Pour une approche « colorblind » de l’hydrogène
Tribune signée par Maxime Sagot, de France Hydrogène.
Hydrogène vert, bleu, jaune ou gris, le paysage de l’hydrogène apparait à première vue très coloré. A l’heure où des politiques ambitieuses sont encouragées à Paris comme à Bruxelles, on adopte plus volontiers une approche « colorblind » pour parler d’hydrogène renouvelable et d’hydrogène bas-carbone. Petit tour d’horizon de cet arc-en-ciel de l’hydrogène.
Dans le monde, près de 90 millions de tonnes d’hydrogène sont aujourd’hui produites et consommées, principalement par des raffineries, l’industrie des engrais (ammoniac) et la chimie. En quasi-totalité, cet hydrogène conventionnel est produit à partir d’énergies fossiles. Il est dit noir ou marron lorsqu’il est issu de la gazéification du charbon (houille ou lignite). C’est le cas en Australie ou en Chine, qui produit jusqu’à 33 millions de tonnes d’hydrogène carboné. L’hydrogène gris est lui produit par vaporeformage du gaz naturel, comme en France où environ 800 000 tonnes/an sont consommées. Sa production est particulièrement émettrice de gaz à effet de serre : plus de 20 kgCO2eq/kgH2 produit pour de l’hydrogène noir ou marron et 11 kgCO2eq/kgH2 pour l’hydrogène gris.
En France, la production d’hydrogène émet ainsi près de 10 Mt de CO2 par an, soit près de 3 % des émissions nationales. A l’heure où l’AIE, l’IRENA et plus d’une quarantaine de pays dans le monde s’intéressent au développement de cette molécule pour la transition énergétique, l’enjeu est de substituer l’hydrogène marron ou gris par d’autres formes d’hydrogène. L’hydrogène peut ainsi non seulement servir à décarboner les secteurs industriels où il est déjà consommé comme matière première, mais aussi être un candidat pour de nouveaux usages dans la sidérurgie par exemple, en remplacement du charbon (procédé de réduction directe du minerai de fer, DRI), ou encore dans les transports où il peut alimenter et décarboner des modes de transports routiers, ferroviaires, maritimes, fluviaux et aériens, soit directement, soit sous la forme de dérivés (ammoniac, méthanol, carburants de synthèse).
L’hydrogène bas-carbone, pilier de la transition énergétique
Connue de longue date, l’électrolyse de l’eau est la principale technologie de production décarbonée d’hydrogène en développement partout dans le monde. Matures techniquement, diverses technologies, comme les électrolyseurs alcalins ou PEM, sont prêtes au déploiement, malgré des coûts encore onéreux. L’hydrogène produit par électrolyse était, avant la crise de l’énergie, trois à quatre fois plus cher que l’hydrogène gris. Ce procédé totalement décarboné ne consomme que de l’électricité et de l’eau, et ne rejette que de l’hydrogène et de l’oxygène. Si l’électrolyseur est alimenté en électricité générée par du solaire, de l’éolien, ou de l’hydraulique, « l’hydrogène vert » qui en résulte est alors considéré comme renouvelable. Pour être qualifié de tel selon l’UE, son bilan carbone devra se situer en deçà de 3,38 kgCO2eq/kgH2, soit une réduction de 70% des émissions par rapport à l’hydrogène gris. Plus généralement, l’hydrogène est dit vert lorsqu’il est issu de sources renouvelables, y compris grâce à d’autres procédés utilisant de la biomasse ou du biogaz.
