« La production d’hydrogène naturel pourrait se réaliser avec un bilan carbone extrêmement bas »
Le Monde de l’Énergie ouvre ses colonnes à Yannick Peysson, responsable de programme R&D à l’IFPEN, pour évoquer avec lui la question de l’hydrogène naturel, ou géologique, et sa possible extraction.
Le Monde de l’Énergie —La présence d’hydrogène naturel dans le sous-sol terrestre est désormais établie, et suscite de l’intérêt pour une possible extraction. Comment se forment ces poches d’hydrogène, quelle est leur nature géologique, comment évoluent-elles ? Quelles sont les réserves estimées actuellement, dans le monde, l’Union européenne, en France ?
Yannick Peysson —Il est en effet bien établi aujourd’hui que l’hydrogène moléculaire, dit H2, existe à l’état naturel dans le sous-sol en de nombreux endroits sur la planète. On parle d’hydrogène « naturel » ou « géologique ».
L’avancement des connaissances sur le sujet plaide en faveur d’une origine relativement profonde de l’H2 naturel. Divers mécanismes de formation sont possibles comme notamment la dissociation de l’eau profonde en hydrogène sous l’action d’une réaction dite d’oxydo-réduction au contact de roches riches en Fe. Pour certaines zones géologiques riches en éléments radioactifs, la radiolyse de l’eau est également un autre mécanisme de formation possible. Le craquage thermique de matière organique en profondeur peut également être responsable de la genèse d’H2 dans certains bassins, en même temps qu’elle génère des hydrocarbures. Enfin, d’autres réactions d’oxydo-réduction peuvent également intervenir spécifiquement dans les systèmes volcaniques. C’est donc toute une gamme de processus qui peuvent conduire à générer de l’hydrogène dans le sous-sol à différentes profondeurs.
Pour ce qui est de l’estimation de la ressource ou des réserves, il est trop tôt pour pouvoir donner des chiffres réalistes. Il faut noter que l’hydrogène produit peut aussi être transformé lors de sa migration dans le sous-sol soit par réaction chimique au contact d’autres roches, ou soit consommé très rapidement par des microorganismes présents dans des zones plus proche de la surface. Les estimations des flux de surface ne représentent donc qu’une fraction de ce qui est généré en profondeur. C’est donc un bilan complexe entre processus de formation et de transformation qu’il s’agit d’évaluer. Cependant, si on additionne le potentiel théorique de chaque processus, on arrive à des quantités très importantes, mais pour l’instant, confirmer ces estimations demeure difficile. Il faut continuer à travailler, à étudier pour comprendre plus en détails l’ensemble des mécanismes. Il faudra également forer pour confirmer le potentiel. Ce travail prendra encore quelques années.
Le Monde de l’Énergie —Quelles méthodes d’extraction sont actuellement envisagées pour exploiter ces ressources ? Quelle est la spécificité de l’hydrogène par rapport au gaz naturel par exemple ? Cela impose-t-il un matériel spécifique ?
Yannick Peysson —Pour produire cet hydrogène naturel, les méthodes de forage et d’équipement de puits connus des filières du sous-sol peuvent tout à fait être mise en œuvre. Cependant, il faudra travailler à définir dans le détail les architectures des puits, les équipements des puits, les matériaux à utiliser, les traitements de surface éventuels… en fonction de chaque site.
Je rappelle qu’aujourd’hui, un seul site au monde produit de l’hydrogène naturel. C’est le site de Bourakébougou au Mali avec une production réalisée par des puits très peu profonds, une centaine de mètres, et qui produisent directement un hydrogène sous forme gazeuse et pur à 98%. C’est un site que nous connaissons bien car les géologues d’IFPEN l’ont analysé en détail, en collaboration avec Hydroma la société qui les exploite, pour mieux comprendre les mécanismes de production, les zones d’accumulation et les conditions de piégeage dans le sous-sol.
Le Monde de l’Énergie —Quels sont les principaux défis à résoudre pour envisager une production industrielle ? Quel serait l’impact carbone de cet hydrogène, comparativement avec de l’hydrogène produit à l’aide de combustibles fossiles ou d’électricité décarbonée ?
Yannick Peysson —Pour envisager une production industrielle de l’hydrogène naturel, il sera nécessaire de déployer une large série de moyens. Tout d’abord, il faut poursuivre les efforts de recherche pour mieux comprendre l’ensemble des mécanismes susceptibles de produire mais aussi de consommer l’hydrogène. Il est nécessaire également de réaliser des études complètes de mesures géophysiques, d’analyse de traces en surface afin de cerner les meilleures zones possibles puis de réaliser des forages afin de confirmer la présence ou les flux d’hydrogène. Je parle de flux car les « systèmes hydrogène » semblent bénéficier d’une cinétique de production très active, ce qui conduit à parler non seulement d’une énergie de stock mais aussi d’une énergie de flux. Un dernier défi technique sera le transport de cet hydrogène sur de longues distances. Contrairement à l’H2 produit par électrolyse qui peut être généré localement, l’H2 naturel devra être acheminé depuis la formation géologique d’où il est extrait vers les zones d’utilisations.
