Quelles priorités pour la transition énergétique en France ?
Face à l’urgence climatique, la nécessité de conduire une transition énergétique rapide et efficace s’est élevée au rang d’évidence. Pourtant, cette prise de conscience ne conduit pas aujourd’hui à la diminution attendue des émissions de gaz à effet de serre.
Peut-être le moment est-il venu de rappeler où et comment ceux-ci sont émis, car c’est là que nous devons concentrer nos efforts.
La transition énergétique a deux objectifs principaux. Le premier est de réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES) jusqu’à atteindre la neutralité carbone (équilibre entre les émissions de GES et leur absorption) pour endiguer le dérèglement climatique porteur de lourdes conséquences : modification des précipitations, donc du rendement des récoltes, intensification des événements climatiques violents… [1]
C’est une question d’ordre vital pour une partie de la population mondiale dans les prochaines décennies.
Le second est de limiter notre dépendance aux ressources fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel), sur lesquelles notre mode de vie et notre économie reposent depuis deux siècles, avant que leur épuisement ne balaye les acquis qui séparent nos sociétés modernes des sociétés préindustrielles.
Il s’agit de deux défis titanesques. Ils présentent toutefois l’avantage de se rejoindre en bonne partie, les gaz à effet de serre déréglant le climat étant essentiellement émis par la combustion des matières fossiles.
Pour définir les priorités de la transition énergétique en France, nous devons regarder quels secteurs émettent le plus de carbone. C’est là que nous devrons concentrer nos efforts.
Les importations
Les importations, notamment de biens manufacturés (électronique, vêtements, objets divers…) représentent la première contribution d’un Français au changement climatique : 4,2 tonnes équivalent CO2 par an et personne, soit 277 mégatonnes équivalent CO2 par an au total (voir à la figure 1)[2] .
Comme nombre de pays occidentaux, la France a largement délocalisé sa production industrielle vers des pays où l’énergie est principalement d’origine fossile, tels que la Chine. Cela nous donne un sentiment de vertu car les gaz à effet de serre ne sont pas émis chez nous, mais ils sont bien émis pour nous.
Il apparaît donc nécessaire de réduire significativement notre consommation de biens matériels en général (c’est-à-dire moins acheter) et réparer davantage. Nous devons également relocaliser notre industrie en France où l’électricité est bas carbone, grâce aux énergies nucléaire et renouvelables.
Figure 1 — Comparaison de l’empreinte carbone de la France (carbone émis dans le monde pour la France) et de son inventaire carbone national, c’est-à-dire le carbone émis en France (source : CGDD)
Les transports
Après les importations viennent les transports (voir à la figure 2), à 133 MtCO2éq/an, voitures en tête. Le pétrole est d’ailleurs la première source fossile d’énergie consommée dans l’Hexagone (29% de notre consommation totale, pour une facture annuelle comprise entre une vingtaine et une quarantaine de milliards d’euros…).
Plusieurs pistes permettraient d’améliorer cette situation.
Sans dresser une liste exhaustive, on citera le fait de limiter significativement par des normes la consommation des véhicules neufs (qui devraient donc être plus légers et moins puissants), le développement des transports en commun, l’incitation à les utiliser, la sensibilisation de la population, la promotion du vélo et des véhicules électriques légers et peu puissants, le covoiturage pour les trajets du quotidien, la réduction de la vitesse maximale sur autoroute…
Figure 2 — Répartition de l’inventaire national français des émissions de gaz à effet de serre (source : CGDD)
Les bâtiments
Troisième pôle d’émissions de carbone, le chauffage des bâtiments et la production d’eau chaude représentent 78 MtCO2éq/an. Là encore, plusieurs moyens d’agir. Ceux qui en ont les moyens peuvent isoler leur bâtiment et changer leur chaudière au fioul ou gaz naturel par une pompe à chaleur (source d’énergie renouvelable).
Dans tous les cas, chacun peut agir en réduisant la consigne de température (quitte à mettre un pull), en préférant les douches aux bains, en fermant les volets la nuit…
L’État a un rôle important à jouer dans ce secteur via les normes et aides qu’il peut mettre en place.
Par exemple, pour reprendre une idée imaginée par Nicolas Meilhan (ingénieur conseil en énergie), l’État pourrait inciter les propriétaires à isoler les logements à la vente en indexant la taxe sur la plus-value au diagnostic énergétique : plus celui-ci serait mauvais, plus la taxe serait importante, le gain étant affecté aux aides à la rénovation thermique.
L’agriculture
L’agriculture arrive en 4e position (77 MtCO2éq/an), à cause du méthane émis par les ruminants (vaches, moutons) et du protoxyde d’azote dégagé par les engrais, qui servent entre autres aux cultures destinées à nourrir le bétail. Le moyen le plus efficace d’agir sur ce secteur est de manger moins de viande, et surtout moins de mouton, agneau, bœuf et veau.
On l’aura compris au travers de ce qui précède, l’objectif est de sortir des énergies fossiles : charbon (en France, c’est presque fait), pétrole et gaz naturel. Pour cela, chacun d’entre nous va devoir changer ses habitudes en profondeur, notamment de consommation (achats) et de transports.
S’il y a un message à retenir, c’est celui-ci : la transition énergétique ne peut pas être transparente pour la population. Nous devons collectivement nous interroger quant à nos modes de vie : la préservation de nos habitudes vaut-elle vraiment de condamner les jeunes générations actuelles ?
C’est bien cette dérangeante question qui est au cœur de la transition et en conditionnera le succès… ou l’échec.
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[1] IPCC, Summary for policymakers, Global Warming of 1.5°C, 2018
[2] CGDD, Chiffres clés du climat, 2019
Article publié dans Les Echos le 13 février 2019