La crise énergétique amplifiée par le conflit russo-ukrainien change la donne pour le monde de l’énergie. L’augmentation du prix du gaz naturel laisse entrevoir une meilleure compétitivité de l’hydrogène renouvelable, plus rapidement atteignable. C’est pourquoi l’Europe s’est fixée l’objectif ambitieux de produire 10 millions de tonnes d’hydrogène renouvelable à 2030 dans son nouveau plan RePowerEU de sorties des hydrocarbures russes. Une telle ambition nécessite des investissements massifs dans des capacités renouvelables additionnelles : jusqu’à + 300 GW de solaire ou + 135 GW d’éolien offshore si cet effort devait reposer sur une filière uniquement. Pour alléger cette pression, d’autres formes d’hydrogène doivent pouvoir être encouragées. L’hydrogène rose est produit en alimentant un électrolyseur par de l’électricité nucléaire, tandis qu’il devient jaune lorsqu’il s’approvisionne en électricité de réseaux électriques abondamment déjà décarbonés comme en Norvège, en Suède, ou en France, qui combine nucléaire et EnR. S’il n’est pas « vert », cet hydrogène bas-carbone répond à des exigences de décarbonation similaires. A Bruxelles, la taxonomie européenne des activités durables définit un seuil de 3,0 kgCO2eq/kgH2 pour guider les investisseurs privés.
Capture, séquestration ou valorisation du CO2 dans la production d’hydrogène
Les techniques de capture, séquestration ou valorisation du CO2 (CCUS) constituent une autre grande voie pour décarboner la production actuelle d’hydrogène. L’hydrogène bleu est produit à partir d’énergies fossiles mais en captant les émissions de CO2 qui en résultent, avant de les séquestrer ensuite sous terre ou de les valoriser dans l’industrie, pour produire des carburants de synthèse par exemple. L’avantage est que les équipements de CCUS peuvent être installés sur les installations existantes. Mais les performances réelles de décarbonation de l’hydrogène bleu font l’objet d’un intense débat de la communauté scientifique. Comme l’explique l’ADEME, dans une publication récente, les émissions fugitives le long des chaines d’approvisionnement en gaz naturel ou encore les différents procédés de CCUS sont des variables importantes qui peuvent alourdir le bilan carbone de l’hydrogène bleu.
Ce panel ne serait pas complet sans évoquer encore l’hydrogène turquoise. Produit par la pyrolyse du méthane, ce procédé fournit un co-produit de carbone solide, valorisable dans l’industrie. Prometteuse, la technologie n’est toutefois aujourd’hui pas encore suffisamment mature. Enfin, l’hydrogène natif, présent à l’état naturel sous forme gazeuse dans des couches géologiques, est quant à lui dit blanc et constitue une dernière voie en cours d’exploration un peu partout dans le monde comme au Mali, où un puits d’hydrogène blanc est déjà exploité au village de Bourakébougou.
COMMENTAIRES
Que se cache-t-il derrière cette dissertation sur l’hydrogène ? Ce ne semble pas être un sujet proposé à une épreuve du baccalauréat.
L’hydrogène est, avec l’azote de l’air, un composant de l’ammoniac NH3.
Si la question de l’utilisation de l’ammoniac peut se poser pour les transports aériens de moyennes et longues distances, et pour le transport maritime (hors ferries et cabotage), l’utilisation de l’hydrogène pour les transports routiers, ferroviaires et fluviaux est une aberration, aussi bien économique qu’écologique.
Avec de très fortes subventions publiques (pour les stations H2 et pour les véhicules en Auvergne-Rhône-Alpes), certaines entreprises font leur beurre dans l’hydrogène par électrolyse, prétendu « renouvelable » alors qu’il utilise pour l’essentiel l’électricité du réseau.
A Toulouse, c’est 87 % de subventions pour des stations H2 alimentant des navettes sur l’aéroport et des véhicules H2 sur la route, alors que l’aéroport est relié à la ville par un tramway, relié en plusieurs points aux lignes de métro et de bus.
A ce jour, il n’existe pas de solution de stockage à LT déployable à grande échelle afin de compenser la faible production des variables à certaines périodes, durant lesquelles la demande est le plus souvent élevée.
L’ammoniac est un espoir, mais cela suppose un prix de base des ENRv assez bas (car le rendement n’est que de 30%, et on peut difficilement envisager plus de 40%), et un prix de base des énergies fossiles, aujourd’hui employées en compensation des variables, élevé.
Le stockage par la chaleur, à haute température, paraissait une solution plus simple à mettre en œuvre, avec un rendement équivalent à celui du stockage chimique, mais il semble que les développements soient arrêtés.