Concernant l’impact carbone de cet hydrogène et c’est indéniablement un point fort, il est très limité. En effet, aujourd’hui, l’hydrogène produit par reformage du gaz naturel a un bilan carbone très mauvais. Ce bilan s’améliore notablement avec une production par électrolyse de l’eau alimentée par des sources électriques renouvelables de type éolien ou solaire. Mais même pour ce dernier cas, la chaine industrielle complète de fabrication des électrolyseurs, des éoliennes, … a un bilan carbone qui n’est pas nul. L’hydrogène naturel, dans le cas d’accumulation ou de flux suffisant, pourrait permettre une exploitation par forage et avec un minimum de traitement en surface ce qui engendre des couts carbones très faible. Ainsi, la production d’hydrogène naturel pourrait se réaliser avec un bilan carbone extrêmement bas.
Le Monde de l’Énergie —A quel horizon temporel une production industrielle est-elle envisagée ? Cela pourrait-il répondre aux besoins d’hydrogène bas-carbone pour la transition énergétique mondiale, et dans quelle proportion ?
Yannick Peysson —Aujourd’hui, un premier permis d’exploration a été attribué en France. L’Australie et les USA sont en phase de forage d’exploration active. Cependant le passage de cette phase d’exploration à la phase des premiers pilotes puis à une phase de production à l’échelle industrielle, prendra un certain temps et une éventuelle production importante d’hydrogène naturel pour le marché mondial ne peut vraisemblablement pas être attendue avant 2035-40.
L’hydrogène naturel obtenu est en tout point le même que celui produit par des électrolyseurs ou par reformage du gaz naturel et il pourra donc répondre aux différents besoins en hydrogène bas-carbone. Ces besoins se retrouvent tout d’abord dans l’industrie pour décarboner un certain nombre de procédés, mais également dans la mobilité qui peut avoir besoin d’hydrogène comme carburant via des piles à combustible ou en combustion directe dans des moteurs adaptés, surtout pour les engins lourds de type camion, bus ou encore véhicules de chantier. Enfin, l’hydrogène pourrait être nécessaire dans le système énergétique pour des besoins de stockage et flexibilité. Ce sont là les différentes utilisations possibles de l’hydrogène qui sont envisagés.
COMMENTAIRES
C’est certainement bon à prendre.
Si on sait le « prendre » à cout technico-économique intéressant… Après il y aura le transport qui peut poser soucis…
Affaire à suivre… Rien de gagner pour le moment et pas trop de perdu (en subvention à foison…)…
Comme dirait certains : « Si Dieu le veut ! »…
Toujours rien sur les Volumes et les Flux garantis sur 50 ans pour cet hydrogène… Donc on peut en dire du bien ou du mal et lui faire dire des scénarios très élevés comme des scénarios « condervateurs »…
Bref, il y en a, mais combien et pour combien de temps et à quel Flux, cela on ne le sait pas encore… (St si il y a des coups de boutoirs de pression comme dans certains champs pétroliers avec du H2 cela peut faire de jolis « pêtards » …
Pour l’hydrogène, il est plus que temps de mettre cela de paire avec un « Mix 50%Nuke-50%ENRi » cela fera plaisir à un maximum de monde (même en Allemagne, surtout au Sud !) et on avancera sérieusement car on en a besoin…
Ce que la plupart des gens ignorent, c’est qu’il existe des gisements de dioxyde de carbone (CO2) naturel exploité depuis plusieurs décennies pour être injecté dans les puits de pétrole américains et augmenter leur production.
Le CO2 est transporté par pipeline vers les champs de pétrole sur des centaines de kilomètres.
Les principaux gisements de CO2 exploités se trouvent dans le Colorado, le Nouveau Mexique, Mississipi … McElmo Dome, Bravo Dome, Jackson Dome …
Des pipelines ont été construits depuis plusieurs décennies pour transporter ce CO2 depuis les gisements de CO2 vers les gisements de pétrole.
Dans la plupart des cas, le CO2 est pur à près de 98%. Parfois, il est mélangé à du méthane.
