux ports et de contribuer ainsi à la décarbonation du secteur maritime. Le rôle des ports dans la mise en place de ces corridors verts est essentiel. Ces initiatives impliquent une collaboration étroite entre les ports et les acteurs des secteurs maritime et énergétique. Par exemple, les ports de Dunkerque, Boulogne-Calais, et Douvres se sont engagés en 2023 à créer un corridor vert transmanche d’ici 2030, en partenariat avec DFDS, pour développer des ferries électriques et les infrastructures de recharge associées. Internationalement, des initiatives similaires existent, comme le corridor vert entre Anvers-Bruges et Montréal, ou celui entre Halifax et Hambourg, qui se concentre sur le transport d’hydrogène vert.
La transition énergétique des ports, avec des projets comme les corridors verts, nécessite une vision à long terme, mais des solutions à plus court terme existent. Par exemple, l’arrivée juste à temps permet de réduire les émissions en optimisant la vitesse des navires pour éviter l’attente au mouillage. Cette approche pourrait réduire les émissions de 15 à 20 %, selon certaines études et être un axe de collaboration avec les équipes du Cerema.
Enfin, si les initiatives de corridor maritime vert se développent entre ports internationaux, nous pouvons aussi noter que ces initiatives peuvent également être déclinées à l’échelle des régions françaises, des collectivités d’outre-mer ou métropolitaines car il s’agit de la mise à disposition de solutions de décarbonation par les ports qui peuvent être destiné au secteur de la pêche, de la plaisance, du cabotage national de marchandise ou du transport de passagers. Le CEREMA est associé avec la DIRM Méditerranée et les collectivités pour une étude permettant le développement de transports durables vers les plages ou pôles urbains via des navettes maritimes. Nous pouvons donc aussi décliner à l’échelle locale des initiatives internationales tels que les corridors maritimes verts.
Le Monde de l’Énergie —Quelles aides réglementaires, techniques et financières favorisent-elles la décarbonation de l’industrie portuaire ? Quelles sont les perspectives en la matière ?
Sébastien Dupray —Fit for 55 fixe un cadre d’action et une ambition européenne. La décarbonation des ports est soutenue par des financements publics comme privés. Par exemple, le projet Jupiter 1000 à Fos-sur-Mer bénéficie de 30 % de financement public, et la première phase des branchements à quai à Marseille est financée à 80 % par le FEDER. L’appel à projet ZIBaC, lancé en 2022, finance la décarbonation des zones industrielles majeures, avec le port de Dunkerque comme lauréat, visant une réduction de 30 % des émissions d’ici 2030 et la neutralité carbone d’ici 2050. Le Cerema opère actuellement un dispositif de financement et de capitalisation méthodologique sur la décarbonation des ports de plaisance.
Sur le plan des incitations financières, le dispositif Environmental Ship Index (ESI) permet aux ports de réduire les droits de port pour les navires présentant de meilleures performances environnementales. Des réglementations européennes comme l’Alternative Fuel Infrastructure Regulation (AFIR) et le FuelEU Maritime imposent des exigences pour décarboner le transport maritime, notamment par l’utilisation de carburants durables et de l’alimentation électrique à quai. Le secteur maritime est également progressivement intégré dans le système d’échange de quotas d’émission de l’UE (ETS).
La sensibilisation à ces questions, complexes et imbriquées à d’autres enjeux portuaires, est essentielles à l’action et nous développons une fresque de la transition écologique portuaire en ce sens.
Le Monde de l’Énergie —Quelle est la place de Dunkerque dans ce processus ?
Maurice Georges —Le territoire industrialo-portuaire dunkerquois est engagé collectivement dans une diminution drastique de ses émissions de gaz à effet de serre. Les actions lancées en faveur de la neutralité carbone couvrent aussi bien l’écosystème industriel que l’organisation des circuits de transport maritimes et terrestres.
L’objectif de neutralité carbone en 2050 étant un travail d’équipe, Dunkerque-Port est membre du Groupement d’Intérêt Public (GIP) EcosystèmeD, créé à l’initiative de la Communauté Urbaine de Dunkerque (CUD). Cette structure territoriale dédiée mobilise l’ensemble de ses acteurs privés et publics autour de la promotion de modèles de production plus vertueux, de la mise en place de boucles d’économie circulaire et du développement des énergies renouvelables.
Pour mener à bien les études d’ingénierie et de faisabilité en faveur de la réduction des émissions carbone, le projet DKarbonation du bassin industriel de Dunkerque bénéficie d’une aide globale de l’Etat de 13,6 millions d’euros en tant que lauréat de l’appel à projets « Zones industrielles bas carbone » (ZIBAC) lancé par le Ministère de l’Industrie via l’Agence de Transition Ecologique ADEME.
En réponse à ces enjeux, le port de Dunkerque est aujourd’hui devenu un acteur-clé européen de la réindustrialisation verte. La filière « mobilité électrique » est au cœur de cette transformation, Dunkerque devenant le cœur de la vallée de la batterie des Hauts-de-France. Les décisions d’implantation des unités de production de VERKOR, PROLOGIUM, ORANO-XTC, ERAMET-SUEZ et ENCHEM sur la zone industrialo-portuaire de Dunkerque illustrent l’excellence de cette filière décarbonée.
Enfin Dunkerque et l’ensemble des acteurs portuaires œuvrent à la décarbonation des circuits de transport, aussi bien maritimes que terrestres. Cet engagement s’illustre notamment par la signature en mars 2023 d’un protocole d’accord avec DFDS et les ports de Douvres et Boulogne-Calais, sur la décarbonation de la flotte de ferries Transmanche. L’objectif affiché par le port est de mettre en place les moyens nécessaires au déploiement par DFDS de ferries 100 % électriques sur la ligne Dunkerque – Douvres d’ici à 2030.
Dunkerque, premier port multimodal français, encourage également la décarbonation progressive de ses flux de transport d’hinterland, avec en ligne de mire la mise en service du canal Seine-Nord Europe à l’horizon 2030.