@Marguerite,
Ce qu’il se cache, c’est en partie le mythe de la « croissance verte » et éternelle !!!
Par contre, pour le transport ferroviaire comme fluvial, l’intérêt écologique (arrêt du fioul et ses petites fumées grasses et poisseuses) et économique (capacités de stockage importante dans ces 2 modes de transport sans changement structurel profond et environnement de circulation relativement protégé) n’est pas complètement aberrant…
Pour l’aviation, l’hydrogène ce serait 7000 km max à priori (et encore !) et donc ce sera plutôt pour du moyen-courrier, mais pas du très long courrier…
@marguerite
En France aujourd’hui, H2 = electrolyseur, donc égale électricité, donc = éoliennes offshore loin des côtes, puisque aucun cable n’est à tirer entre plate-forme ou barge tractée ou navire-usine et la côte. C’est le seul moyen de produire une H2 presque verte. Moyen pour des productions de masse.
Mais on peut aussi fabriquer H2 au sol dans de petites installations via la pyrogazéïfication en utilisant de la biomasse ou plus généralement des déchets secs et solides donc séparés des autres types de déchets urbains. C’est le choix fait par HAFFNER Energie mais je trouve que leurs progrès met trop de temps à se concrétiser. Néanmoins, nous avons la même philosophie qu’eux et nous les encourageons vivement. Par rapport à nous-mêmes, le premier échelon de leur process passe par un simple pyrolyseur qui comme tous les pyrolyseurs basiques produit des vapeurs de pyroligneux qui ont le gros défaut de se condenser (inévitable) sous forme de goudrons. Nous, Edda-Energie avons l’avantage de produire, via un gazéïfieur et pas un pyrolyseur, un gaz en sortie de l’étage gazéïfication, qui ne contient de goudron que sous forme de traces infimes. ça facilite grandement les étapes suivantes qui mnent à l’hydrogène. L’hydrogène n’a jamais été notre but N°1, mais face à l’engouement pour le H2 , susceptible de nous amener les financements nécessaires, nous avons étudié la question.
Aujourd’hui nous délivrons un syngas contenant beaucoup d’azote puisque nous utilisons de l’air comme oxydant principal + un peu de vapeur. Il nous faut donc remplacer l’air par du O2 ou un systeme d’élévation de température du syngas exterieur à l’arc électrique (plasma ou autre). Nous aurons ainsi un gazéïfieur conservant les qualités de notre gazéïfieur actuel et plus riche en hydrogene, donc bien adapté pour la suite des opérations. Il en est d’ailleurs de même pour une méthanation éventuelle.
Pour en finir avec le H2 vert foncé, voilà comment l’on peut en fabriquer au sol.
Dixit » Marguerite » : »l’utilisation de l’hydrogène pour les transports routiers, ferroviaires et fluviaux est une aberration, aussi bien économique qu’écologique. » C’est une « affirmation sans preuves » ! > Merci d’indiquer celles-ci !
Bonjour à tous, premiere impression favorable, car l’article est plaisant à lire, donne des informations comparatives complètes et les commentateurs sont tout aussi intéressants sauf moi-même (sic). Et a propos, de ces commentateurs, je pense également que les meilleures applications dans les 20 ans qui viennent sont les applications actuelles et peut-être, peut-être, le rail sur les tronçons non électrifiés.
Pour notre part, nous avons tellement besoin d’argent pour financer des variantes de notre pyro-gazéïficateur que nous ne refusons plus de changer une petite partie de notre process pour faire un gaz plus riche en H2 ou en CH4 (pour nous en sortie de gazéïfieur, c’est à peu près la même chose). Seuls le bio-méthane et le H2 peuvent nous amener ces finances, donc…. Naturellement, nous conserverons le principe d’élimination des goudrons car quelle que soit la composition du syngas donc son PCI, le traitement des goudrons pèse lourd dans la chaine qui passe par la pyrogazéïfication. Je ne me lasse pas de l’affirmer, ça n’émeut pas grand monde, mais il sera difficile de me démontrer le contraire.