@Canado,
Merci pour le partage fort intéressant. Il est vrai qu’injecter de l’eau dans les « réservoirs » pétroliers (comme cela est aussi fait) pose de nombreux problèmes suivant les lieux (accès à de l’eau douce notamment, même si cela est fait sans le golfe persique… et séparation de l’eau du pétrole par la suite… et l’eau dans le Gaz cela ne fait pas toujours de « bons mélanges »…). Le CO2 doit remettre de la pression dans les réservoirs avec moins de contraintes que l’eau lors de l’extraction (c’est aussi en cours en Mer du Nord avec soi disant des garantis sur le « CCS » ainsi réalisé… le seul « hoc » étant qu’il ressort dans une certains proportion…).
Réflexion générale sur l’ensemble des commentaires.
Je suis un peu sidéré de voir qu’en fait vous pensez tous plus ou moins qu’on pourra éternellement vivre comme avant grâce au nucléaire (les EPR sont tres voraces en eau, mais pourquoi en manquerait-on ???) et à l’hydrogène qui se transporte tres facilement puisqu’il est léger, n’est ce pas ? (aucune fuite possible n’est ce pas ?).
Il serait bon de temps,à autre de sortir de son laboratoire et de regarder la vérité en face : si on remplace le charbon par le nucléaire et le CH4 par du H2, on aura maxi résolu 30% de nos problèmes, pas plus. Nous ne pourrons pas faire l’économie de la recherche de l’efficacité energétique maximum, de la sobriété maximum (on en parle de moins en moins et c’est moi, peu convaincu que la solution c’est d’éteindre la lumière quand on quitte une pièce(quand on en a plusieurs), mais on n’y avait pas pensé probablement ! Non, tout ça c’est du vent, et pendant au minimum les 50 années qui viennent , il faudra vivre complètement différemment de la façon dont on vit aujourd’hui. Nous n’aurons pas le choix et c’est à ça qu’il faut se préparer, en arrêtant de construire ces conneries de datas centers qui accélèrent notre perte tout ça pour les bourrer de futilités et alimenter les algorithmes qui servent à connaitre au poil près nos habitudes de consommation à grand renfort de MWhe . Quelle consommation ?
Des gisements de CO2 ? Il ne s’agirait pas de H2 ? https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Hydrog%C3%A8ne_natif
Comme cela est bien précisé, il s’agit de gisements de dioxyde de carbone (CO2).
On n’injecte pas de l’hydrogène coûteux dans les puits de pétrole.
Pour ne pas s’égarer sur une fausse supposition, il suffisait d’aller voir les sites mentionnés (McElmo Dome, Bravo Dome, Jackson Dome … )
On peut aussi s’informer ici :
https://www.gem.wiki/Natural_CO2_Source_Fields … entre autres
Un domaine en expansion : « In Southwest Colorado, Shell stepped UP CO2 productive capacity to 800 MMcfd from 700 MMcfd in McElmo Dome field straddling the Dolores-Montezuma county line. »
Par ailleurs, l’agence internationale de l’énergie indique :
« Today the majority of CO2 injected in CO2-EOR projects is produced from naturally occurring underground CO2 deposits. This may appear a somewhat ironic situation, but the reason for this is the absence of available CO2 close to oil fields. Using natural sources clearly provides no benefit in terms of the emissions intensity of the produced oil. In the United States, more than 70% of the CO2 injected today for CO2-EOR is from natural sources. »
Ce sont essentiellement les gisements de CO2 naturel qui alimentent l’injection de CO2 pour augmenter la production de pétrole américain.
Bien que le document date un peu (2014), on peut aussi aller lire ceci :
https://montezumacounty.org/wp-content/uploads/2020/10/Kinder-Morgan-McElmo-Dome-Development-Plan-Summary.pdf
Bien que cet article de 2016 ne soit que partiellement accessible gratuitement, on voit que l’exploitation du CO2 naturel remonte aux années 1950 :
https://explorer.aapg.org/story/articleid/27468/the-history-of-central-mississippis-naturally-occurring-co-fields
Le Jurassique, ce n’est pas seulement du pétrole et des dinosaures, mais aussi des champs de CO2.
Le gouvernement américain en parle aussi :
https://www.osti.gov/biblio/5864723 (Jackson Dome, Mississippi)
« Shell’s search for CO2 in the area began in the early 1970s. Exploratory drilling for hydrocarbons as early as 1950 had indicated high concentrations of CO2 present in central Mississippi. »
Il était question d’hydrogène au début de l’article et nous voici maintenant dans le dioxyde de carbone. Quel changement de sujet !
« changement de sujet ! » ? : Le CO2 et l’hydrogène ne sont-ils pas liés ? ( lors du vaporeformage). Avec capture du CO2, l’hydrogène passe du gris au bleu , bien plus intéressant que le vert : voir le dernier exposé participatif sur l’hydrogène dans le site de la SEPRA81.